Dès le 18 mars 1871, un blocus de Paris a été organisé par le gouvernement qui avait suivi Thiers dans sa fuite à Versailles.

Je ne parle pas du blocus alimentaire, qui n’a jamais été vraiment efficace: le nord et l’est de Paris étaient entourés par l’armée prussienne, qui n’a pas empêché le ravitaillement d’arriver à la ville.

Je parle du blocus de l’information.

Le courrier (dans les deux sens) a été bloqué et stocké à Versailles. Albert Theisz a rétabli le fonctionnement de la poste dans Paris, mais il n’a pu trouver que quelques astuces pour l’extérieur: aller faire poster le courrier à Saint-Denis ou plus loin… de toute façon, quelques lettres ne remplacent pas la presse.

La presse parisienne n’a jamais pu franchir les fortifications, sauf, encore une fois, portée de la main à la main. Par exemple, Marx, à Londres, lisait les journaux parisiens, mais il avait un (des) porteur(s) spécia(ux)l. Ainsi, il en savait beaucoup plus que la plupart des habitants de la province française. Il y avait d’ailleurs un correspondant de journaux anglais à Paris, Robert Reid, favorable à la Commune et qui envoyait des informations au Daily Telegraph.

La province française n’avait, pour s’informer, que la presse d’inspiration versaillaise. Qui représentait les « Parisiens » comme des ivrognes assoiffés (aussi) de sang se livrant à des bacchanales et autres orgies rouges…

En 1871, en plein exode rural, 80% des habitants de Paris étaient nés « dans les départements ». On imagina donc d’envoyer des Parisiens informer (à l’assemblée de Versailles) les députés des départements dont ils étaient originaires.

Il y eut aussi le tract « Au travailleur des campagnes »:

Frère, on te trompe!

Rédigé par André Léo, publié et republié dans la presse (parisienne), envoyé par ballons vers les campagnes… et dont nul ne sait combien d’exemplaires furent lus.

Un blocus presque infranchissable.

Il y eut pourtant bien un journal de province, La Tribune de Bordeaux, pour publier un « reportage », quatre articles écrits par un journaliste rendant compte de son séjour à Paris. Ces quatre articles devaient être suivis d’autres mais, pour une raison ou pour une autre, ils restèrent sans suite. Ce sont bien quatre articles « de notre envoyé spécial dans le Paris communard ». Je serais étonnée qu’il y ait eu d’autres articles de même nature dans d’autres journaux, mais ce n’est pas impossible.

Le « reporter » était Paul Lafargue, et il n’est pas certain qu’il se soit rendu à Paris « pour » La Tribune de Bordeaux.

Bien que ce journaliste soit déjà apparu sur ce site ici ou là, comme rédacteur de L’Égalité en 1880, ou du Socialiste en 1885, il n’est peut-être pas inutile de rappeler très brièvement quelques faits le concernant.

  • né à Cuba en 1842
  • études en France depuis 1851
  • étudiant en médecine à Paris, combat le second empire, collabore à La Rive gauche, de Longuet
  • en 1865, rencontre Marx à Londres, participe au Congrès international des étudiants à Liège, est exclu des universités françaises
  • continue ses études en Angleterre, où il entre au Conseil de l’Internationale (1866) et se marie avec Laura Marx (1868)
  • tous deux reviennent à Paris, ont deux enfants, perdent une petite fille, et quittent Paris pour Bordeaux en septembre 1870, ils y ont un troisième enfant
  • signataire de l’affiche rouge (il est donc passé par Paris en janvier 1871)
  • de retour à Paris pendant la Commune, du 7 au 18 avril
  • fuit à Luchon avec Laura, ses deux fils et ses deux sœurs, pendant l’été, y perd encore un bébé, puis fuit en Espagne
  • perd un troisième enfant, s’installe à Londres avec Laura en 1872
  • de retour en France en 1882, activité militante et de journaliste ensuite
  • fondateur avec Jules Guesde du Parti ouvrier français, POF, sous l’étiquette duquel il fut même élu député
  • en 1911, atteignant l’âge de 70 ans, il se donne la mort ainsi que Laura; parmi les orateurs lors de leurs obsèques on trouve Alexandra Kollontaï et Lénine.

Les articles suivants sont son reportage dans la capitale communarde.

(à suivre)

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La carte de la France en 1871 vient de Gallica, ici.

Livres utilisés

Laurent (Benoît)La Commune de 1871. Les postes, les ballons, le télégraphe, Lucien Dorbon, Paris (1934).

Girault (Jacques), La Commune et Bordeaux, Éditions sociales (1971).