Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

96. Samedi 26 mars 1870

Affaire Pierre Bonaparte toujours, avec un de ses à-côtés, l’avocat Armand Rivière (de Tours) qui démissionne du conseil de l’ordre — son bâtonnier n’a pas protesté contre les injures de Bonaparte à Me Laurier ;

et son audience, au cours de laquelle Ulric de Fonvielle traite l’assassin d’assassin — parce que cet assassin avait insulté Me Laurier — et se voit donc condamné à dix jours de prison… ;

ce que Morot confirme ;

tandis que Puissant revient sur Mme Louis Noir et sa déposition ;

Collot cite la déposition de Floquet ;

une lettre de protestation d’un policier (ou ex-policier) corse est publiée avec commentaires ;

Verdure informe sur la grève du Creuzot (voir ci-dessous) ;

quelques « Nouvelles politiques » ;

des nouvelles (pas très bonnes) de la santé de Raspail ;

Collot donne des informations sur l’Angleterre et l’Irlande ;

le « Bulletin du mouvement social » informe sur les grèves (ci-dessous, on appréciera particulièrement le soutien d’Augustin Verdure, dont la femme et la fille étaient membres de la société pour le droit des femmes, à la grève des ouvrières en soie) ;

les « Communications ouvrières » concernent la Société civile de consommation des Quatre chemins (c’est à Pantin), les ouvriers tailleurs, les ouvriers en brosserie fine, bois et buffle et les commissionnaires, employés et garçons de magasin ;

il y a des annonces de réunions publiques ;

une belle annonce pour une édition populaire de la Vie de Jésus, d’Ernest Renan ;

et les rubriques finales.

LA GRÈVE DU CREUZOT

Tous les renseignements particuliers que nous avons reçus hier et aujourd’hui sur la grève du Creuzot confirment entièrement ceux que nous avons déjà publiés, et, par conséquent, établissent la fausseté de la plupart des détails grotesques donnés par les organes de la féodalité industrielle et les nouvellistes privilégiés de la rue de Jérusalem.

Nous laissons à chacun son rôle, et nous demandons pour chacun la liberté de remplir le sien.

Que certains journaux se fassent un malin plaisir d’injurier, de diffamer d’honnêtes travailleurs soulevés pour la revendication de leurs droits, qu’ils s’ingénient à dénaturer leurs actes, à provoquer contre eux les rigueurs des tribunaux et les colères du pouvoir ; nous, nous nous sommes imposé la mission de rechercher la vérité et de la dire, de défendre l’exploité contre l’exploiteur, et d’aider au triomphe de la justice, nous poursuivons notre but, quoiqu’il arrive.

Voici le résumé de ma dernière correspondance.

Depuis quelque temps déjà, les mineurs de la compagnie Schneider étaient décidés à solliciter de leurs maîtres une augmentation de salaire. Lundi dernier, apprenant que l’administration leur avait supprimé le chauffage, ils se sont, après le repas de midi, rassemblés dans les galeries pour s’y concerter, et, à une heure, tous ceux qui travaillent dans les puits qui se communiquent, sont montés au jour.

Le lendemain mardi 22 mars, les travaux des mines furent complètement suspendus, et l’objet de la grève parfaitement défini :

1° Élévation du salaire journalier à 5 francs pour les mineurs ;

2° Élévation du salaire journalier à 3 fr. 75 pour les manœuvres ;

3° Administration de la caisse de secours par les ouvriers eux-mêmes ;

4° Suppression du chargement des charbons sur les wagonnets par les ouvriers mineurs.

Vers quatre heurs du soir, ils se présentèrent aux portes de l’usine, mais ils les trouvèrent fermées et barricadées. Les employés et les commis de l’administration lancèrent des pierres, des morceaux de bois sur les grévistes. Le sous-préfet d’Autun, M. Breynat, arrivé au Creuzot avec deux juges d’instruction, était là, déployant tout son zèle. On dit qu’il a reçu au front une forte contusion causée par une poutre lancée maladroitement par les serviteurs très humbles du seigneur de l’endroit.

Dans la soirée arrivèrent M. Henri Schneider, le procureur impérial d’Autun, l’avocat général de Dijon, le commandant de gendarmerie de Mâcon et tous ses gendarmes, ainsi que M. Marlière, le préfet du département.

Le mercredi 23, vers 6 heures du matin, le maître du pays, M. Schneider, qui avait dû quitter ses graves travaux au Corps législatif, faisait sa rentrée dans ses domaines, précédant le 4e régiment de chasseurs à pieds, le 11e et le 46e de ligne, afin de prouver à ses sujets récalcitrants qu’encore une fois, il était prêt à défendre la liberté du travail par la force des chassepots.

À peu près à la même heure, un certain nombre de grévistes se dirigèrent sur les mines de Mouchain [Montchanin?], où travaillent plus de 20,000 ouvriers [c’est beaucoup!]. Les chasseurs à pied se mirent à leur poursuite ; mais nous ignorons ce qui s’est passé de ce côté.

Un juge d’instruction s’est installé au Creuzot ; des mandats d’amener ont été lancés ; dix-neuf citoyens ont été mis en état d’arrestation à l’effet sans doute de rassurer les bons et de faire trembler les méchants. Un marchand de journaux, qui s’en allait à la gare pour y vendre la Marseillaise, a été empoigné et dirigé sur Autun.

