Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
97. Dimanche 27 mars 1870
Comme les jours précédents, le gros titre est « Affaire Pierre Bonaparte », il s’accompagne aujourd’hui des profils de quatre « agents » encadrant un boucher, par Gill, dont on reparlera ;
avant le compte rendu d’audience, un nouvel essai de Barberet :
Ce matin encore, sachant que le citoyen Rochefort était revenu de Tours, où il avait été cité comme témoin dans le procès Bonaparte, j’ai demandé d’urgence au préfet de police l’autorisation de communiquer avec notre rédacteur en chef, détenu et mis au secret à la prison de Pélagie.
Il m’a été répondu par un refus catégorique.
Ainsi, pendant que Pierre Bonaparte, accusé d’assassinat, communique librement avec sa famille et ses amis, le député de la première circonscription de la Seine est séquestré après avoir été condamné à six mois de prison pour s’être indigné de cet assassinat.
Et à moi, son mandataire, qui ai des intérêts de la plus haute importance à discuter avec lui, l’accès de sa prison est rigoureusement interdit.
Ce refus systématique prouve non seulement l’intention du gouvernement d’éterniser la séquestration de Rochefort, mais aussi celle de porter atteinte à sa propriété.
Le gérant : J. BARBERET
et puis c’est l’audience du 25 mars, avec les plaidoiries de Mes Floquet et Laurier, je ne peux m’empêcher de citer la belle conclusion de celle de Laurier :
Maintenant j’ai fini. Je vous avais promis d’être clair, je vous avais promis d’être net, d’être précis, — je l’ai été.
Je dépose respectueusement, je dépose dans vos consciences ces démonstrations. Et permettez-moi de vous le dire en finissant : je ne sais pas ce que sera votre verdict ; il ne m’appartient pas de scruter le secret de vos consciences, mais ce que je sais, c’est que ce pauvre enfant a été jugé. Il a été jugé déjà par le peuple.
Le jour de ses funérailles, une faction qui s’appelle deux cent mille citoyens l’accompagnent à sa dernière demeure, et, ce jour-là, on a vu, on a senti errer et peser sur Paris cette grande douleur dont Tacite disait : C’est la douleur sans voix, sine voce dolor.
Dans un immense recueillement, ces deux cent mille jurés, ces deux cent mille consciences l’ont accompagné. Peuple, il a été enterré par le peuple !
Il a trouvé là, le pauvre et cher enfant, il a trouvé là des cœurs fidèles, et lui qui, dans sa vie de jeune homme, avait de certaines préoccupations, — non pas de gloire, mais de renommée, — il a acquis par le verdict de ce jury, par le verdict de la démocratie, il a acquis l’immortalité.
À côté de lui, un autre verdict a été prononcé, il a créé pour le meurtrier l’immortalité de l’infamie.
il y a quelques commentaires rédactionnels ;
des informations sur la grève du Creuzot (ci-dessous) ;
et il reste un peu de place pour les rubriques finales.
LA GRÈVE DU CREUZOT
Nous avons reçu hier matin, mais trop tard pour les insérer dans la Marseillaise du jour, différentes lettres dont nous croyons devoir donner communication à nos lecteurs. Elles sont de nature à édifier le public sur la valeur de la plupart des renseignements publiés par les journaux réactionnaires :
Creuzot, 21 mars 1870
Citoyen,
Le Moniteur universel annonce qu’Assi, Janin et Alemanus ont organisé la nouvelle grève du Creuzot ; je démens positivement cette assertion, et je prie les feuilles officielles ou officieuses lorsqu’elles voudront me mettre en avant, de s’adresser, pour leurs renseignements, à d’autres qu’à M. Schneider, si elles tiennent quelque peu à ne pas mentir à leurs lecteurs.
Je ne suis pour rien dans cette grève. Travaillant maintenant chez moi, je n’ai rien à faire avec la maître du Creuzot, si ce n’est de lui réclamer 43 centimes qu’il me redoit.
J’allais rentrer chez moi à six heures moins un quart, quand j’appris que deux gendarmes, un sergent de ville et le commissaire de police venaient de s’y présenter pour m’arrêter.
Je vous serre la main.
ASSI.
Le citoyen Assi est parfaitement dans le vrai. La grève actuelle n’était pas préparée ni même prévue. Certain projet couvait bien parmi les ouvriers de l’usine, mais la réalisation en était fixée pour une époque plus ou moins éloignée, et ce ne sont pas les mineurs qui devaient prendre l’initiative de la lutte. Assi n’a donc rien organisé, et son arrestation ne pourrait être expliquée que par les craintes que son influence sur ses camarades inspirent à l’administration de l’usine.
M. Alemanus fils, outre des détails très circonstanciés sur l’origine et les débuts de la grève, — détails confirmant ceux que nous avons déjà publiés, — nous adresse les renseignements suivants qui ne manquent pas d’intérêt :
… À quatre heures du soir, mon père qui avait cru ne pas devoir cesser la vente des journaux : la Marseillaise, le Réveil, le Rappel et l’Excommunié, de Lyon, fut arrêté rue de Châlons par deux gendarmes et trois agents. Il demanda à ces messieurs s’ils étaient porteurs d’un mandat d’amener ; ils répondirent qu’ils n’en avaient pas besoin ; ils l’empoignèrent brutalement, le conduisirent au bureau de police où il séjourna environ une demi-heure sans qu’on pût l’approcher ; ils le conduisirent à la gare et de là l’emmenèrent à la prison d’Autun.
