Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

38. Mardi 25 janvier 1870

Dans son journal d’un homme libre, Paschal Grousset ré-explique très clairement la question de la Société de secours mutuels au Creuzot, qui nous a été expliquée hier ;

Rochefort intervient sous le titre « Le citoyen Assy et le président Schneider » ;

Dubuc envoie des nouvelles du Creuzot ;

Habeneck critique (tous) les députés d’avoir laissé accuser Rochefort ;

Arthur Arnould dénonce la peur qui motive les actes d’Ollivier et consorts ;

Millière continue à théoriser sa notion de Commune ;

je passe quelques nouvelles politiciennes ;

Ulric de Fonvielle base sa « Tribune militaire » sur… un envoi de Flourens au Réveil — c’était bien la rubrique de Flourens !;

Collot rend compte de l’enterrement (civil) de Herzen et reproduit le discours prononcé par le citoyen Wirouboff à cette occasion ;

c’est Rigault qui rend compte d’une réunion publique au cours de laquelle Jules Favre a parlé d’inégalités des conditions sociales, et ledit Jules Favre en prend pour son grade ;

les ouvriers compositeurs et correcteurs du journal s’adressent aux grévistes du Creuzot, leurs frères,

Continuez votre lutte, nous sommes avec vous ;

Alphonse Humbert apparaît dans le journal avec un beau compte rendu d’une autre réunion publique (lui-même est un orateur très apprécié) ;

on continue à souscrire pour le monument à Victor Noir.

Encore une fois, je garde les nouvelles du Creuzot.

NOUVELLES DU CREUZOT

Le Creuzot, 22 janvier 1870

Aujourd’hui seulement, quelques journaux de Paris nous tombent sous la main, et, en présence des allégations mensongères avancées par les organes de la police, nous nous croyons obligé à reprendre d’un peu plus haut l’historique de la grève du Creuzot, dont nous avions succinctement donné les causes principales.

Il est juste de constater un état général d’irritation causé par les procédés déloyaux et autoritaires de Schneider et Cie.

Cependant nulle ébullition ne fomentait, une irritation sourde croissait, telle qu’elle peut être remarquée dans tous les grands centres industriels où se trouvent en présence les deux antagonismes de notre époque : le capital et le travail.

Il est vrai que M. Henri Schneider avait eu jusqu’à présent la gestion de la caisse de secours.

Il est vrai que M. Schneider, appelé ici « Tête d’argent », non en raison de sa valeur, mais en raison de sa couleur, avait offert aux ouvriers de leur rendre la gestion de cette caisse, mais en même temps, il se présentait comme contraint et forcé par le plus grand nombre (par la partie saine de la population) à conserver lui-même cette gestion.

Un vote est intervenu ; sur 11,000 votants, 536 ont consenti à ce que M. Schneider dirigeât leurs intérêts. 10,464 ont voté OUI en faveur de la direction de la caisse par les ouvriers.

L’administration du Creuzot a trouvé qu’il y avait là une pression exercée par des meneurs étrangers au pays.

Le germe de l’opposition était formé.

M. Assy, un garçon fort honnête et fort intelligent, avait pris en main la cause de ses collègues ; il n’en fallait pas davantage pour le désigner à la vindicte administrative, et le mercredi 19 janvier il était renvoyé.

À ce moment, nous laissons la parole au comité, et nous donnons in extenso la protestation suivante [déjà parue dans le journal d’hier, mais que je reproduis quand même] :

Mercredi, 19 janvier, M. Assy, président de la commission provisoire, chargé des pleins pouvoirs pour tout ce qui concerne la caisse de secours, a été renvoyé lorsqu’il s’est présenté à l’atelier.

À la suite de ce renvoi, précédé de plusieurs autres, vous avez cru devoir protester en masse contre cet acte arbitraire de l’administration en cessant à l’instant tout travail.

Quelques heures après, le comité nommé par vous est allé trouver M. Henri Schneider pour dire que la cessation du travail était due aux deux causes suivantes ;

1° Parce qu’on n’accordait pas aux ouvriers la gestion de la caisse de secours qui leur avait été promise par une lettre de M. Schneider.

2° Parce qu’on avait renvoyé certains d’entre eux qu’ils avaient investis de leur confiance et chargés de soutenir leurs intérêts.

