Puisque c’est le 8 mars…
Et puisque j’étais supposée être en Bretagne ce jour-là…
Voici des nouvelles d’une femme bretonne.
*
Un beau jour de février, je reçois un message de Wendy Baucom, que je ne connais pas, qui m’écrit de Virginie, qui prépare un roman sur la Commune, décidément un sujet d’intérêt pour les Américains, et qui, de même que mon ami Geoffrey Fox, s’intéresse aux relieurs et même aux relieuses puisque suit une question sur… Nathalie Le Mel
… et sur les enfants qu’elle a eus, à Paris, en 1863 et 1866, alors que l’on dit qu’elle n’avait eu que trois enfants, quand elle vivait encore en Bretagne, et était séparée de son mari.
Je réponds à Wendy que je ne sais pas grand chose sur Nathalie Le Mel et je demande des précisions.
Wendy a trouvé ça sur un site Ancestry.com. Je suis plus familière de l’état civil en ligne aux archives de Paris, et je peux confirmer rapidement ses informations. Voici donc deux petits Le Mel:
- Nathalie Alexandrine, née le 13 novembre 1863 dans le cinquième arrondissement, et
- Jules Auguste, né le 11 mars 1866 et mort une semaine plus tard, dans le sixième arrondissement.
Ah!
Je suis sûre que vous voulez en savoir plus. Alors je lis les actes de naissance (et de décès) plus en détail et je vous en dis plus.
Remarque préliminaire: ceci ne contredit pas la séparation de Nathalie d’avec son mari. En effet ce mari n’est présent lors d’aucune de ces naissances, et même lors d’aucune des déclarations dans les mairies. Celles-ci sont faites, comme la loi le demande en l’absence du mari,
- par la sage-femme présente lors de la naissance de Nathalie Alexandrine,
- par l’interne en médecine présent lors de celle de Jules Auguste.
Mais Nathalie est mariée — et, au dix-neuvième siècle, de 1816 à 1884, on ne divorce pas — et c’est donc son époux qui est réputé le père des enfants qu’elle met au monde.
Quant au père biologique…
La seule autre façon de faire serait que le père biologique aille à la mairie et déclare l’enfant « né de mère inconnue ». C’est ce qu’ont fait, par exemple, Séverine et Adrien Guebhard lors de la naissance de leur fils en 1880. Mais était-ce bien connu des ouvriers dans les années 1860?
Venons-en au fait!
Nathalie accouche de la fillette 36 rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, qui est alors, d’après l’acte, son domicile. La sage-femme habite 18 rue de la Contrescarpe. Les deux témoins sont Jean Marie Blanchet, un rentier de 45 ans vivant dans la même maison que Nathalie, et Jean Baptiste Alexandre (tiens, tiens… la petite s’appelle Alexandrine), un relieur (tiens, tiens…) de 30 ans vivant place de Cambrai (emplacement actuel du Collège de France).
Pour le petit garçon, l’état civil ne donne aucune piste: Nathalie accouche à l’hôpital de la Charité (c’est l’adresse 47 rue Jacob qui figure dans l’acte), dans le sixième, qui est l’arrondissement des relieurs et qui est aussi très proche de son domicile, 12 impasse Béranger — une adresse idéale pour une relieuse bretonne, à proximité immédiate des lieux de travail et… de la gare Montparnasse (ceux qui ont lu l’unique biographie existante de Nathalie Le Mel et croient que l’impasse Béranger se trouve dans le troisième arrondissement sont invités à regarder le plan utilisé en couverture, toujours extrait du même plan de Paris). Comme c’est un hôpital, ce sont des employés de cet établissement qui sont les témoins pour l’état civil.
Merci, Wendy!
La mauvaise nouvelle, ce sont ces enfants morts (bien que je ne sache rien de la mort de Nathalie Alexandrine)…
Mais la bonne nouvelle, pour moi, c’est que Nathalie Le Mel, ouvrière et militante active, a vécu une vraie vie de femme. Je l’ai déjà dit, je n’en peux plus des vierges rouges et des saintes laïques… Si je l’avais su plus tôt, je l’aurais faite danser le soir du 28 mars dans Comme une rivière bleue! Et puis rentrer chez elle avec un amant…