Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
22. Dimanche 9 janvier 1870
Le rédacteur en chef en fait le sujet de son éditorial ;
nos confères du Rappel ont été condamnés à une peine sévère (les peines sont détaillées dans la rubrique « Tribunaux ») ;
Haussmann est parti — à proximité d’une frontière ;
Arnould fustige aujourd’hui Ernest Picard, ce député « de gauche » prêt à se rallier au ministère, c’est-à-dire, rappelle Arnould, à l’empire, « le jour venu ils eussent mis la main sur la République » (on peut changer de temps et écrire ils mettront, c’est ce qu’ils vont faire, mais le journaliste ne le sait pas) il conclut « Restons seuls à la peine, — nous serons seuls à la victoire » ;
le feuilleton « Le Roi Bobèche » se termine avant que j’aie trouvé la place de vous raconter l’histoire ;
dans « Boulevards et faubourgs », je repère le nom de Deguerry, curé de la Madeleine qui (sera fusillé comme otage et, en attendant) est pressenti comme confesseur de l’impératrice ;
Dereure rend compte d’une réunion publique sur le génie d’Aristophane, que présidait Rochefort, salle Molière pleine, discours de Mathorel, intervention de Flourens, dissolution de la réunion par un commissaire pas très intelligent en philosophie et littérature, ah ! on a dû bien s’amuser !;
une lettre du Cher énumère des singeries que l’on fait courir dans les campagnes, ce que Dereure transmet et commente ;
dans la « Tribune militaire », Flourens traite de la faveur dans l’armée ;
Millière dresse les conséquences de la faute que le Peuple de février (1848) a commise en abandonnant sa dictature révolutionnaire à onze citoyens,
il faudra qu’il conserve et qu’il exerce lui-même cette dictature,
il nous dira demain comment elle sera organisée ;
je réserve quelques communications ouvrières ;
Germain Casse conseille la lecture du livre de Benjamin Gastineau, « Les Suites du coup d’état » (qui n’est pas sur Gallica) ;
Dereure clôt la souscription pour la vache ;
parmi les nouvelles diverses encore un horrible accident de mine ;
le feuilleton de « L’Affaire Doineau » se poursuit.
Je garde deux annonces « internationalistes ».
BULLETIN DU TRAVAIL
On nous demande l’insertion de l’appel suivant :
Aux imprimeurs lithographes
Chers confrères,
L’union et la solidarité renaîtront-elles parmi nous ? Oui, si nous le voulons bien ; mais il est indispensable que nous agissions au plus tôt ; car la besogne sera rude si nous voulons enfin réaliser, d’une manière complète et définitive, les bienfaits que comporte notre devise révolutionnaire : Liberté, Égalité, Fraternité, devise qui jusqu’ici a été plus souvent prononcée que comprise.
Pour cela, nous n’avons qu’à mettre en œuvre les moyens d’action que nous avons sous la main et à nous unir par la solidarité.
Un baron industriel de Marseille qui possède une des plus fortes usines de sa localité, disait, ces jours derniers, à propos de la grève des fondeurs, qu’il préférerait ne jamais rouvrir ses ateliers que de céder aux réclamations des travailleurs.
Des faits qui se sont produits sur tous les points où ont éclaté des grèves, il résulte clairement que nos seigneurs fabricants, détenteurs de l’outillage et de la matière première, sont ligués, solidarisés par le maintien de leurs privilèges et monopoles ; qu’ils ne veulent pas discuter et qu’ils ne daigneront jamais entrer en transaction avec nous dans les conflits qui peuvent survenir.
Le capital prétend, comme par le passé, rester seul maître ; il prétend que les exploités soient soumis toujours et sans merci aux caprices des exploiteurs.
D’un autre côté, si nous examinons la situation industrielle, nous constatons que depuis quelques années, grâce à la centralisation des capitaux dans quelques puissantes compagnies, la grande industrie tend à remplacer partout la petite. Au lieu de voir comme autrefois de petits ateliers où un modeste artisan travaillait avec quelques compagnons, on voit de vastes établissements où sont entassés des centaines et même des milliers de prolétaires.
Devant ces forces organisées, un seul moyen de salut s’offre à nous : l’association, l’association large, l’association générale basée sur la solidarité.
Chers confrères, efforçons-nous donc de nous débarrasser de tous ces ferments de discorde qui existent encore entre nous, de toutes ces mesquines compétitions qui nous obsèdent. Unissons-nous ; serrons nos rangs ; un pour tous, tous pour chacun. Concentrons aussi nos forces et nos ressources. Nous tous membres de l’Association des imprimeurs lithographes, de la Société de résistance et de solidarité, de la Société de prévoyance, de la Société de Prado, de la Société de Sesclegder, de la Société de l’Union, etc., nous avons le même cœur pour nous aider, le même courage pour agir et la même énergie pour nous affranchir mutuellement.
Que les quinze cents ouvriers lithographes, membres des différentes sociétés existantes à Paris, se concertent et s’entendent pour fonder une seule et grande association de production sur les bases de la véritable coopération, et conformément aux idées développées dans les congrès ouvriers de la société internationale. Avant peu nous serons une puissance capable de compter avec nos exploiteurs, et alors, mais seulement alors, nous obtiendrons justice et égalité.
Une réunion, dans laquelle pourraient être discutées et arrêtées les conditions de la nouvelle association, aura lieu le dimanche 9 janvier à 10 heures très précises, école de garçons, boulevard Richard-Lenoir (passage Raoul). Nous invitons instamment à y participer tous les lithographes qui ont à cœur la revendication de leurs droits de travailleurs.
J. FRANQUIN, imprimeur lithographe
délégué au Congrès de Bâle
42, rue de la Verrerie
Dans quelques mois, au cours du troisième procès de l’Internationale, Jules Franquin sera le trésorier de cette association — dont le nom n’est pas cité, mais c’est bien sûr d’elle qu’il est question comme « société internationale », et c’est cette association qui a tenu son congrès à Bâle, mais elle est interdite, quoique dans une période de « renaissance ». C’est d’elle aussi que parle Varlin dans le deuxième extrait que j’ai retenu : il va rendre compte à ses mandants (de la société des ouvriers relieurs, ce que le journal omet de préciser) du congrès de Bâle.
Dans le journal de demain, ces deux annonces seront modifiées.
COMMUNICATIONS OUVRIÈRES
Monsieur,
Nous avons l’honneur de vous informer que l’Assemblée générale qui devait avoir lieu en novembre dernier et qui a dû être retardée par suite de l’impossibilité de la tenir à cette époque, se tiendra dimanche prochain, 9 janvier, à 1 heure et demie précise, dans le petit amphithéâtre de l’École de médecine.
Vous êtes instamment prié de ne pas manquer à cette Assemblée dont vous pouvez juger l’importance par le programme suivant :
Ordre du jour :
1° Lecture des procès verbaux ;
2° Démissions, radiations, admissions ;
3° Reddition des comptes ;
4° Rapport de la commission de vérification ;
5° Nomination de nouvelles commissions d’administration et de vérification ;
6° Adhésion à la chambre fédérale ;
7° Rapport du délégué au Congrès de Bâle.
Salut et fraternité.
Le président de la Commission,
E. VARLIN
*
L’image de couverture est une planche du nouveau manuel complet de l’imprimeur lithographe, que l’on trouve sur Gallica, là.
*
Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec les articles de Flourens (Tribune militaire) et Millière (Questions sociale) ressaisis, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).