Désireux de connaître les crimes dont mon père pouvait être inculpé, j’essayai de voir le procureur impérial, mais en vain. Ce haut fonctionnaire se trouvait chez M. Schneider et y resta toute la soirée. On dîne bien chez l’autocrate du Creuzot.
Ce matin, à sept heures et demie, à l’hôtel Rodrigues, j’ai rencontré le magistrat. Il m’a d’abord dit qu’il n’avait pas de renseignements à me donner ; puis, voyant que je m’en allais sans le supplier, il me dit que mon père est inculpé de publication de fausses nouvelles faites de mauvaise foi, de cris séditieux et d’attentat à la liberté du travail. Comme je partais d’un éclat de rire, il me demanda si je n’habitais pas le Creuzot et si je ne savais pas le commerce que faisait mon père. je répondis : « Si, monsieur, j’habite la localité, mais je sais que mon père ne fait aucun commerce déloyal, et j’ajoutai : il est peut-être l’auteur de la grève ? » Le procureur prenant un air majestueux, répondit : « Peut-être bien. »
Depuis cette arrestation, huit autres citoyens ont été expédiés à Autun, par le chemin de fer.
À chaque train il en part, et on évalue actuellement le nombre des ouvriers arrêtés à plus de quarante.
Dans la journée d’hier, des mineurs du Creuzot sont allés aux mines voisines qui appartiennent aussi à la compagnie Schneider et ont prévenu leurs camarades qu’ils les attendaient pour les aider à soutenir la grève.
De suite on a expédié environ 500 chasseurs à pied sur des wagons à charbon. Mais les soldats arrivèrent trop tard. Les puits étaient déjà déserts. La troupe se mit à la poursuite des grévistes retirés dans les bois et finit par en attraper sept dont six hommes de 20 à 40 ans et un enfant de 12 ans.
La nuit dernière, les forgerons se sont soulevés ; une dizaine de fours à puddler ont été arrêtés, la troupe est arrivée et on a cerné l’atelier, et forcé les ouvriers à rallumer le feu. Il y a eu une rixe entre ouvriers et contre-maîtres.
À l’instant, la police sort de chez mon père, où elle vient de faire perquisition ; on n’a rien trouvé mais on a tout culbuté. Ces messieurs du gouvernement cherchent peut être ici ce fameux complot qu’ils ne peuvent trouver à Paris ?
Salut fraternel,
ALEMANUS, fils aîné.
Nous terminerons ces renseignements par la lettre suivante que nous avons reçue du comité de la grève :
Creuzot, le 24 mars 1870
Citoyen,
Le vingt courant, en touchant notre paye, nous tous ouvriers mineurs du Creuzot, nous avons été étonnés de voir qu’il nous manquait 50 centimes par ouvrier ; c’est l’administration qui, malgré des prix faits depuis longtemps, a trouvé convenable de les diminuer après travail fait, sans avertir personne, et l’on nous ôtait en même temps notre chauffage.
C’est pourquoi, comme déjà dans les conditions où nous étions, nous avions beaucoup de mal à vivre, que nous étions obligés le dimanche et tous les jours après avoir fait nos douze heures de travail de cultiver les champs que l’administration nous loue, nous nous sommes, le lundi, mis en grève.
Tous les puits qui sont au Creuzot, ceux de Monchanin [Montchanin], ceux des Sept-Écluses sont arrêtés ; c’est tout ce qui est sous l’administration Schneider et compagnie.
Nous ne voulons pas recommencer à travailler sans qu’il y ait des règlements faits pour les mines et que ces règlements soient conformes aux lois, c’est-à-dire que le double en soit déposé à la préfecture.
Nous voulons qu’on nous laisse notre chauffage ; nous voulons gagner au moins cinq francs pour les mineurs et trois francs 75 cent. pour les manœuvres et pour 12 heures ; nous ne voulons pas que le chargement dans les wagonnets ou berlines soit fait par les mineurs ; enfin nous voulons qu’aucun ouvrier ne soit renvoyé.
Nous voulons la gestion de notre caisse de secours mutuels.
Comme la gendarmerie et la troupe gardent le château et l’usine, nous ne voulons pas envoyer de délégation à M. Schneider : nous savons comment il nous a reçus la première fois.
C’est pourquoi nous vous prions d’insérer notre lettre et de vouloir bien OUVRIR UNE SOUSCRIPTION dans votre courageux et honorable journal pour les mineurs en grève au Creuzot, à Monchanin et aux Sept-Écluses, mines Schneider et Cie.
Nous invitons les ouvriers mineurs des autres pays à ne pas se présenter à de moindres conditions que les susdites aux mines que nous venons de nommer.
En attendant, citoyen, recevez d’avance nos remerciements.
Pour le premier comité, qui dans ce moment se gare des mandats d’arrêt qui ont été lancés contre lui, et au nom de tous les mineurs.
(Suivent les signatures.)
Nous croyons savoir que plusieurs associations de Paris, de Lyon et de Marseille se disposent à organiser des souscriptions pour venir en aide aux ouvriers du Creuzot. Déjà des réunions ont eu lieu, hier soir, à cet effet, et l’idée d’un secours fraternel y a été accueillie avec une vive et unanime sympathie.
L’occasion est excellente pour les travailleurs de prouver une fois de plus la puissance de l’union et de la solidarité. Nous sommes certains qu’ils le saisiront avec tout le dévouement dont ils sont capables.
A. VERDURE
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André Gill a rendu avec amour les trognes délicates des policiers, j’ai utilisé son image dans le journal du jour comme couverture de cet article.
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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).