Eugène Gérardin était un des membres de la commission parisienne de l’Association internationale des travailleurs élue à la fin de 1867. Inculpés pour « association illicite », lui et ses camarades ont tenté de maintenir l’association en vie. Dès le 19 février 1868, ils sont contraints d’appeler à élire une nouvelle commission. C’est la première fois, à ma connaissance, que son nom est apparu publiquement en bas d’une déclaration — avec treize autres, voici cette liste :

A. Murat, Héligon, Chemalé, H. Tolain, Gérardin, Camélinat, Guiard, Perrachon, Delahaye, Ballamy, Fournaise fils, Dauthier, Gauthier, Bastien.

Le 1er mars, c’est le « bureau de Paris » qui publie les candidats et ce sont « les correspondants » de la commission parisienne qui signent, A. Murat, Camélinat, Gérardin. Ce sont aussi eux qui annoncent, le 10 mars, les résultats. Entre temps, le 6 mars, ils se sont trouvés quinze devant la fameuse 6e chambre du tribunal correctionnel de Paris, comme je l’ai raconté dans un article ancien — et les nouveaux élus y sont bientôt passés à leur tour. Tous les quinze sont condamnés à verser 100 francs d’amende. Voici la liste des prévenus du « premier procès », telle qu’elle était dans cet article : Félix Eugène Chemalé (architecte), Henri Tolain (ciseleur), Jean-Pierre Héligon (imprimeur sur papiers peints), Zéphirin Camélinat (monteur en bronze), André Murat (mécanicien), Blaise Perrachon (monteur en bronze), Joseph Fournaise (ouvrier en instruments de précision), Pierre Michel Gauthier (bijoutier), Irénée Dauthier (sellier), Jean-Victor Bellamy (tourneur-robinettier), Eugène Gérardin (peintre en bâtiments), Jean-Pierre Bastien (corsetier), Victor Guyard (monteur en bronze), Jean Delorme (cordonnier).

Il nous reste trois ans avant la Commune, juste le temps que je vous donne quelques renseignements sur Eugène Gérardin, un des plus inconnus, un des plus discrets parmi les membres de la Commune.

Il est né le 26 mai 1827 à Herbigny, un village de 300 habitants (à cette époque) dans le département des Ardennes — entre Reims et Charleville-Mézières. C’est son acte de naissance qui fait la couverture de cet article. Son père était « domestique de charrue » (si son acte de naissance ne nous dit rien de la profession de sa mère, Jeanne Marie Baudrillard, l’acte de mariage de ses parents nous dit que, un an plus tôt, elle était journalière et lui « peigneur de laine », comme d’ailleurs le père de Jeanne Marie). Je ne sais pas quand il est venu à Paris et où il a appris son métier de peintre en bâtiments, mais je sais que, en 1857, il avait trente ans et habitait 6 rue de l’Échaudé-Saint-Germain (aujourd’hui rue de l’Échaudé, dans le sixième arrondissement). Il a alors épousé une couturière, Caroline Anastasie Gosselin (ou Gochelin ?) — elle habitait Auteuil et c’est donc à la mairie de ce village qu’ils se sont mariés. Ils ont emménagé à 200 mètres de son logement à lui, 6 rue Cardinale, et y ont eu une petite fille, Augustine Caroline. Ils ont peut-être eu d’autres enfants, je ne sais pas.

Il a suivi, à un moment ou à un autre, les « cours gratuits » d’adultes de l’Association polytechnique. Il a, en effet, été signataire, avec d’autres, parmi lesquels le relieur Lusine (que nous avons déjà rencontré ici ou ), d’une lettre rendant hommage, après sa mort, à Auguste Perdonnet, président de cette association, parue dans Le Temps du 6 octobre 1867.

On signale (la notice du Maitron, par exemple), qu’il dit avoir quitté l’association internationale des travailleurs (je n’ai pas vu la source de cette « information »), mais on néglige de mentionner son activité militante parmi les ouvriers peintres en bâtiment.

Il a été l’un des organisateurs d’une réunion qui a regroupé, le 21 avril 1867, de 2 500 à 3 000 peintres en bâtiment et a fondé la chambre syndicale des ouvriers peintres en bâtiments. On en lit l’annonce dans L’Avenir national le 18 avril et des comptes rendus dans L’Opinion nationale et L’Avenir national des 26 et 27 avril. Cette réunion s’est déroulée pendant une grève des tailleurs et, naturellement, une collecte en leur faveur y a été faite. On remarque aussi à ses côtés Hector Piednoir et Constant Demeulle, qui ont été, eux aussi actifs dans le quatrième arrondissement pendant la Commune (comme je l’ai appris en lisant le mémoire de DEA de Maxime Jourdan). Mais nous n’en sommes pas là.

Le 11 octobre 1867, il habitait rue Jarente, dans le quatrième arrondissement, et, avec huit de ses collègues peintres en bâtiments, il a fondé une « société coopérative de production anonyme », sous le nom d’ « Association générale d’ouvriers peintres en bâtiments ». Voir la Gazette nationale ou le Moniteur universel du 9 novembre 1867.

Nous l’avons vu passer, discrètement, pendant le siège de Paris, où il habitait le quatrième arrondissement. Selon les notes d’Adolphe Clémence, il participait aux réunions publiques de la salle Bourdon. Il l’a dit lui-même, un an plus tard, aux militaires du conseil de guerre qui l’interrogeaient. Il a dit aussi que, le 31 octobre, il était « de piquet » avec son bataillon (le 94e) place de l’Hôtel-de-Ville et que le 22 janvier, il était à l’enterrement de la fille de Murat.

Il était membre du comité de vigilance du quatrième arrondissement. C’est là que Gustave Lefrançais a dû faire sa connaissance. « Ouvrier laborieux, intelligent mais peu expansif et dont on ne sait au juste la pensée. On prétend dans le quartier qu’il est en relation avec les cléricaux. Mais il est difficile de rien savoir de précis. » Nous l’avons vu signer l’affiche rouge du 6 janvier 1871.

Livres cités et autres sources

Archives départementales des Ardennes.

Dossier 8J378 au SHD. Merci à Maxime Jourdan!

Procès de l’Association internationale des travailleurs — Première et deuxième commission du bureau de Paris, Deuxième édition publiée par la Commission de propagande du Conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs, Juin 1870.

Jourdan (Maxime)Étude des réseaux sociaux et des comportements politiques dans le IVe arrondissement de Paris (4 septembre 1870-28 mai 1871), mémoire de DEA (2006).

Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013),