En 1900, Charles Longuet traduit en français La Guerre civile en France, l’adresse prononcée par Marx le 30 mai 1871 au Conseil de l’Internationale. Ce n’est pas la première traduction ni même la première traduction de Longuet. Il n’est pas question ici de commenter cette traduction (j’en ai déjà touché deux mots, j’y reviendrai peut-être une autre fois), mais d’en publier une des notes, celle où Charles Longuet, qui fut, pendant une partie de la Commune, délégué au Journal Officiel, raconte la mort d’Émile Duval. La voici. Comme toujours, ce qui est en bleu m’est dû, le reste est citation.
Cet article est le quatrième d’une série consacrée à Émile Duval, dont les trois premiers le montraient à la Préfecture de police, au troisième procès de l’Internationale, organisant le treizième arrondissement.
Mort de Duval
Vers la fin de l’Empire, Duval, alors âgé de 25 ans [il est né le 27 novembre 1840], faisait partie d’un groupe blanquiste de son arrondissement, le XIIIe. Il n’adhéra, je crois, à l’Internationale que vers 1870, après la grève des fondeurs en fer […]
C’est à cette occasion qu’il révéla ses qualités maîtresses: une énergie et une ténacité indomptables. Duval est un admirable échantillon des forces morales que contenait le peuple de Paris en 1870, et qu’une ferme volonté de défendre réellement la France eût pu employer victorieusement.
Après la capitulation, Duval, toujours préoccupé d’organiser la force révolutionnaire, commanda bientôt tout le XIIIe [voir un article précédent], et quelque temps avant l’attaque de M. Thiers, ce fut également de Duval que la plupart des bataillons du Ve arrondissement reçurent les ordres [Longuet lui-même a commandé le 248e, un bataillon du cinquième]. Le 18 mars, dans la soirée, il s’emparait de la Préfecture de police, où Rigault ne vint le rejoindre que dans la nuit [voir cet article].
Le jour de la sortie du 3 avril, Duval, qui depuis le 20 mars n’avait cessé de la réclamer, était parti joyeux et plein de confiance. Vers 2 heures du matin, un de mes plus jeunes collaborateurs de l’Officiel, Paul Vapereau, […] m’apporta quelques lignes de Duval. Le pauvre garçon était si sûr de la victoire qu’il m’invitait à dîner le lendemain à Versailles! Deux jours après, comme le héros grec, il aurait pu dire à la poignée d’hommes restés près de lui: « Ce soir, nous souperons chez Pluton. »
Cette mort volontaire [?] de Duval, ouvrier fondeur et général d’armée, forme un des épisodes les plus caractéristiques, les plus symboliques de la première grande prise d’armes du prolétariat. Les deux antagonistes, j’entends les deux classes en lutte, y apparaissent dès le début en pleine lumière, sinistrement sous l’effigie d’un Vinoy, vomissant l’injure contre la victime qu’il va frapper, radieusement sous les traits impassibles de Duval s’offrant à la mort, sans phrases.
Voici le récit de Lissagaray:
Entouré seulement d’une poignée d’hommes, toute la nuit il ne cessa de répéter : « Je ne reculerai pas. »
Le 4 avril, à 5 heures, le plateau et les villages voisins sont enveloppés par la brigade Derroya [Derroja] et la division Pellé : « Rendez-vous, vous aurez la vie sauve », fait dire le général Pellé. Les fédérés se rendent. Aussitôt les Versaillais saisissent les soldats qui combattaient dans les rangs fédérés et les fusillent. Les autres prisonniers, enfermés entre deux haies de chasseurs, sont acheminés sur Versailles. Leurs officiers, tête nue, les galons arrachés, marchent en tête du convoi.
Au Petit-Bicêtre, la colonne rencontre Vinoy. Il ordonne de fusiller les officiers. Le chef de l’escorte rappelle la promesse du général Pellé. Alors, Vinoy: « Y a-t-il un chef? » — « Moi! » dit Duval, qui sort des rangs. Un autre s’avance: « Je suis le chef d’état-major de Duval ». Le commandant des volontaires de Montrouge vient se mettre à côté d’eux. « Vous êtes d’affreuses canailles ! » dit Vinoy, et se tournant vers ses officiers : « Qu’on les fusille ! » Duval et ses camarades dédaignent de répondre, franchissent un fossé, viennent s’adosser contre un mur, se serrent la main, crient : « Vive la Commune ! » meurent pour elle. Un cavalier arrache les bottes de Duval et les promène comme un trophée ; un rédacteur du Figaro s’empara du faux-col ensanglanté. (Histoire de la Commune.)
L’auteur de ce récit, d’autant plus émouvant qu’il est exempt de déclamation, ajoute en note:
Vinoy écrivit: « Les insurgés jettent leurs armes et se rendent à discrétion; le nommé Duval est tué dans l’affaire ».
Le livre de Vinoy parut après la victoire versaillaise, après le massacre de trente-cinq mille Parisiens dont le plus grand nombre étaient restés étrangers à la lutte finale. N’est-il pas admirable qu’il se défende de l’exécution sommaire d’un seul des vrais combattants? De même que l’hypocrisie est un hommage rendu à la vertu, le mensonge de ce général assassin est encore un hommage à l’humanité.
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Longuet cite Lissagaray qui lui-même cite Vinoy. Ce qui fait plusieurs livres à citer!
L’image de couverture ne représente pas l’endroit où Duval a été tué, mais la prise de la redoute de Châtillon le 4 avril, elle a été publiée par Le Monde illustré le 15 avril 1871.
Livres cités
Marx (Karl), La Guerre civile en France (La Commune de Paris), traduction de Charles Longuet, présenté par Amédée Dunois, Librairie de L’Humanité (1925).
Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).
Vinoy (Joseph), L’Armistice et la Commune, Plon (1872).