Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
3. Mardi 21 décembre 1869
Dans son « Courrier politique » du jour, Arthur Arnould s’interroge sur le rôle politique de la magistrature ;
le journal commence à publier son premier feuilleton ;
Henri Verlet, rédacteur à L’Excommunié, envoie un article (anticlérical) sur un congrès de libre-penseurs;
un lecteur annonce à Victor Noir que l’arbre de la liberté dont il parlait il y a deux jours est abattu ;
dans sa « Tribune militaire », Flourens s’intéresse aux marins, qu’on envoie intervenir partout dans le monde pour nous faire détester ;
Millière discute « Notre programme » ;
Simon Dereure explique que les travailleurs sont aptes à faire leurs affaires eux-mêmes, d’où la formation de chambres syndicales ;
le secrétaire de la « Société démocratique de moralisation, ayant pour but d’aider les ouvrières à vivre par le travail dans le devoir ou à y rentrer » a fait parvenir une circulaire, que le journal publie — ce secrétaire se nomme Louise Michel ;
il y a des nouvelles diverses….
Pour aujourd’hui, je conserve une lettre.
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Nous recevons la lettre suivante :
Paris, le 18 décembre 1869
Monsieur le rédacteur,
L’article Juges et condamnés, que publie aujourd’hui la Marseillaise, m’autorise à vous demander de mettre sous les yeux de vos lecteurs la lettre suivante, adressée par moi à la Réforme :
Paris, le 10 décembre 1869
Monsieur le rédacteur,
Aujourd’hui je me trouvais à la 6e chambre (police correctionnelle) relativement à un refus d’insertion de la part du Figaro ayant pour objet l’Abstention.
Notre affaire était remise pour la quatrième fois au moins, et cette fois-ci à cause du procès fait au journal le Rappel.
C’est donc vous dire que j’ai assisté au commencement des débats relatifs à l’article du journal le Rappel. Voici ce qui s’est produit après le réquisitoire du ministère public. M. Gambetta prit la parole pour défendre M. Ch. Hugo ; à peine au milieu de se plaidoirie……………….
(Nous supprimons ce passage de la lettre de notre correspondant pour éviter de faire paraître un compte rendu interdit.)
Aussitôt un léger murmure approbateur se faisant entendre dans l’auditoire, M. le président, usant de son pouvoir discrétionnaire, ordonna l’évacuation de la salle en ordonnant aux gardes de ne laisser que les gens en robe.
Toutefois, mes amis et moi avons remarqué que ce ne sont pas les avocats qui ont le moins concouru à manifester ostensiblement le signe réprouvé.
Jusqu’ici je ne les blâme pas mais, voici ce que moi, abstentionniste, j’aurais fait, si j’avais consenti à me défendre devant la magistrature.
J’aurais tiré les conclusions suivantes :
« Attendu que les procès de presse ne peuvent être publiés et que le public se trouve exclu par le pouvoir discrétionnaire de M. le président. Nous défenseurs accusés et tous les avocats présents évacuons la salle et laissons les trois juges et l’avocat impérial entre les quatre murs du prétoire. »
Mais non, ces messieurs ne sont pas assez virils pour faire cela et déjà le parlementarisme nous fait voir leur accès à la chapelle sixtine.
Aussi, citoyen, je m’applaudis chaque jour, moi électeur de la première circonscription, de ne pas avoir concouru par mon vote à jeter, comme dit Proudhon, dans son beau livre de la Justice, un de mes concitoyens dans les bras du MAGNAT, faisant entendre son flageolet.
E. DUPAS
médecin, 76, rue Myrha
Le procès de la 7e chambre qui a motivé votre article, me confirme de plus en plus dans la ligne suivie par les abstentionnistes.
Je viens donc sous forme de conclusions pratiques vous soumettre la proposition suivante :
Attendu qu’on est sûr à l’avance d’être condamné en matière de presse ou de délit politique ;
Il est urgent de s’abstenir de toute défense devant la magistrature ; se défendre supposant l’absence d’un parti pris à l’avance, sur l’injonction du pouvoir exécutif, ce qui nous a été démontré par la démission de ce magistrat de Toulouse, refusant d’obéir à un ordre venu du ministre de la justice.
La lettre du citoyen Ferdinand Gambon, publiée aujourd’hui dans ce même numéro, nous indique la marche à suivre :
Abstention devant la magistrature.
Abstention à l’impôt.
Abstention au service militaire.
Abstention à l’église.
Là est le salut citoyen.
Votre tout dévoué
E. DUPAS, médecin,
Rue Myrha, 76, Paris-Montmartre.
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Le citoyen Dupas est déjà apparu sur ce site, dans les notes de Theisz parce que son fils garde les chevaux de Vermorel et Dombrowski avant que ce dernier se fasse tuer sur la barricade de la rue Myrrha, justement. Aussi, implicitement, parce que c’était un voisin, un ami, un des acteurs de la boulangerie coopérative et le médecin de Victorine B., dans les articles consacrés à son livre. Et parce qu’il a parlé de l’infériorité morale de « la » femme dans une réunion à laquelle Varlin assistait.
Le Figaro, par la plume de Francis Magnard, ironisera sur cette lettre dans son numéro du 22 décembre, ce qui fera rire à son tour Bazire dans La Marseillaise datée du 23.
En couverture, le Dégel, par Gill, dans l’Éclipse du 12 décembre 1869, qui est sur Gallica, là. Dois-je expliquer cette image?
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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec les articles de Flourens et Millière ressaisis, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).