J’ai parlé plusieurs fois sur ce site de l’assassinat de Jean-Baptiste Millière, dans un des premiers articles que j’y ai publiés, notamment, mais aussi parce qu’elle a été la cause d’un des énervements de Maxime Lisbonne, parce que Jules Favre n’y était sans doute pas pour rien, et parce que sa femme a fait beaucoup pour que les circonstances de sa mort soient connues et reconnues (voir les articles sur Louise Millière, ici, et ). Mais il y a, dans l’histoire de la Commune, un autre Millière. Le voici dans Le Rappel du 7 août 1872:

On vient d’afficher à la mairie du 18e arrondissement l’extrait du jugement rendu par le 14e conseil de guerre, le 30 juillet dernier, qui condamne par contumace, à la peine de mort, Frédéric Millière, ex-chef de la 18e légion.

Et puis dans La Cloche du 7 septembre 1872:

On avait fait courir le bruit que Millière était en Suisse, d’où il allait partir pour la Haye, et, de là, en Angleterre. Renseignements pris, il résulte que le Millière en question n’est pas le membre de la Commune, mais un homonyme, un parent peut-être, lequel a été officier d’état-major pendant l’insurrection de Paris.

… c’est toujours impressionnant de voir à quel points « ils » ne savaient rien! Aucun des deux Millière n’était membre de la Commune, mais oui, en effet, il y avait un officier, qui avait été chef de la légion du dix-huitième arrondissement, et qui se nommait Millière. Et il a été condamné à mort comme nous l’a dit Le Rappel. Et c’est de lui que je voulais parler ici.

Si j’en crois un rapport de police datant du 14 juillet 1879 et conservé aux archives de la Préfecture de police, son prénom était Frédéric. En 1879 encore, on n’avait aucun renseignement d’état civil, mais on savait que, en 1871, il était « marchand » et vivait 7 rue de Laghouat, dans le 18e (à La Chapelle). Notez que ce rapport figure dans un dossier (E a 104) qui ne contient que lui et… une photographie de Jean-Baptiste Millière, avec son signalement au verso:

48 ans environ / grand / vouté / cheveux chatains grisonnants / moustache grise / maigre / figure fatiguée

Encore cette confusion!!!
Le Maitron en ligne dit « commerçant » et donne la même adresse que la police, mais il ajoute des tas de prénoms: Frédéric, Ferdinand, François, Eugène, Germain… et un pseudonyme, Maigro. Mais revenons un peu en arrière. Et à quelques autres « nouvelles ». En commençant, à tout saigneur tout honneur par Thiers qui, dans son hurlement de victoire (dépêche officielle) du 28 mai 1871 à deux heures et quart de l’après-midi, disait, entre autre,

Le trop coupable Delescluze a été ramassé mort par les troupes du général Clinchant.
Millière non moins fameux a été passé par les armes pour avoir tiré 3 coups de revolver sur un caporal qui l’arrêtait.

C’est de Jean-Baptiste Millière qu’il parle. Et c’est faux. Mais il a bien été assassiné, nous le savons. La Petite presse avait publié, plus tôt dans la semaine et avant l’assassinat de Jean-Baptiste Millière, l’histoire d’une perquisition au Moniteur universel, dont j’extrais ce qui suit:

Mardi, vers une heure de l’après-midi, des coups de marteau et de crosse retentissent sur le quai Voltaire, à la porte cochère du Moniteur universel [15 quoi Voltaire, non loin du Journal officiel]. La porte, fermée à double tour, est enfoncée, la serrure arrachée. Une dizaine de fédérés, dont plusieurs membres de la Commune [le seul membre de la Commune nommé est Avrial], pénètrent dans le couloir qui conduit à la cour intérieure. Là, ils s’emparent de la femme du concierge, seule en ce moment, et la saisissant violemment par le bras. — C’est ici un repaire de brigands, d’assassins ! Que faites-vous ici? Au poste! Qu’on la fusille! Apercevant des caisses de colis d’imprimerie et des pièces de machines, ils crient à tue-tête : — On cache des hommes ici ! Ce sont des munitions ! Qu’on la fusille ! Je m’en charge! dit l’un des envahisseurs. Où est votre mari ? Il nous le faut! Tous ceux qu’on trouvera ici seront fusillés, et votre mari aussi, devant vous, et vous après !

etc., etc. La suite de l’histoire est que ces fédérés, apprenant l’arrivée de l’armée, s’enfuient. L’article, assez long, a été repris par L’Illustration. Et il n’y a pas de doute que tout le monde pensait qu’il n’y avait qu’un Millière et qu’il avait bien mérité d’être exécuté. C’est aussi cet article que lisaient ceux qui ont assisté à son assassinat, comme on peut le lire dans La Semaine de Mai. On a continué à justifier ce crime, voyez par exemple, peu de jours après, le 3 juin 1871, lorsque toute la presse recopie des ordres, prétendument trouvés sur des insurgés, celui-ci:

Le citoyen Millière, à la tête de 150 fuséens, incendiera les maisons suspectes et les monuments publics de la rive gauche, Le citoyen Dereure, avec 100 fuséens, est chargé du 1er et du 2e arrondissement. Le citoyen Billioray, avec 100 hommes, est charge des 9e, 10e et 20e arrondissements. Le citoyen Vésinier, avec 50 hommes, est chargé spécialement des boulevards de la Madeleine à la Bastille. Ces citoyens devront s’entendre avec les chefs de barricade pour assurer l’exécution de ces ordres.
Paris, 3 prairial an 79.  
Delescluze, Régère, Ranvier, Johannard, Vésinier, Brunel, Dombrowski

La signature n’a aucun sens. Le comité de salut public était composé, à cette date (23 mai) d’Arnaud, Billioray, Eudes, Gambon et Ranvier. La signature de Delescluze, délégué à la guerre, pouvait accompagner les leurs. Les autres n’avaient aucun titre à signer un tel ordre. Encore un faux!

Et si vous voulez quelques informations sur « l’autre » Millière, n’hésitez pas à lire l’article suivant!

(À suivre)

Livre cité

Pelletan (Camille)La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).