Les membres du comité ont déclaré à M. Henri Schneider que l’intention des ouvriers n’était pas de se mettre en grève, mais de protester contre les dernières mesures de la compagnie.

Ils promettaient de reprendre à l’instant leurs travaux si on voulait leur accorder :

1° La gestion complète de la caisse ;

2° La réintégration des ouvriers chassés ;

3° Le renvoi de M. Renaud, cause du mécontentement général.

À ces déclarations, il a été répondu par une fin de non-recevoir.

En face de cette réponse si peu satisfaisante, la reprise des travaux n’a pas eu lieu.

Le lendemain, 20 courant, les membres du comité se sont rendus auprès de M. Schneider père, arrivé, en toute hâte de Paris.

Ils lui ont renouvelé les déclarations faites à son fils. M. Schneider a répondu qu’il était le maître chez lui, et qu’il n’entendait pas qu’on lui dictât des lois ; qu’il avait donné l’ordre de fermer les portes de l’usine et qu’il les ferait ouvrir quand il jugerait le moment convenable ; que du reste il n’avait pas à discuter avec nous.

En présence de ces déclarations si dédaigneuses et si peu conciliantes de la part de ces messieurs, nous vos représentants, nous croyons que votre dignité, votre intérêt, et la solidarité fraternelle qui nous unit vous commandent de protester jusqu’à ce que l’on nous ait donné satisfaction.

Ce que nous voulons est juste plus que jamais ; nous serons les fermes défenseurs de nos intérêts et de nos droits, en nous conformant aux lois comme nous l’avons fait jusque là. C’est pourquoi nous vous recommandons le plus grand calme et la plus grande modération si vous voulez le triomphe de notre cause.

Notre union fraternelle fera notre force.

Le président : ASSY.

Le secrétaire : JANIN.

Le public comparera ce document, empreint de la plus grande modération et de la plus grande dignité avec le pamphlet de M. Schneider que nous avons donné hier.

Sur le simple énoncé de ce fait, qu’Assy était renvoyé, la grève était déclarée partout, 11,000 ouvriers restaient chez eux.

C’est à ce moment que nous arrivâmes. Immédiatement, un mouchard nous insultait, et le lendemain M. Henri Chabrillat [envoyé du Figaro] nous désignait comme parcourant les cafés en compagnie de M. Assy, et paraissant TRÈS EXALTÉ [Voir le Figaro du 22 janvier].

À cette dénonciation, nous répondons ceci : Nous avons eu le plaisir de voir M. Assy, un jeune homme très honnête, très convaincu, très intelligent et doué de la plus grande modestie ; nous étions si peu exalté que nous avons encouragé les ouvriers à conserver le calme le plus grand et à ne répondre aux provocations de Schneider que par le mépris le plus mérité.

À toutes autres allégations, nous opposons le démenti le plus catégorique et le plus formel, ainsi que nous l’avons fait ce matin même à M. Chabrillat en personne, qui nous a prié d’attendre notre retour à Paris pour vider ce différend. Dont acte. [Autrement dit, ils vont se battre en duel.]

Reprenons : Hier, le Creuzot se couvrait de troupes ; 4,000 hommes environ encombraient le Creuzot, et les affiches de Schneider salissaient les murs.

Il faut que le pays tout entier le sache, et que la démocratie tout entière l’affirme.

Jamais plus noble cause ne fut défendue aussi pacifiquement. Le pays est calme, entièrement calme ; il n’y a aucune provocation que celles qui émanent de Schneider et de la police.

Les troupes sont accueillies en riant ; à ces soldats on ouvre les bras, devant eux on emplit les verres ; ces braves gens sont étonnés, et les officiers eux-mêmes, que le mouchard Villemessant voudrait exciter contre nous, se demandent en riant pourquoi on les a dérangés.

Le soir même nous avions le plaisir de rencontrer M. Josserand, avocat, rédacteur du Progrès de Saône-et-Loire, avec cet inestimable confrère, nous avons, pendant toute la journée d’hier, parcouru les groupes, les engageant à la modération et au calme, et nous sommes heureux de constater que nos conseils et recommandations ont été les bienvenues, et que le pays tout entier ne veut protester contre les pasquinades de Schneider que par l’immense éclat de rire du mépris le plus légitime.

