Cette fois-ci, j’emprunte l’expression « presse aboyante » du titre à Lissagaray. Et je vous donne la source de l’information « la débauche » dans le texte de Ducamp sur la mort de Delescluze, dans les poches duquel on aurait trouvé, après sa mort (article précédent) — une lettre de la citoyenne Verdure, déléguée à l’orphelinat de la rue Oberkampf, relative à un fait de galanterie vénale.

La presse aboyante, c’est ici Le Gaulois daté du 15 juin 1871. Un large extrait de cet article est cité dans le livre de Lissagaray. Je le cite complètement, dans la même couleur que j’ai cité Ducamp.

Les proxénètes
de la Commune

Les farouches puritains de la Commune savaient, une fois descendus de leurs tréteaux, pratiquer, d’une façon à eux, ces belles théories d’union libre et de rupture libre, destinées à restaurer les bonne mœurs dans l’espèce humaine.
Ces don Juan de bagne avaient établi, dans leurs mairies, de vrais lupanars auxquels les pourvoyeuses ne manquaient point. Ils les recrutaient de préférence dans le personnel de « déléguées » de toute sorte qu’ils avaient déchaînées dans Paris, et triées parmi les femmes les plus décriées, leurs maîtresses en général.
Dans ce temps-là, on le sait, le mot « délégué » était à la mode; il formait la base du vocabulaire communal. 
Certain délégué, donc, qui avait jusque là posé dans la vie publique pour l’inflexibilité du caractère, et dans la vie privée pour l’austérité des mœurs, Delescluze, puisqu’il faut l’appeler par son nom, s’était fait monter, à la mairie du XIe arrondissement dont il était l’élu à la Commune et qu’il administrait comme délégué, une petite retraite aimable où il venait se reposer des soucis du Pouvoir, en compagnie de jeunes vestales, recrutées dans la légion des pétroleuses.
Au surplus, cette Mairie était transformée en phalanstère, et la nuit où y entra le général de Langourian — celui-là même qui fut, avec le général Chanzy, traîtreusement arrêté en wagon par ordre de la Commune et gardé prisonnier pendant quelques jours, elle offrait un spectacle aussi étrange que repoussant.
Chaque couple avait fui sa chambre en plein désarroi, et ils étaient nombreux, presque toutes les pièces de ce vaste édifice ayant été transformées en chambres à coucher! Ce n’était partout, sur le parquet, sur les meubles, dans les lits défaits, que faux chignons rancis, jupons jaunis, corsets défraîchis, restes de victuailles, fonds de bouteilles, débris et maculatures de toute espèce de l’orgie habituelle de la soirée. Les soldats durent immédiatement procéder au nettoyage et à la désinfection de la Mairie, pour la rendre accessible sans trop de péril pour la vue et l’odorat.

Delescluze, l’Erostrate-Marat, qui vient de « faire à la liberté des funérailles dignes d’elle », avait donc sa petite maison dans ce lieu de délices, et la maîtresse du sieur Verdure [Je l’ai dit, dans Comme une rivière bleue, je n’y attache pas de valeur particulière, mais je sais que ces messieurs si, alors j’insiste: Caroline Verdure était l’épouse légitime d’Augustin Verdure], autre élu du XIe arrondissement, laquelle avait été nommée « déléguée » à l’Orphelinat de la rue Oberkampf, employait son importance nouvelle à tout ce qui pouvait procurer d’agréables distractions aux grands hommes de la Commune.
Ces faits étaient déjà connus et presque publics. Or, voilà qu’on vient d’en découvrir, sur le théâtre même, une de ces preuves irrécusables qui appartiennent à l’histoire et à la conscience publique, et que nous rapportons dans sa nudité révélatrice.

Voici comment la matrone infâme chargée, ne l’oublions pas, de la direction d’une maison de jeunes orphelines de tout âge, la fille de joie accouplée au brigand Verdure, la proxénète de profession et d’expérience, pourvoyait un jour à la lubricité avinée de l’incendiaire en chef de Paris. Certains objets ignobles, trouvés en nombre dans cette maison souillée, prouvent d’ailleurs toute la prudence de ce Faublas de la basse démagogie dans la débauche.

Au citoyen Delescluze, 

Je certifie que la nommée Henriette Dubois est dans un état de SANTÉ et de PROPRETÉ qui ne laisse ABSOLUMENT RIEN À DÉSIRER.
Paris, le 5 mai 1871
Citoyenne VERDURE

Et voilà ce que valaient les plus illustres d’entre les régénérateurs de l’humanité.

Signé X

Franchement, ça me dégoute plus pour Caroline Verdure et plus généralement pour les femmes que pour Charles Delescluze, qui après tout, était mort. Évidemment, personne n’y croit. Personne n’y croit, mais pendant ce temps, Caroline Verdure sans doute fait la queue pour essayer de rendre visite à son mari prisonnier à Versailles (comme sur l’image de couverture, que j’ai déjà utilisée). Personne n’y croit: au cours du procès à grand spectacle qui s’est ouvert un mois et demi plus tard, il y a eu de nombreux interrogatoires de témoins portant sur ce qu’ils avaient vu à la mairie du XIe et il n’a jamais été question de cette histoire.
Personne n’y croit, mais, huit ans après, Monsieur Ducamp se souvient de cette infamie et la rappelle à ceux qui l’auraient oubliée.

Je crois que j’ai assez passé de temps avec ce sale bonhomme. C’est donc la fin de cette série de trois articles!

Livres cités

Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017).