« Tout Paris regarde la hauteur étincelante, Belleville, ce furoncle », écrit Florent Rastel, héros et narrateur du roman Le Canon Fraternité, après avoir raconté la dissolution des tirailleurs (voir notre article du 7 décembre). Étincelante, parce que c’est l’hiver et qu’il neige — mais ceci n’est pas un article sur le temps qu’il fait (voir notre article du 20 décembre).

C’est un article sur Belleville.

N’empêche, il fait froid, et les gardes du 174e ont écrit au Rappel (qui a publié leur lettre dans son numéro du 11 décembre):

Belleville-Paris, le 9 septembre 1870 [c’est 9 décembre, bien sûr]
Au citoyen rédacteur du Rappel

Citoyen,
Nous adressons aujourd’hui même aux membres du gouvernement de la défense nationale la protestation suivante. Nous vous serions bien obligés de lui ouvrir vos colonnes.

Citoyens,

Depuis quelques jours, les journaux s’entretiennent des faits du bataillon de Belleville, anciennement nommé les tirailleurs de Flourens. Nous n’avons pas à apprécier si les faits reprochés sont vrais, mais nous avons à protester contre les idées que peuvent faire naître dans Paris entier les méfaits imputés aux tirailleurs.

Nous appartenons au 174e bataillon et nous pouvons, nous en sommes certains, prendre sur nous d’assurer que jamais une idée d’indiscipline n’est venue à notre esprit ni à l’esprit des bataillons de Belleville. Nous ferons notre devoir, nous y sommes résolus et nous attendons de sang-froid le moment d’entrer en lutte, mais nous tenons à dire dès aujourd’hui que tous les honnêtes citoyens, et nous le sommes tous, désirent vivement ne pas être responsables des actions de quelques hommes qui, par leur lâche conduite, ont pu compromettre la partie la plus patriote de Paris.

Nous attendons le moment où l’ordre viendra de marcher à l’ennemi; aussi serions-nous obligés au gouvernement de la défense nationale de faire pour nous ce qu’il a cru devoir faire pour les bataillons de Paris.

Belleville, centre ouvrier, est pauvre. On a, lors de la formation de la garde nationale, habillé nos bataillons aux frais de la ville, croyons-nous; mais depuis trois mois, ces habits, de fort mauvaise qualité, sont en très mauvais état, par suite des exercices et des gardes dans les compagnies sédentaires. Ne pourrait-on pas, pour notre entrée en campagne, nous donner un nouvel habillement complet, vareuse, pantalon, etc., et ne pas se borner à nous accorder seulement une capote, alors que toutes les autres parties de l’habillement sont usées ?

Le froid est venu; nous ne sommes pas trep d’hommes valides à Paris; il ne faut pas que les maladies aient prise sur nous.

Nous comptons, citoyens, que vous voudrez bien prendre nos observations en considération, et nous vous prions d’agréer l’expression de nos sentiments fraternels.

Nous vous remercions à l’avance, citoyen rédacteur, de l’hospitalité que vous voudrez bien accorder à ces lignes, et nous vous saluons fraternellement.

Ricard. — Lechenet. — Loiseau. —
Fressoz. — Bruneau. — Bonneau François. — Perrin Louis, etc.

Le 174e est un des bataillons du vingtième arrondissement qui ont « marché » sur l’Hôtel de Ville, avec Gustave Flourens, le 5 octobre dernier. Lettre très digne, n’est-ce pas? Ils ont aussi écrit au Siècle qui, dans son numéro daté du 14 décembre, dit:

Nous recevons des gardes nationaux du 174e bataillon (Belleville) une pièce revêtue de nombreuses signatures et que sa longueur seule nous empêche de publier en entier. Les signataires affirment que leur quartier est l’objet de calomnies contre lesquelles ils protestent en leur nom et au nom de la population laborieuse, énergique, ennemie de la réaction autant qu’elle est amie de la république. Ils déclarent énergiquement que les manifestations parties de leur quartier, et dont on a fait tant de bruit, étaient purement patriotiques, et, que si on leur a donné un but politique, c’est à tort et malgré eux, qui ne veulent à aucun prix être soupçonnés d’avoir voulu exciter la guerre civile.

