Parmi les personnes arrêtées après la journée insurrectionnelle du 31 octobre, se trouvait notamment Auguste Vermorel. Le Figaro, dans son numéro daté du 7 novembre, reproduit un article du Réveil (que je n’ai pas vu, je ne sais donc pas qui écrit « nous »):

Vers trois heures [le 4 novembre] une voiture s’arrête à la grille du parc de l’artillerie de la garde nationale, square Notre-Dame.
Nous faisions la manœuvre du canon.
Deux hommes descendent du fiacre et se dirigent yers la porte; le factionnaire, exécutant sa consigne, leur refuse l’entrée du parc. Ils demandent à parler à M. Vermorel, qui fait partie d’une des batteries d’artillerie. M. Vermorel s’étant présenté, l’un des hommes lui dit qu’il est commissaire de police et chargé de faire une perquisition au domicile de M. Vermorel.
Ce dernier répond que l’exercice n’est pas terminé et qu’il tient à emmener un de ses amis pour assister à la perquisition.
Un officier de la batterie se rend auprès du commissaire qui lui affirme pour la seconde fois qu’il ne s’agit que d’une perquisition.
M. Vermorel pouvait facilement s’échapper ; mais, sur cette déclaration réitérée qu’il n’est nullement question de l’arrêter, il monte, avec un de ses amis, M. Charpentier, dans le fiacre où montent également le commissaire et un agent.
La voiture part, et au bout de quelques minutes, quand elle est éloignée de quelques cents mètres du poste, le commissaire de police dit à M. Charpentier :

— Ne vous dérangez pas; il ne s’agit pas d’une perquisition, mais d’une arrestation ; M. Vermorel est mon prisonnier. Voici mon mandat d’amener.

Ainsi le commissaire a menti. Il a menti à M. Vermorel, il a menti au factionnaire, il a menti à l’officier. Nous espérons que le colonel Schœlcher [Victor Schœlcher était colonel d’état-major de la garde nationale et commandant de la légion d’artillerie] protestera contre cet odieux procédé.

Dans Le Rappel daté du 7 novembre, on lit une version un peu différente de cette arrestation:

Paris, le 6 novembre 1870.

Citoyen,

Vous annoncez dans votre numéro du 6 novembre que le citoyen Vermorel aurait été arrêté pendant la manœuvre, dans le parc d’artillerie de la garde nationale.
Je transcris littéralement le rapport du capitaine commandant de poste, pour rétablir les faits dans leur exactitude.

« Le canonnier Vermorel, de la 4e batterie est venu au parc pour l’exercice. Il m’a prié de l’accompagner à la grille pour connaître les qualités et intentions de deux personnes qui le poursuivaient depuis sa demeure. J’ai accueilli sa demande. C’était un commissaire de police, muni d’un mandat d’arrêt. J’a exigé que l’arrestation n’eût pas lieu devant la grille du parc, mais sur le quai, hors de la vue des artilleurs occupés à la manœuvre. Le commissaire a consenti. J’ai accompagné M. Vermorel jusqu’à la voiture du commissaire, qui a opéré l’arrestation. Aucune émotion, aucun trouble ne se sont produits dans le parc. Signé : LONCHAMPT. »

Il ressort clairement de ce rapport que l’arrestation du citoyen Vermorel s’est faite en dehors du parc et sans aucune participation de l’officier de service.

Salut et fraternité.
Pour le colonel commandant la légion d’artillerie,
Le capitaine adjudant-major, Lefebvre

Bref, Auguste Vermorel est arrêté…

Nous l’avons déjà vu, avec Gustave Lefrançais, dans un article plus ancien, passer par la Conciergerie avant de se retrouver à Vincennes en janvier. S’il fera un froid glacial à Vincennes en janvier (voir l’épisode des cervelas dans l’article cité, et plus généralement notre article météo à venir le 26 décembre prochain), aujourd’hui

12 novembre tombent les premières neiges. À un automne particulièrement chaud succède un hiver d’une implacable rigueur

(dit Georges Duveau). Et, aujourd’hui, Auguste Vermorel écrit au procureur de la République, Désiré Médéric Leblond, un avocat nommé procureur le 4 septembre 1870 (comme on peut le voir sur la base Léonore dans la biographie qu’il a écrite en 1885), qu’Auguste Vermorel a eu l’occasion de rencontrer au temps de l’empire, comme il va nous l’expliquer — et que nous avons, nous aussi déjà rencontré, comme membre d’une trinité au pouvoir dans notre article du 8 novembre.