Vous figurez-vous 4,000 hommes, cavalerie et fantassins, contemplant les laitières apportant leurs marchandises au marché de ce matin.

Pinard lui-même, et Pietri, et Forcade, et Judas-Ollivier y perdraient leur Schneider. Et cependant, malgré les menaces du Schneider, ce matin douze cents ouvriers sont rentrés à leur travail ; 1,200 sur 12,000, 90 sur cent [sic]. Les autres restent chez eux. Le Schneider a embauché des soldats et des gamins qui tapent à la chaudronnerie sur des plaques en tôle, pour faire croire qu’on travaille ; on fait de grands feux qui produisent beaucoup de fumée pour faire croire que les forges sont allumées.

Charlatanisme et mensonges ! Schneider ferait bien de retourner prendre des leçons de Bonaparte.

Hier soir, en présence de la force armée et des provocations du Schneider, nous avions peur d’un conflit.

Aujourd’hui, nous croyons que rien ne se produira. Nous avons confiance en la population qui déteste le Schneider, et nous sommes convaincu que malgré le bon vouloir des valets de Bonaparte, l’armée n’assassinera pas les travailleurs à domicile.

Qu’on le sache donc : Voici le bulletin du jour ! 11,450 ouvriers ne travaillent pas, et il n’y a personne dans les rues.

Le préfet, M. Marlière, un ancien commis-voyageur, a déposé le long des murs une… circulaire préfectorale. À l’imitation du Schneider, il menace du chassepot.

Cela a produit ceci :

Beaucoup d’ouvriers nous ont dit :

Nous irions bien travailler, mais en présence des menaces de M. Schneider, nous croyons devoir rester chez nous et nous y resterons tant que la troupe sera là, nous ne voulons pas être égorgés en route.

Ce calme et cette résolution sont d’autant plus remarquables que dans ce pays tout le monde est chasseur, tout le monde est armé et le déclare hautement, ouvriers et bourgeois, et que le pays ne manque pas de positions stratégiques inexpugnables.

Si Bonaparte veut la guerre civile, il n’a qu’à laisser faire Schneider, Marlière [le préfet] et leurs argousins.

Hier, Assy a rassemblé les ouvriers ; on a nommé cent cinquante délégués, qui devront s’entendre aujourd’hui avec Schneider, et lui soumettre leurs propositions. Si cet homme refuse, une grève motivée s’ensuivra. Jusqu’aujourd’hui, il n’y a en jeu qu’une question de dignité ; demain, il y aura une question sociale. Nous attendons les événements.

Démentons le Figaro :

Il n’est pas vrai qu’Assy soit membre de l’association internationale. C’est une dénonciation qu’Henri Schneider a soufflée à Chabrillat.

Il n’est pas vrai qu’Assy n’a pas été renvoyé ; il l’a été très formellement.

Le rédacteur de la Marseillaise n’était pas exalté, mais cela est une affaire de police, passons !

Il n’est pas vrai que des députations se soient offertes à M. Schneider pour rallumer les feux, et que celui-ci ait refusé pour ne pas les exposer à des collisions. Les feux rallumés l’ont été par le fait de gens étrangers à la forge.

Il n’est pas vrai que l’on demande une réduction des heures de travail et une augmentation des salaires ; cela viendra peut-être, mais en ce moment il n’y a en jeu qu’une question de dignité.

Il n’est pas vrai que ce soient des jeunes gens qui aient été voler du charbon, ce sont des jeunes filles et des enfants.

Rectifions-nous nous même.

Nous avons dit dans notre dépêche qu’il y avait onze victimes, il n’y en a que six.

On nous avait dit à tort que Girardin était ici.

ACHILLE DUBUC

La nuit dernière, on a arrêté un ingénieur de la plate-forme, croyant arrêter M. Assy; on lui a déchiré son paletot et il a eu quelque peine à prouver son identité. Cela commence. — A.D.

*

Le portrait de Schneider utilisé en couverture est paru (en couverture) dans le Monde illustré le 9 avril 1870. Je n’ai pas réussi à entrevoir la moindre trace d’ironie dans les articles accompagnant cette image. 

*

Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la Question sociale et la Tribune militaire ressaisies, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).