Je reproduis l’essentiel du procès verbal de la réunion du 26 janvier à la Corderie (en noir), avec commentaires en bleu). Je renvoie, à propos des journaux, à des articles plus anciens, dans lesquels l’Association cherchait un journal, et peut-être le trouvait, brièvement, dans La Lutte à outrance, et/ou La République des travailleurs.

Président, Frankel. — Assesseur, Noro.

Sont présents [ce sont les noms des sections représentées]: École de médecine, Brantôme, Hôpital Louis, Richard-Lenoir, Faubourg Antoine, Couronnes, Ternes, Marmite 2e groupe, Coupeurs pour chaussures, Orfèvres, Mécaniciens, Cercle d’études, Cordonniers, Tisseurs en tous genres.
[…]

Méligne. Ma section a souscrit au journal. Où en sommes-nous avec la Lutte à outrance?

Lacord. Le club de l’École de médecine, qui supportait les frais de la Lutte à outrance, n’existe plus. Je me suis occupé de ce journal, tous ces jours-ci, et, sans en être sûr encore, je crois néanmoins qu’il continuera à paraître; je vous donnerai une réponse définitive mardi [le conseil fédéral se réunit le jeudi — mardi sera le 31 janvier].

Varlin. Ce journal est en danger de ne plus paraître; nous ne pouvons plus compter sur lui [le dernier numéro est bien paru le… 17 janvier]. Le malheur a durement atteint les sections des Ternes et des Batignolles pendant le siège [ici, il pense à La République des travailleurs]. La mort d’associés nous laisse sept orphelins sur les bras.

Dans la biographie de Varlin par Bruhat, le lien semble fait entre ces morts et celle de Léon Bousquet. Selon Foulon, c’était un jeune tambour étudiant en pharmacie, qui accompagnait — ou menait — la colonne descendue des Batignolles à l’Hôtel de Ville le 22 janvier. Léon Bousquet, qui avait trente ans, était garde au 155e bataillon. Il a bien été blessé le 22 janvier, mais il est mort le 28 février à l’Hôtel-Dieu. C’est d’autres membres de l’Association que parle Varlin, parmi lesquels Munier, qui compte pour quatre des sept orphelins (voir notre article du 23 janvier), et peut-être Pelletier (voir le même article), mais il y en a peut-être eu d’autres, morts à la guerre, de maladie, ou même du 22 janvier. Retour au procès verbal.

Lacord. J’ai rédigé un manifeste; je n’ai d’argent que pour en publier deux cents exemplaires.

Lecture du manifeste. — Approbation.

Il est résolu qu’on recherchera un moyen de le publier.

Un homme dévoué nous offre 1,500 francs pour commencer un journal. Je [je ne sais pas qui parle] pense que cette proposition sera suivie d’effet et que nous aurons un organe qui, conquérant une place politique puissante par notre nom et tenant haut et ferme le drapeau de l’Internationale, deviendra notre porte-voix et discutera, au nom des travailleurs, les questions politiques d’où dépendent les destinées du pays.

Dès aujourd’hui, nous voudrions flétrir les auteurs de ces menées criminelles qui ont semé la discorde entre la ligne, la mobile et la garde nationale.

Varlin. La République des travailleurs ne paraîtra probablement pas samedi prochain [elle publie ses trois derniers numéros aux dates d’aujourd’hui 29 janvier, puis des 3 et 4 février]; l’argent manque. N’ayant plus de journal, nous pourrions nous réunir à quelques groupes républicains pour publier une brochure qui fasse connaître la vérité sur les faits du 22 janvier. En face de la capitulation, l’Internationale a fait son devoir.

Lacord. La Lutte à outrance peut tomber dignement; elle peut se faire supprimer en publiant un appel à l’armée.

Goullé [il s’agit de Henri Goullé]. La population est pourrie; si le conseil fédéral veut accepter la responsabilité, publions hautement notre opinion sur la situation politique. Quant à moi, je crois que le peuple ne nous soutiendra pas.

Lacord. Nous ne devons pas désespérer, si on nous abandonne, restons l’Internationale, c’est-à-dire une association d’hommes pratiques et marchants seuls et la tête haute.

Frankel. Occupons-nous moins du 22 janvier et plus de l’avenir.

Varlin. Actuellement l’élément solide, c’est-à-dire les travailleurs, manque; ceux-ci se contentent des indemnités de 1 fr. 50 c. et 0,75 c. pour leurs femmes.

Goullé. Si nous ne restons pas étroitement unis en face de la bourgeoisie qui, déjà, s’organise pour réduire les salaires après la guerre, ce serait renier le devoir.

Frankel. Les délégués tiennent le langage du découragement [il semble clair que les « délégués » sont les membres de la Délégation des Vingt arrondissements, je ne suis pas sûre de comprendre à quelle déclaration Frankel fait allusion]. La situation était d’une telle gravité qu’elle désorientait tout le monde; en faisant de la propagande, nous ramènerons le peuple à nous.
Les clubs, les ligues, n’ont rien fait; ils ont laissé tomber Paris et ils pouvaient le sauver. Le Prussien va entrer, la bourgeoisie le flattera pour conserver sa puissance et ses privilèges, et elle fera peser sur nous les charges qui vont résulter de la guerre.

Lacord. Nous avons assez discuté; il faut aviser à ramener d’abord les ouvriers et ensuite avoir des travailleurs parmi les gens au pouvoir.

Noro. Les sections doivent être recomposées; je demande que le conseil fédéral nomme des délégués qui aillent les réveiller.

Varlin. La République des travailleurs et la Lutte à outrance ne reparaîtront probablement plus, cherchons donc un moyen de faire un nouveau journal; le seul moyen que nous avons de devenir forts est de réorganiser l’Internationale.

Méligne. Il peut survenir dans la situation des événements qui nous soient favorables; nous devons nous tenir prêts à bénéficier des circonstances.

Hardy. La République est en danger, nous devons nous unir aux républicains pour la défendre.

Frankel. Je demande à l’assemblée si elle ne juge pas urgent de voter qu’en cas d’événement toutes les sections devront se réunir ici.

La proposition est votée à l’unanimité.
La séance est levée à onze heures.

Le secrétaire,
H. Goullé

*

Non, ce n’est pas la même photographie de la Corderie que celle que j’ai déjà utilisée pour l’article du 5 janvier (et dans un article plus ancien). J’ai fait celle-ci le 17 décembre 2020. 

Livres utilisés

Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).

Bruhat (Jean), Eugène Varlin, Éditeurs français réunis (1975).

Foulon (Maurice)Eugène Varlin, relieur, membre de la Commune, Mont-Louis (Clermont-Ferrand) (1934).

Cet article a été préparé en juillet 2020.