M. Maxime Ducamp tient ce renseignement de la police

écrit Camille Pelletan dans La Semaine de Mai… à propos du nombre de corps exhumés de trois squares parisiens après la Semaine sanglante. Coïncidence? L’un de ces trois squares est le square du Temple, par lequel est peut-être passé le corps de Charles Delescluze. En tout cas, ce n’est pas de la police mais d’Alfred Feydeau, à la direction des cimetières, que Ducamp tenait cette information-là. Il n’y a aucun doute que Ducamp ait transmis ce que lui apprenait Alfred Feydeau à la police. De ces renseignements, copiés de sa main sur son charmant papier à lettres bleu dans un dossier aux archives de la préfecture de police, le prouvent. Plusieurs policiers étaient d’ailleurs de ses amis intimes (voir le chapitre XXXVI de la nouvelle édition de La Semaine de Mai).

Mais ce n’est pas de cela qu’il est question dans cet article. C’est de la mort de Delescluze, c’est de ce que nous avons lu des Convulsions de Ducamp dans l’article précédent qu’il est question. Eh bien, voici une autre lettre de Ducamp sur papier bleu. Celle-là se trouve parmi bien d’autres manuscrits, en général de communards, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Je garde le code couleur de l’article précédent. Ce qui n’est pas en marron m’est dû.

B. Baden 26 août 1877[On peut hésiter, 1877? 1871? Mais la suite confirme 1877]
Cher Monsieur,
Nos lettres se sont croisées; j’ai trouvé votre pli hier au soir en rentrant de la chasse, trop tard pour vous en accuser immédiatement réception. Je vous remercie: je garderai ce précieux document et vous en [le] ferai remettre en mains propres dans le courant de septembre par M. Roger de Cormenin [Ce fils de Louis de Cormenin, ami de Du Camp et Flaubert, est né en 1854, ce qui confirme la date 1877.] qui viendra passer quelques jours chez moi à cette époque.
Ne me trouvez pas trop importun, mais j’avais espéré que M. Lombard [Il s’agit de Justin Lombard, de la police politique, dont nous avons déjà parlé sur ce site] avait [illisible] quelques notes sur les incidents qui ont précédé la mort de Delescluze, les membres encore présents de la Commune se disputaient comme des crocheteurs [chiffonniers]. Delescluze prit son chapeau et partit — de la mairie du XIe disent les uns — d’un cabaret où l’on dînait, disent les autres. On a déifié le vieux sectaire. Il marche vers la mort comme le Christ sur les eaux. Tout cela me semble bien exagéré bien révolutionnairement voulu [?]. Vous possédez, à son dossier, une note secrète adressée au gl Valentin [Le général Louis Ernest Valentin faisait fonction de préfet de police à Versailles pendant la Commune] et disant que dès le 15 mai, Delescluze avait fait retenir un logement à Bruxelles. Où est la vérité ? quel service vous me rendriez en aidant à la dire. M. Lombard peut-il m’écrire un mot, ne serait-ce que pour m’apprendre qu’il n’a rien découvert, je referai alors mon travail et donnerai impartialement toutes les versions contradictoires: le lecteur y fera son choix.
Ne m’en veuillez pas trop de tant insister sans attacher à ma copie plus d’importance qu’elle n’en mérite, je sais qu’elle est bien accueillie du public et je voudrais lui donner une sincérité irréprochable, ce qui me permet d’être sévère tout en restant juste.

Merci encore, pardon toujours, cher monsieur
Sachez moi bien invariablement
tout à vous
Maxime du Camp

Cette lettre est rangée entre quelques lettres de Courbet de 1872 et des autographes de Victor Jaclard, Edmond Mégy… Un classement qui ne donne aucune idée de son destinataire ni de la façon dont elle a abouti dans ce groupe de manuscrits. Évidemment le destinataire est un haut fonctionnaire de la police. D’autre part, sur la dernière ligne du recto de la lettre, une autre main utilisant une encre d’une autre couleur a écrit: « Monsieur le Préfet ».
Quoi qu’il en soit, cette lettre parfaitement authentique donne la réponse à une des questions « sources » que nous nous sommes posées en lisant le livre de Ducamp dans l’article précédent: la note sur le logement à Bruxelles vient de la préfecture de police. La lettre laisse imaginer que Justin Lombard ou un de ses collègues a répondu à la demande de l’ « historien ».

Je reviens sur ce qu’on aurait trouvé dans les poches de Delescluze, que Ducamp résumait par le soupçon, l’ivrognerie, la cruauté, la débauche.
Le soupçon, donc. Un désaccord politique entre Vermorel et Delescluze aurait produit une dénonciation lui apprenant que Vermorel était décidé à se défaire de lui, « par le fer ou par le poison » retrouvée sur le cadavre, selon Ducamp. C’est certainement une pure invention, de la police ou de Ducamp lui-même. Souvenons-nous de ce que nous a dit Albert Theisz:

Je l’arrête [Delescluze] et lui apprends que Vermorel est blessé. Il va lui serrer la main et lui dit quelques mots.

Et qui est confirmé par Lissagaray.

Et la débauche? Eh bien, nous en parlerons dans le prochain article.

*

La (double) photographie de la barricade du Château-d’Eau (après…) vient du musée Carnavalet.

Sources

Les deux lettres de Ducamp dont il est question ici sont, l’une dans le dossier Db 420 aux archives de la préfecture de police, l’autre dans les manuscrits cotés MS 1131 à la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Les livres et articles cités sont:

Pelletan (Camille)La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022)..

Scheler (Lucien)Albert Theisz et Jules Vallès, Europe 499-500 (Novembre-décembre 1970), p. 264-272.

Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).