On parle en ce moment (printemps 2023) d’une loi « antisquat ». Il ne s’agit pas seulement de réprimer le squat (occupation illicite — bien que possiblement justifiée), mais aussi d’ajouter aux contrats de location une clause qui résilie automatiquement le bail en cas de loyer impayé — pas grand chose à voir avec le squat…
Remarquons que ceci arrive dans une période vraiment difficile pour — laissez-moi le dire ainsi — les plus pauvres, de plus en plus nombreux. Après ce qu’il est convenu d’appeler la crise sanitaire et à un moment où l’inflation (en particulier sur les produits alimentaires) est incroyablement élevée.

Ça m’a donné envie de reparler du décret de la Commune sur les loyers. J’en ai déjà parlé plusieurs fois (ici, et , par exemple, et, sur ce site, Laure Godineau aussi). Mais revenons un peu en arrière.

Ce décret arrive après les mesures prises par le gouvernement dit de défense nationale pendant le siège prussien. Pour que les choses soient bien claires, je rappelle que les loyers (le « terme ») se payaient, le 8, tous les trois mois (octobre, janvier, avril, juillet). Et je vous renvoie à un bel article de Jules Vallès, concernant le terme du 8 janvier 1870, et qu’il est bon de (re-)lire pour se représenter ce qu’était ce moment de paiement du terme pour les plus pauvres.

Le 30 septembre 1870, alors que Paris était déjà assiégé, un délai de trois mois fut accordé aux locataires pour le terme du 8 octobre. Et, évidemment, comme la situation ne s’était pas arrangée, ce décret fut reconduit le 3 janvier.

Il nous faut revenir ici à la question des squats (même si le mot n’existait pas). Depuis septembre, la ville s’était emplie de « réfugiés » venus des régions occupées par l’armée prussienne, notamment des campagnes à l’est de Paris (qui sont aujourd’hui des banlieues) — comme la famille du narrateur Florent Rastel du Canon Fraternité. Mais aussi, dès le 5 janvier, les obus prussiens tombaient sur le sud de Paris (voir cet article et les suivants), alors que pas mal de « francs-fileurs » s’étaient mis « au vert » en laissant leurs logements vacants à Paris.
Ainsi, le 28 nivôse an 79, dans son numéro 4 (le numéro 3 contenait le texte de la célèbre affiche rouge), dans La lutte à outrance (journal du club de l’École de médecine et de l’Association internationale des travailleurs), les délégués des vingt arrondissements publiaient une déclaration, datée du 15 janvier 1871, que j’utilise en couverture de cet article (et que vous pouvez donc lire entièrement), qui contenait ces phrases

Aujourd’hui même, il est urgent d’ouvrir gratuitement aux habitants des quartiers bombardés dans les quartiers moins exposés, les locaux nécessaires, avant tout ceux de l’État et des riches déserteurs.

— qui remarquait que le gouvernement ne ferait rien et que

La Commune de Paris est le suprême espoir de la défense. Mais, pour que son action soit efficace, il faut qu’elle ne soit point installée in extremis.

On le voit, pas plus que dans le cas de l’infâme loi antisquat, la question des logements vacants n’est pas indépendante de celle des loyers — ni de celle de la volonté politique des gouvernants. Eh bien, il y eut un décret, signé Jules Ferry (« membre du gouvernement délégué à la mairie de Paris »), daté du 18 janvier et publié par le Journal officiel du 19, et dont l’article 4 disait:

Réquisition est faite, au nom de la ville de Paris, des logements des personnes absentes. Ces locaux sont mis à la disposition de la mairie centrale et de la mairie d’arrondissement.

D’après Danièle Voldman (article précisé ci-dessous), il y eut effectivement des exemples de réquisition, mais on ne sait pas vraiment quelle fut l’ampleur de l’application de ce décret.

N’empêche, il y avait des propriétaires fortement défavorables au non-paiement des loyers (!) et même des petits propriétaires que ce non-paiement gênait vraiment. De sorte que l’Assemblée nationale élue le 8 février s’apprêtait à annuler ce moratoire sur les loyers — sur ce qu’en pensaient les locataires, voir, par exemple, cet article. C’est alors que survint le 18 mars (début de l’insurrection) suivi du 26 (élections à la Commune) et du 29 où la Commune vota son décret sur les loyers.

Que nous (re-)découvrirons dans le prochain article.

Article et livre cités

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Voldman (Danièle), « Le moratoire des loyers, mesure de circonstance ou utopie sociale? », in La Commune de 1871 Une relecture, sous la direction de Marc César et Laure Godineau, Créaphis (2019).