Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
4. Mercredi 22 décembre 1869
L’article de tête est signé Paschal Grousset, c’est le premier d’une série au beau titre « Journal d’un homme libre », qui s’attaque à Émile Ollivier, ministre de l’Intérieur en puissance (et à sa famille, en ce temps-là, on n’avait même pas besoin d’emplois fictifs) ;
le citoyen Gaillard père (celui qui, pendant la Commune, organisera les barricades) est arrêté à Belleville et la réunion qu’il devait tenir n’a pas lieu ;
s’attaquant au parlementarisme « goutteux », Arthur Arnould déclare que
nous […] voulons l’avènement du prolétariat, l’égalité sociale, le gouvernement direct du peuple par lui-même
(eh ! camarade ! c’est l’empire!) ;
dans la rubrique « Question sociale », Millière s’attaque aux loyers ;
le journal publie un « compte rendu analytique » de la séance du lundi 20 décembre de la Chambre, quelle cascade de barons, de comtes et de marquis ! au cours de laquelle Rochefort « questionne » le gouvernement sur l’expulsion d’un député espagnol ;
dans les nouvelles diverses une femme se suicide parce qu’elle ne peut payer le terme, il y a des accidents du travail, et les circonstances d’un crime laissent champ libre aux conjectures ;
la rubrique « La vie du travailleur » s’inquiète de l’effroyable mortalité des nouveau-nés en nourrice…
Pour aujourd’hui, je retiens la rubrique « Bulletin du travail », d’Augustin Verdure. Celui d’aujourd’hui est bref. Je commence donc par un extrait du journal d’hier.
Un concours utile
L’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon vient de décider qu’un prix de 1,200fr sera accordé à l’auteur du meilleur mémoire sur le sujet suivant :
« Étudier, rechercher, surtout au point de vue moral, et indiquer aux gouvernants, aux administrateurs, aux chefs d’industrie et aux particuliers quels seraient les meilleurs moyens, les mesures les plus pratiques,
« 1° Pour élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes, lorsqu’il y a égalité de services et de travail ;
« 2° Pour ouvrir aux femmes de nouvelles carrières et leur procurer des travaux qui remplacent ceux qui leur sont successivement enlevés par la concurrence des hommes et la transformation des mœurs.
Les mémoires devront être envoyés au secrétariat de l’Académie, place Saint-Pierre, à Lyon, avant le 1er février 1870.
Voilà un exemple qu’on ne saurait trop encourager. Nous voudrions voir appliquer à de tels concours toutes les subventions accordées par l’État aux courses hippiques du Jockey-Club.
A. VERDURE
secrétaire de la Commission consultative
des Sociétés ouvrières
Aujourd’hui.
Bulletin du travail
L’union des Ébénistes
L’Union des Ébénistes est un groupe d’ouvriers organisé par les soins de la Société coopérative franco-étrangère l’Union des comptoirs. Les travailleurs occupés dans les ateliers de l’Union des Ébénistes, ne sont pas associés, mais ils participent aux bénéfices de l’entreprise. Une occasion excellente, selon nous, leur est offerte pour conquérir leur complet affranchissement du patronat.
L’Union des comptoirs leur propose la cession au prix de revient de l’outillage, des matières premières et fabriquées qui composent l’établissement de la rue du Chemin-Vert, à la condition qu’ils se constituent en association coopérative.
Une réunion d’ouvriers de la corporation a eu lieu samedi, à l’effet d’arrêter les bases de la société et du traité de cession. Il a été convenu de fonder une société au capital de 60,000 fr., divisé en 600 actions de 100 fr. chacune. Les ouvriers désireux d’aider au succès de cette entreprise, sont invités à assister à la nouvelle réunion qui aura lieu dans les ateliers de l’établissement, mercredi soir, à 8 heures, 166 rue du Chemin-Vert.
L’Union des comptoirs ne demande aucune indemnité pour la clientèle, ni aucun intérêt pour le capital engagé.
A. VERDURE
secrétaire de la Commission consultative
des Sociétés ouvrières
On voit ici que la classe ouvrière cherche déjà à organiser sa façon de travailler, voire d’être exploitée… La rubrique est impressionnante par sa diversité et surtout par le nombre de corps de métiers et d’associations nommés au fil des jours. Je complète par quelques « Communications ouvrières ».
Communications ouvrières
La fédération ouvrière de Marseille a adressé au nom de la Société des Cordonniers de cette ville, une somme d’argent, à titre de prêt, aux grévistes de la Seine-Inférieure. C’est un bon exemple qui, nous l’espérons, sera bientôt suivi par toutes les corporations ouvrières, dans les circonstances analogues.
Les industriels d’Elbeuf, n’ayant pas réussi à dissoudre les Sociétés coopératives, proposent à leurs ouvriers la création de chambres syndicales mixtes, c’est-à-dire composées par moitié de patrons et de travailleurs.
Nous engageons ceux-ci à ne pas oublier le vieux proverbe : « Il ne faut qu’une brebis galeuse dans un troupeau pour tout gâter. »
S. DEREURE
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L’image de couverture est un portrait d’Augustin Verdure que j’ai extrait du compte rendu du Conseil de guerre qui l’a condamné en 1871.
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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec l’article de Millière ressaisi, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).