Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
58. Mercredi 16 février 1870
Une vraie guest-star, mon ami Lissagaray, qui fait l’éditorial, sous le titre « Flûtistes » (voir ci-dessous) ;
Antonin Dubost s’extasie de « La justice du peuple », le dictateur arrivé au pouvoir par un coup d’état est jugé par un tribunal révolutionnaire, condamné (et exécuté), oui, oui, mais c’est à Port-au-Prince ;
on continue à parler des prisons de l’empire, c’est Ulric de Fonvielle ;
message de sympathie au journal envoyé de Francfort ;
le « Courrier politique » de J. Labbé discute encore le complot, bien que, un journal ministériel l’a dit, il n’y a pas de conspiration dans l’acception ordinaire du mot, de quoi inspirer un journaliste politique ;
un fruitier de la rue Bertholet refuse de payer l’impôt ;
Achille Dubuc est décidément libre, le voilà qui nous parle de « L’avenir », il a vu les mineurs, leurs familles, il répond au
Les esprits sont apaisés, les émotions sont vaincues, l’ordre règne
d’Ollivier, vous ne pouvez être que la force, la République, c’est le droit et l’honnêteté ;
Combault, que nous avons vu signer des textes de l’Association internationale des travailleurs, nous prévient, « Attention citoyens ! », de possibles provocations ;
les « Nouvelles politiques » ne sont pas très excitantes ;
les « Dernières nouvelles du complot » viennent, au conditionnel, d’autres journaux ;
un peu d’agitation en province ;
un électeur de la première circonscription propose, puisqu’il n’est plus représenté, de s’opposer à tous les projets de loi ;
L’Ingénu découvre, méritant ainsi son nom, que les étudiants appartenant à la société des gourdins réunis sont du cercle catholique et, plus amusant, que le policier qui a arrêté Rochefort est un Hercule de foire (on en reparlera dans le numéro daté du 19 mars) ;
dans les « communications ouvrières », on apprend la création d’une section de l’Internationale à Clichy, la section de Puteaux cesse de se nommer Travailleurs Unis puisqu’après tout elle est une section de l’AIT, nous informe son secrétaire B. Malon ;
Alfred Talandier écrit de Londres contre le catholicisme des Irlandais et accuse ceux-ci d’avoir empêché l’élection d’Odger, cet article aura quelques suites ;
« Nos informations » portent sur les arrestations, et en particulier pour le guet-apens tendu à Tridon et dans lequel celui-ci n’est pas tombé, mais aussi sur les prisons, celle de la Santé (assez récente) et sur le pavillon des Princes de Pélagie ;
un relieur, Lusine, envoie sa protestation contre l’arrestation de Varlin ;
il est tombé beaucoup de neige dans le midi et c’est Victor Dictys qui signe les « Faits divers » ;
on souscrit toujours, pour Victor Noir et pour le Creuzot ;
on parle de Pierre Bonaparte dans les « Tribunaux ».
Je l’ai dit, je garde l’article de « Lissa ».
FLÛTISTES
Les prisons sont engorgées, les réunions fermées, les cadavres encore à la Morgue : près de cinq cents familles se lamentent veuves de leur chef ou privées de leur enfant. Piétri signe à la vapeur les mandats d’amener, Ollivier les poursuites contre la presse. Conférenciers, gens de la gauche, voici le moment ou jamais.
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Hier, conférence au Cirque. C’est beau, c’est noble ; Remparts de la liberté, je reconnais vos grandes âmes. Toujours au premier rang, prêts à opposer aux casse-têtes et aux fusillades vos périodes bien nourries et vos apostrophes meurtrières. Qu’on triple les postes, qu’on bourre les canons, tous les Canrobert et tous les Piétri du monde n’arrêteront pas vos flèches d’or.
Impassibles et muets au palais Bourbon, réservez vos tonnerres pour les cirques du dimanche. Et là, devant un public choisi, enseignez les devoirs civiques, vous qui les pratiquez si vaillamment à la Chambre. Machiavel en main, pulvérisez Napoléon III par des allusions foudroyantes, ou tirez-nous des larmes au récit des misères coloniales. Voilà le vrai courage, voilà votre vraie tâche. Ni indignés, ni irréconciliables, ni démissionnaires : tous conférenciers.
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Daignerez vous au moins, fin courant, vous souvenir que vous êtes députés, en passant à la caisse. Allez ! émargez sans crainte. Désormais les braillards n’assourdiront plus vos nobles oreilles. Mandataires du peuple, le peuple est suffisamment meurtri ; conférencez en paix.