Quant aux soldats, ils sont en tenue de campagne, munis de 29 cartouches chacun et logés dans les écoles, dans l’usine et sous les hangars.

Nous ignorons ce qu’il résultera de cette lutte qui, quoi qu’en disent les journaux policiers, est étrangère à toute préoccupation politique. Mais, si notre voix avait quelque chance d’être entendue et écoutée des ouvriers du Creuzot, nous les exhorterions à rester scrupuleusement dans la voie de la légalité, à opposer constamment aux mesures vexatoires et provocatrices dont ils sont l’objet, tout le calme, toute la modération et toute la dignité possibles.

C’est au nom du droit, au nom de la justice, au nom de l’égalité qu’ils doivent combattre les iniquités sociales.

La violence est l’arme de leurs adversaires.

A. VERDURE

BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL

Grève générale des tisseurs de l’Isère

On nous informe, dit le Progrès de Lyon, que 1,500 métiers de tissage seraient arrêtés dans le département de l’Isère, par suite d’une grève à peu près générale des ouvriers et ouvrières. Quoique l’information vienne de bonne source, nous ne la publions que sous toute réserve.

Un fait certain, par exemple, c’est que dans les cantons ruraux des montagnes du Lyonnais où le tissage des soieries unies est répandu, les ouvriers s’organisent en séries, en vue de lutter à l’occasion contre le capital.

Le moment paraît venu où l’association des ouvriers aux intérêts des patrons doit devenir la règle générale pour les industries qui voudront éviter les grèves.

Les industriels ont-ils conscience de la situation ? Assurément non ; ils ne croient pas plus à la révolutions sociale que les nobles et les prêtres de 89 ne croyaient à la révolution politique. Ils ont pour défendre leurs privilèges, leurs monopoles, un gouvernement assis sur un million de soldats, de gendarmes et de sergents de ville. Ils ne peuvent supposer que ce concours matériel leur fasse jamais défaut et que la force brutale soit remplacée par la force du droit. Ils ne concéderont donc rien et ne transigeront en rien.

Tant pis pour eux !

Grève des ouvrières en soie de Crest

Les grèves d’ouvriers n’ont guère produit jusqu’ici de résultats sérieux qu’au point de vue moral et politique. Les grèves d’ouvrières seront-elles plus heureuses ? Il est permis d’en douter. Quoi qu’il en soit, s’il en surgit, nous nous y intéresserons d’une manière toute particulière, n’eussent-elles d’autre effet que celui de porter les femmes à l’association, que nous ne regretterions pas nos encouragements.

Nous apprenons que les ouvrières en soie de Crest, petite ville très industrielle de la Drôme, viennent de se mettre en grève sur le refus des chefs de fabrique de donner une demi-heure de repos à quatre heures du soir.

Nous reconnaissons trop bien l’utilité de la femme au foyer domestique, pour ne pas désirer que celles qui sont forcées de s’en éloigner pour subvenir à leurs besoins puissent y rentrer le plus souvent possible. C’est dire que nous faisons des vœux pour le succès des légitimes réclamations des ouvrières de Crest.

Une grève évitée

Les plieuses d’un des premiers fabricants de rubans de Saint-Étienne, rapporte l’Éclaireur, étaient décidées à faire grève si elles n’obtenaient pas une augmentation de salaire. Elles rédigèrent une pétition où se trouvaient détaillés tous leurs griefs et où l’augmentation de salaire était réclamée énergiquement. Mais laquelle signera la première ? Comment faire pour qu’on ne sache pas quelle est celle qui a signé avant les autres ? Le moyen fut trouvé à l’instant ! Elles signèrent en rond.

Leur pétition n’a pas déplu au fabricant qui y a fait droit, au moins en partie, car elles ont obtenu, sur le prix de la journée, 30 centimes d’augmentation.

Qu’après cela on vienne dire que la femme n’est pas digne d’être émancipée !

Grève des Mégissiers de Carcassonne

Les ouvriers mégissiers de Carcassonne, au nombre de soixante-dix, se sont mis presque tous en grève. Ils demandent que leur salaire quotidien soit élevé de 2 fr. 25 c. à 2 fr. 50 c., et que la durée de leur journée de travail soit réduite de douze heures à onze.

Grève d’ouvriers cuilleristes à Paris

Les ouvriers cuilleristes d’une importante maison d’orfèvrerie du boulevard Richard-Lenoir, nous annoncent qu’ils viennent de quitter leur atelier par suite d’une diminution de salaire de 1 fr. 25 c. ou d’un quart de jour en moyenne sur les prix payés précédemment.

Avant d’abandonner leur travail, ils avaient cru utile de tenter quelques réclamations à leur contre-maître, mais celui-ci, en personnage important, les avait reçus avec un dédain et une impolitesse révoltants en disant : « Allez, allez ; il y en a parmi vous qui auront faim et qui seront bien contents de revenir. »

Les ouvriers allèrent alors trouver leur patron, mais sans obtenir de solution. Ils se remirent au travail. Le patron vint bientôt leur enjoindre de terminer l’ouvrage en main et de s’en aller ensuite. Sa maison, a-t-il dit, étant forcée de payer moins cher parce qu’elle fait concurrence aux autres.

Voilà pourtant le charmant régime économique qu’a produit l’individualisme.

A. VERDURE

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L’image de couverture représente les avocats Floquet et Laurier, croqués par André Gill, elle vient de L’Éclipse par Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).