Nous savons, concluent les signataires, que c’est l’union seule qui nous débarrassera de l’étrànger et amènera le triomphe définitif de la république.

Il y a façon et façon de défendre Belleville… Un autre bataillon de Belleville, le 114e, écrit, lui aussi, au Rappel. Cette lettre paraît dans le numéro daté du 12 décembre:

Citoyen rédacteur,

Les soussignés, garde de la 8e compagnie du 114e bataillon, habitants de Belleville, ont appris, avec douleur, les faits imputés aux tirailleurs qui ont pris le nom de cette localité, et qui, cependant, pour la plus grande partie, habitent le quartier de Charonne.

Ils protestent énergiquement contre l’assimilation que prétendraient faire certaines personnes, entre les divers bataillons de leur quartier et le seul et unique bataillon qui se serait rendu coupable d’actes qu’ils seraient les premiers à flétrir.

Si quelques misérables ont lâchement forfait à l’honneur, la majorité de nos concitoyens sont de braves et honnêtes travailleurs qui se révoltent contre la calomnie qui voudrait atteindre les habitants de Belleville,

Vienne le moment, peu éloigné ils l’espèrent, et qu’ils appellent de tous leurs vœux, ils montreront alors à Paris et au monde comment des citoyens qui veulent vivre libres combattent et meurent, s’il le faut, pour la Patrie et pour la République.

Paris, le 9 décembre 1870.
(Suivent 73 signatures.)

Celui-là est un bataillon du dix-neuvième arrondissement. Dix-neuvième, vingtième, Belleville, Charonne, de quoi s’agit-il?

Avant l’annexion par Paris, en 1860, des territoires contenus dans les fortifications de 1840 — le « grand Paris » de l’époque — il y avait trois communes à l’est, Charonne, Belleville, La Villette (du sud au nord). Charonne a été incluse dans le (nouveau) vingtième arrondissement, autour de l’église Saint-Germain-de-Charonne. La Villette a été incluse dans le dix-neuvième. Entre les deux, Belleville, qui était la commune la plus peuplée du département de la Seine (à part Paris), a été coupée en deux, un morceau dans le dix-neuvième et l’autre dans le vingtième. Coupée en deux par sa rue principale, la rue de Paris (parce qu’elle y menait), qui prit le nom de rue de Belleville. La mairie, dont nous avons vu une image dans notre article du 19 novembre, se trouvait dans cette rue, côté vingtième, elle devint (provisoirement) la mairie du vingtième.

J’ignore quelles rues de l’ancien Belleville habitaient les gardes du 114e. Mais je sais quelles rues habitaient ceux du 63e (dont les tirailleurs de Belleville étaient issus). Il n’est absolument pas vrai qu’ils habitaient Charonne. Ce qui est vrai, c’est que beaucoup venaient de Ménilmontant qui, après avoir été, bien longtemps auparavant, un village, était, avant l’annexion de Belleville par Paris, un quartier de Belleville. Les rues de la Mare, des Couronnes, Vilin… c’était Ménilmontant. Où, encore au vingtième siècle, se trouvaient les pires taudis de Paris, « Belleville, ce furoncle ». Pensez à eux et à leurs habitants quand vous prenez le soleil dans le « parc de Belleville », qui les a remplacés — les taudis, pas les habitants.

Aux habitants de ce Belleville « furoncle », qu’il a connus, Jean-Pierre Chabrol a pensé, quand il a campé son imaginaire « impasse du Guet » et l’a peuplée d’authentiques tirailleurs de Belleville, turbulents sans doute et indisciplinés, mais, comme nous l’a dit Gustave Flourens (le 19 décembre), de très braves gens.

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La photographie des enfants à Ménilmontant (rue Vilin je suppose), tels que peut-être les a vues Jean-Pierre Chabrol, a été faite par Janine Niepce en 1957. Elle est au musée Carnavalet. Remplacer des enfants pauvres par un parc…

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C’est toujours grâce au dossier D.2 R 4 75 des Archives de Paris et à Maxime Jourdan que je sais dans quelles rues le 63e était recruté. Encore des remerciements à Maxime Jourdan, donc!

Livre cité

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Cet article a été préparé en août 2020.