Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
56. Lundi 14 février 1870
Le journal se vend normalement 15 centimes, mais certains marchands le vendent 25 centimes et plus, celui d’aujourd’hui est exceptionnellement à 50 centimes ;
Rochefort demande la mise en accusation du ministère (voir ci-dessous) ;
nous attendons toujours nos amis, mais ils sont toujours en prison ;
Édouard Mebecker, nouveau venu ou pseudonyme ;
Antonin Dubost, qui est pour l’unité du « parti républicain », attaque la gauche parlementaire qui refuse de prendre en main la défense des victimes de l’arbitraire impérial, état de siège, quatre cents arrestations, interdictions de réunions, visites domiciliaires, et la « gauche radicale » garde le silence ;
Claretie, qui n’a pas le temps d’envoyer un article pour le numéro extraordinaire prévu pour dimanche, envoie une lettre sur le club des gourdins, qui, au nom de l’ordre, va casser les têtes et mettre en sang les mâchoires ;
une histoire de réunion dispersée ;
des étudiants en droit écrivent pour protester contre d’autres étudiants qui adhèrent aux gourdins ;
à « La Chambre », on dit au début de séance que, sur les instances de Jules Favre, Gambetta renoncerait à interpeller le gouvernement à propos des récentes arrestations, d’ailleurs, justement, Gambetta est malade, Ordinaire, lui, joue bien son rôle de mandataire de Rochefort, très faiblement appuyé par la gauche ;
« Une violation de domicile », celui du citoyen Mégy, un ouvrier mécanicien de vingt-six ans qui a tiré sur les policiers entrés chez lui la nuit, ce qu’aucune loi ne les autorisait à faire, et en a tué un; Mégy est au secret à Mazas ;
tentative de faire le point sur les arrestations (pour tentative de changer la forme du gouvernement) ;
Tony-Moilin, qui avait convoqué une réunion privée chez lui, a été arrêté ;
J. Labbé nous appelle à rester debout,
je maintiendrai contre tous la révolution démocratique et sociale,
conclut-il ;
les journaux parlent des arrestations, bien sûr ;
toutes les « réunions publiques » sont interdites, informe Barberet dans la rubrique de ce titre ;
le compte rendu analytique du Corps législatif contient l’essai par Ordinaire de transmettre la proposition de Rochefort, refusé par un Schneider hystérique ;
souscription, Bourse et « La Rampe », par encore un nouveau venu, Victor Dictys.
DEMANDE
DE MISE EN ACCUSATION du MINISTÈRE
POUR PROVOCATION À LA GUERRE CIVILE
PAR LE CITOYEN HENRI ROCHEFORT
Considérant que la responsabilité du chef de l’État est absolument illusoire ;
Considérant néanmoins qu’il peut exister des tribunaux compétents pour apprécier celle des ministres ;
Attendu qu’un député a été arrêté dans la rue au milieu de ceux qui l’avaient élu, quand il était facile de l’appréhender au seul domicile qu’il possède et qu’il n’avait pas quitté depuis son arrivée au Corps législatif, jusqu’à son départ pour la réunion publique qu’il devait présider ;
Attendu qu’en dehors de tout jugement et au mépris des lois les plus élémentaires régissant la propriété, un journal a été supprimé de fait par l’arrestation inqualifiable de tous les rédacteurs et employés ;
Attendu que des citoyens ont été assaillis, blessés et même tués par des agents de police porteurs d’armes prohibées par la loi ;
Attendu que cette série d’attentats constitue incontestablement une provocation ;
Le soussigné a l’honneur de déposer la proposition de mettre en accusation le ministère pour excitation à la guerre civile.
Signé : HENRI ROCHEFORT
Député de la première circonscription de Paris
À la séance d’hier, au Corps législatif, le citoyen Ordinaire, député du Doubs, a demandé la parole pour donner lecture à la Chambre de la demande de mise en accusation qui précède. La Chambre, que le citoyen Rochefort gênait, après s’être débarrassée de sa présence, n’a pas voulu se démentir en lui laissant la parole, et en lui permettant d’exercer ainsi une fraction de son droit de député. Le président a donné le signal, les honorables ont fait chorus, la voix d’Ordinaire a été étouffée dans le bruit et la clôture de l’incident a été prononcée.
Nous ne connaissons pas de plus insigne violation de la souveraineté nationale ; elle en est la confiscation complète, préparée et consommée par ceux-là même qui ont juré d’en être les gardiens fidèles.
Nous avons le droit de le dire : la conduite de la Chambre en cette circonstance est un nouvel outrage au pays, et, à nos yeux, cet outrage est la preuve manifeste que ceux mêmes qui invoquent sans cesse le suffrage universel, ne cherchent que le moyen de l’exploiter.
Pendant dix-huit ans, l’empire s’est fait le grand électeur de notre pays et quand ce pouvoir lui échappe, quand la volonté populaire parvient à s’imposer à lui, quand le suffrage universel lui parle en termes hostiles, quand il a les reins brisés sur ses sophismes, alors, pour faire taire la raison et le bon sens, pour étouffer les cris d’indignation du peuple, il fait appel à ses complaisants qui le couvrent de la force du nombre.
Voilà ce qu’on nomme les procédés parlementaires. Ils sont les pires et les plus dangereux de tous. D’abord ils sont l’hypocrisie ; ensuite ils sont trompeurs. Ils trompent quelquefois les naïfs, mais toujours les gouvernants. Et il arrive un jour où, malgré des majorités compactes, les pouvoirs s’écroulent, s’apercevant trop tard que ce n’est que momentanément qu’on peut tromper un peuple qui n’a jamais vu la justice se développer, le droit être respecté et la liberté grandir qu’à la suite de révolutions.
Si les vainqueurs de décembre pouvaient lire les adresses de félicitations que nous recevons depuis deux jours de tous les coins de la France, de Lyon, de Bordeaux, de Marseille, de Montauban, de Toulouse, d’Agen, de Saint-Étienne, de petits villages inconnus, et dont nous aurions de quoi remplir notre journal pendant huit jours, s’ils pouvaient méditer un instant sur la portée des sentiments qui y sont exprimés à leur endroit, et sur les espérances qui y sont contenues, ils sentiraient certainement leur courage défaillir, car ils auraient la preuve que la France tout entière ne compte recouvrer sa stabilité qu’à la lueur des libertés républicaines. Quant à la Chambre, depuis si longtemps en état d’accusation devant le pays, son châtiment sera d’acclamer demain ce qu’elle poursuit aujourd’hui. Aujourd’hui complaisante de l’empire, demain courtisane de la République.
ANTONIN DUBOST
Après la séance, le citoyen Ordinaire a adressé, au président de la Chambre, la lettre suivante :
Paris, le 12 février 1870
Monsieur le président,
J’ai l’honneur de vous transmettre, au nom de notre collègue H. Rochefort, une proposition émanant de son initiative parlementaire et ayant pour objet la mise en accusation des ministres.
Veuillez, je vous prie, M. le président, m’en accuser réception par lettre, et agréez l’assurance de ma haute considération.
Signé : ÉDOUARD ORDINAIRE
Député du Doubs
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Les gourdins de l’image de couverture, caricatures de journalistes et politiciens réactionnaires, sont parus à la une de L’Éclipse, d’André Gill, le 20 février 1870, on les trouve sur Gallica, là.
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Le journal en entier et son sommaire détaillé sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).