Les méthodes utilisées par la République contre les opposants politiques semblent peu différentes de celles de ce temps!

C’est la troisième fois qu’Auguste Vermorel écrit à M. Leblond.

Ses deux premières lettres ont été reproduites par La Patrie en danger dans son numéro daté du 9 novembre. La première, envoyée du Dépôt le 5 novembre, lendemain de l’arrestation de son auteur, la deuxième de la Conciergerie le lendemain 6 novembre. 

Il fait à nouveau des copies de cette troisième lettre et elle est transmise à certains journaux. Elle est publiée dans La Patrie en danger datée du 15 novembre. Je ne l’ai pas vue ailleurs, mais je n’ai pu voir que les journaux disponibles sur Gallica. La voici.

 

Prison de la Conciergerie
12 novembre 1870

Monsieur le procureur général,

Il y  aujourd’hui huit jours que j’ai été arrêté sans motifs, et que je suis arbitrairement détenu, au mépris complet des formalités légales les plus essentielles, c’est-à-dire sans avoir encore subi aucun interrogatoire.
Car je ne puis regarder comme des motifs légitimes d’arrestation les accusations vagues ou fantastiques dans leur énormité, énoncées dans le mandat d’amener dont copie m’a été remise par les agents chargés d’opérer mon arrestation;
Et je ne puis surtout considérer comme un interrogatoire, et comme l’interrogatoire formellement prescrit par le Code d’instruction criminelle, la formalité dérisoire par laquelle un juge d’instruction s’est contenté de me répéter à nouveau les énonciations contenues dans mon mandat d’amener, sans pouvoir me dire sur quoi elles reposaient.
Je vous ai déjà écrit deux fois, Monsieur le Procureur général, pour vous dénoncer cette situation, et je n’ai pas encore obtenu de vous la moindre satisfaction.
Je crois trop connaître votre caractère personnel pour n’être pas convaincu qu’il y a là quelque malentendu ou erreur. Outre que je ne puis oublier que vous avez été, il y a dix ans, mon introducteur au barreau, je me souviens que vous avez bien voulu accepter, autrefois, de faire partie du Comité pour la défense de la liberté individuelle, formé par l’initiative du Courrier français [le quotidien de Vermorel]; je me souviens de votre plaidoirie dans l’affaire de la souscription Baudin, si ferme contre les complaisances politiques de la magistrature; je me souviens enfin que, dans l’affaire Mégy, vous n’avez pas hésité à affirmer, dans une consultation remarquable, et à soutenir devant toutes les juridictions, pour le Réveil, et jusque devant la haute cour de Blois, pour le citoyen Mégy lui-même, les principes protecteurs de la liberté individuelle.
Je ne pourrais, sans vous faire injure, douter que vous ne soyez aujourd’hui, comme chef de la magistrature, le ferme gardien de ces principes que vous avez autrefois défendus avec tant d’énergie au barreau.
Voilà pourquoi je viens, une troisième fois, vous prier de vouloir bien me faire connaître les charges précises qui existent contre moi, s’il en existe, ou à tout le moins me faire confronter avec M. le préfet de police Cresson, signataire du mandat d’amener contre moi, et sur la foi duquel ce mandat a été transformé en mandat de dépôt par M. le juge d’instruction, aussi ignorant que moi, à ce qu’il m’a déclaré, des causes particulières de mon arrestation.

Après huit jours d’une détention cellulaire, aussi rigoureuse qu’arbitraire, comme vous ne pouvez moins faire que de la reconnaître vous-même, vous comprendrez, Messieurs [Monsieur], que je ne puisse protester, comme je l’ai fait dans mes précédentes lettres, de mon entière confiance dans votre justice. J’ose espérer cependant, Monsieur le procureur général, que vous ferez votre devoir.

A. Vermorel

*

J’ai déjà utilisé l’image de couverture dans un ancien article, elle vient toujours du site du Musée Carnavalet.

Le livre de Duveau cité est toujours:

Duveau (Georges)Le Siège de Paris, Hachette (1939).

Cet article a été préparé en juin 2020.

[Ajouté le 8 décembre 2020. Voir aussi la belle et excellente page des archives de Paris sur les cent cinquante ans de la guerre franco-prussienne et plus précisément son article sur le 12 novembre 1870.]