Vous souvenez-vous des bombes du complot plébiscitaire? Mais si, vous savez bien, le complot qu’Arthur Arnould annonçait ainsi
Il est venu! — Le voilà dans toute sa splendeur.
Ça marchait trop mal, aussi! — Le spectre rouge était usé. — Il ne faisait plus peur à personne.
L’opinion publique le manifestait avec un ensemble merveilleux.
Cela ne pouvait durer.
Il fallait effrayer la province!
On découvre un troisième complot — celui-là contre la vie de l’empereur.
Rien n’y manque, — ni les fameuses bombes, — ni les revolvers à six coups, — ni les poignards, — ni le régicide qui avoue tout ce qu’on veut, dès le premier jour, — qui dénonce ses complices, — sur qui l’on trouve les lettres les plus compromettantes, et des listes, et tout l’attirail ordinaire de ces sortes d’affaires.
C’était dans La Marseillaise, le 2 mai 1870. Et les bombes s’affichaient à la une du Figaro (voir le même article).
C’est un complot contre la vie de l’empereur, nous dit Arnould. Si, si! Ce doit donc être jugé par une « Haute-Cour », mais justement, il y en a une: celle qui a acquitté Pierre Bonaparte il y a peu.
Et le procès commence le 18 juillet — il y a cent cinquante ans…
Comment ça? vous demandez-vous peut-être, mais, la guerre?!? Oui, on est en train de déclarer la guerre — voir l’article précédent.
Selon le Journal des débats daté du 18 juin, un bruit courait à Blois, qu’une amnistie serait déclarée au début de l’audience, excluant Mégy — vous vous souvenez certainement d’Edmond Mégy, qui avait tué un des policiers venus l’arrêter avant le lever du soleil. À la Chambre, Gambetta avait argumenté en faveur de cette amnistie, mais, selon M. Émile Ollivier, qui prouvait ainsi qu’il pouvait mener du même cœur léger les travaux de la guerre et ceux de la justice, les considérations les plus élevées interdisaient de faire cesser le procès…
La salle des États du château de Blois — celle où s’étaient tenus les États généraux sous Henri III — avait été aménagée, un crédit exceptionnel de plus de quarante mille francs pour les frais divers avait été débloqué. Le procureur général était le fameux Grandperret, celui qui avait fait condamner Troppmann et acquitter Pierre Bonaparte. Et l’audience s’est bien ouverte le lundi 18 juillet 1870, à onze heures. Il y avait pas moins de soixante-douze accusés, dont cinquante-cinq étaient présents. Un bref résumé du très long acte d’accusation: 48 inculpés de complot contre le gouvernement et la vie de l’empereur, 22 accusés de complot pour changer la forme du gouvernement, 3 de pillage chez l’armurier Lefaucheux, 1 (notre ami Flourens) de tentative de pillage et 1 (Mégy) d’homicide volontaire — je sais, ça ne fait pas 72, mais qu’y puis-je?
Il y a eu de nombreux incidents, rappelant ce qu’était la « justice » de ce temps. Parmi les jurés, beaucoup avaient déjà pris parti dans l’affaire en signant des adresses à l’empereur, et la défense n’a pas réussi à les faire récuser; le président s’est permis de demander à un avocat de dire « Mégy » et pas « M. Mégy » — Maître Floquet a dû rappeler qu’Edmond Mégy était présumé innocent… autant que Pierre Bonaparte à Tours que personne n’avait appelé « Bonaparte tout court » — ; je passe les défenseurs traités de « jeunes avocats », etc. Et la guerre? me demandez vous. Eh bien… Un des avocats a bien été écartelé entre sa présence à Blois et le fait que, comme garde mobile, il devait courir au camp de Châlons… Il est resté à Blois.
Je vous laisse aller regarder les détails ici ou là. J’ai profité des facilités offertes par la période du confinement pour aller lire toute la presse, mais je peux vous assurer que vous en saurez bien assez avec la lecture du Rappel, qui est sur Gallica et dont le journaliste, Marius Roux, était plutôt bon.
En deux mots: de quoi s’agit-il? Tous les accusés étaient, ils ne s’en cachaient pas, la plupart s’en vantaient, même, des opposants politiques, des opposants d’extrême-gauche. Mais cette histoire de complot n’était qu’une écœurante et vaste provocation policière. Sur les quatre-vingt-douze témoins qui devaient être entendus à la requête du procureur, dont Le Rappel a publié la liste dans son numéro daté du 15 juillet, plus de cinquante faisaient « ouvertement partie du personnel de la préfecture de police ».
La « grave situation de la France » a fait s’arrêter le procès… le 8 août. Le verdict a été très sévère. Le régime n’avait plus que trois semaines devant lui et les peines n’ont pas été purgées trop longuement: une des premières mesures prises par la république du 4 septembre a été une amnistie… N’empêche,
Mégy a été condamné à vingt ans de travaux forcés ; Beaury à vingt ans de détention ; Dupont, Fontaine, Sapia et Guérin à 15 ans de détention ; Petieau, Moillin, Godino et Pèlerin à 5 ans de prison ; Grenier et Greffier à quinze ans de détention : Letouze et Lerenard à cinq ans de détention ; Ballot, en faveur duquel le haut jury a admis des circonstances atténuantes, à 5 ans de prison ; Gromier à cinq ans de prison ; Dereure à trois ans de prison. Verdier a été acquitté, à titre de révélateur; Trente-trois accusés ont été acquittés. Il est procédé au jugement des accusés contumaces. La cour condamne à la déportation dans une enceinte fortifiée, à raison de l’existence d’actes commis pour l’exécution du complot, Flourens, Bologne et Debeaumont ; à la déportation simple, tous les autres accusés contumaces, à l’exception de Félix Pyat, qui est condamné à cinq ans d’emprisonnement et 6,000 fr. d’amende.
Pour suivre, après un article consacré à un autre procès, je vous proposerai un article réjouissant de Maxime Vuillaume sur les bombes du complot, puis toute la plaidoirie de Maître Eugène Protot en défense d’Edmond Mégy.
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Le plus intéressant, à Blois, c’était sans doute l’escalier du château — même si je ne sais pas s’il a été emprunté pour arriver devant la Haute-Cour. La photographie est plus ou moins d’époque, elle a été faite par Bisson frères en 1854 et je l’ai trouvée sur Gallica, là.
Cet article a été préparé en avril 2020.