C’était devenu vraiment intolérable. Toutes ces petites gens qui s’arrogeaient des droits ! « Citoyens (ils se perrmettaient des familiarités), daignez venir à telle réunion, aidez-nous dans telle démarche. Expliquez-nous tel acte, tel vote, telle abstention. » Et puis les récriminations les plus inconvenantes : « Où étiez-vous en juin quand l’émeute policière nous assommait ? Quoi, vous avez toléré sans protester que l’empereur vous mît à la porte en juillet ! Au 26 octobre, nouveau soufflet, même patience ! Quoi ! pas un de vous derrière le cercueil de Victor Noir ! Un député du peuple est mis en accusation, et vous marmottez du bout des lèvres ! Des travailleurs réclament leur dû. Votre président s’esquive, abandonne son fauteuil, fait charger les chassepots du Creuzot et vous ne soufflez mot ! L’altesse assassine gobelotte dans les salons de la Conciergerie, et vous aiguisez des épigrammes ! Un élu du peuple va être arrêté, un seul de vous se lève sérieusement, le reste opine du bonnet ! On arrête cet élu du cœur de sa circonscription, le faubourg s’émeut, les morts, les blessés s’amoncellent ; pas un de vous ne ceint son écharpe, ne s’interpose entre la police et le peuple, jurant que si satisfaction ne lui est pas faite, vous donnerez votre démission ! Quoi ! pas une visite aux familles des blessés et des morts ! Qui défendra les prisonniers ?… Citoyen par ci, représentant par là… » C’était, je le répète, intolérable. Ces gens du peuple sont d’un indiscret…
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Heureusement le sauveur a paru. Ah ! ce n’est pas une poignée de main main mais un gros cierge que vous devez à ce cher Émile, pauvres opprimés de la gauche. Il a chassé ces insolents moustiques, ces questionneurs acharnés exigeant des réponses catégoriques, préférant un mot à une phrase et un acte à un mot, haussant l’épaule aux lignes de rhétorique, bien éveillés, impossibles à endormir. — Vous ont-ils assez tourmentés, fait suer, maigrir pendant six mois. — Bancel est sur le flanc, Jules Simon rend l’âme. — Vrai, cela ne pouvait durer.
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C’est le tant calomnié qui vous sauve. Son Excellence la Force, votre élève, saluez. Quelques cadavres, 500 arrestations, ce n’est guère. Dame ! on n’a pas toujours les aubaines de Juin-Cavaignac.
Pour l’heure et c’est l’important, les voyous se taisent. Les gens de goût peuvent tendre l’oreille, les majestueux ronronnements vont recommencer. En avant les métaphores étincelantes. On va faire enfin de la politique sérieuse, savante, stratégique ; pas d’éclat, oh non ! des niches de bonne compagnie. Tâchez de vous tenir, Gambetta, ou nous vous laisserons exécuter comme Rochefort. Enfin nous n’entendrons plus cette voix goguenarde glapir au-dessus de nos têtes. — Tas de Démosthènes, que pensez-vous de ceux qui meurent de faim ?
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Déjà Théodule [les députés « de gauche » en prennent là pour leur grade] astique ses pipeaux. Sur le mode lamentable il supplie la noble assemblée de retenir son souffle. L’âme de Théodule tient à un fil, un simple fil. Il le sait bien, le pauvre homme, il a usé cette pauvre âme à défendre le peuple — et comme il l’aime ce peuple ! Ah ! tenez, il pleure, il sanglote, il fond, mais il ira jusqu’au bout. Voilà trente ans qu’il meurt, il mourra s’il le faut pendant trente ans encore jusqu’à ce qu’il soit… ministre. Oh ! en tout bien tout honneur. En attendant, sa revendication expire dans un gloussement plaintif.
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Olympius a gravi la tribune. Déjà son galoubet résonne et, s’allongeant derrière lui comme la queue d’un archevêque, les périodes harmonieuses traînent encore sur les degrés. Il invoque les lois des sphères, et Jupiter qui les accorde et Ollivier qui les embrouille. Il va décrire, — avec quelle éloquence les tribunes en frémissent ! — les barricades et leurs défenseurs, les sergents de ville acharnés brandissant les casse-tête et les soldats graissant leurs chassepots, la face pâle des morts, les plaintes des mourants et les blessures hideuses…
Eh quoi ! il s’arrête… — Ne pourriez-vous attendre huit jours, cher maître, insinue mielleusement son Exc. la Force ? Oh ! qu’à cela ne tienne, pour vous être agréable, les cadavres attendront bien huit jours.
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Comment donc, messieurs de la gauche, les morts attendront tant qu’il vous plaira. Et les vivants, bien plus encore. Ce n’est plus comme en 48, trois mois de misère, mais six bonnes années que nous mettons à votre crédit. Et puis ces morts, ces blessés, ces braillards, c’est du bien petit monde. Les gens honorables se plaignent autrement. Est-ce que MM. Pouyer-Quertier ou Brame font des émeutes ? Et cependant on leur tire le pain de la bouche, chacun sait ça. Que diable ! on nomme des commissions, on fait des enquêtes, et après trois années de marche, de contre-marche, de rapports, de discussions, on terrasse le double décime par exemple, ou l’on emporte de haute lutte la réduction du tarif télégraphique.
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Et voilà comment on sert le peuple no-ble-ment, so-len-nelle-ment, par-le-ment-tai-re-ment, pendant la semaine, et le dimanche on l’évangélise en plein vent. Ah ! continuez, gens de la gauche, mais de grâce ménagez vos forces précieuses et surtout ne prodiguez pas en public vos personnes sacrées. Car, j’en frémis, qu’arriverait-il, grands dieux, si un dimanche au milieu de votre plus pathétique roulade, une ombre se levait dans la salle, père, frère ou ami d’un mort, d’un blessé, d’un prisonnier, et vous criait d’une voix méprisante : « À ton poste, déserteur ! »
LISSAGARAY
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La photographie de couverture représente (encore!) la prison de la Santé, vue de dehors cette fois, c’est une photographie d’agence qui date de 1909 et nous vient de Gallica, là.
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