Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

8. Dimanche 26 décembre 1869

Dans son « Journal d’un homme libre », Paschal Grousset s’indigne de l’interdiction à Naples du contre-concile organisé par les libres-penseurs, brocardant au passage « M. Forcade, de la Roquette (près le Père La Chaise) », le ministre de l’intérieur qui interdit toujours la vente du journal en kiosque, il rappelle que « la République de 1848 a fait arroser d’eau bénite les arbres de la liberté : ils en sont morts » ;

« Ne riez pas », demande Habeneck en annonçant, prétend-il, les noms des nouveaux ministres ;

Ulric de Fonvielle, dont on reparlera, informe sur la candidature d’Odger, de l’Association internationale des travailleurs, dont on reparlera aussi, aux élections en Angleterre ;

nouvelles de Russie et d’Espagne ;

Victor Noir dresse le tableau chiffré de la misère en France, dont je retiens qu’on abandonnait dix enfants par jour à Paris ;

la tribune militaire de Flourens reçoit chaque jour de nombreuses plaintes de soldats opprimés ;

Millière parle de liberté, en particulier dans une société où elle n’aura plus besoin d’être réglementée ;

je note que l’on peut acheter ses cadeaux d’étrennes à la librairie Hetzel, ce à quoi d’ailleurs Dereure encourage les lecteurs des nouvelles diverses, et je remarque que l’on ne faisait pas de cadeau de Noël ;

marquis et barons occupent le compte rendu du Corps législatif ;

la Bourse se réjouit du ministre des finances.

Pour aujourd’hui je garde le « Courrier politique » d’Arthur Arnould.

COURRIER POLITIQUE

On connaît le fait : — un maire de la circonscription où M. Campaigno est censé avoir été élu, fait voter les électeurs dans sa chambre à coucher, et garde l’urne électorale avec lui, pendant la nuit.

Le lendemain, quand on dépouille le scrutin, il ne se trouve que cinq bulletins au nom de M. de Rémusat, le concurrent de M. de Campaigno.

Or quarante et un électeurs déclarent avoir voté pour M. de Rémusat.

Le maire de l’empereur a donc, pendant la nuit, soustrait trente-six bulletins au nom de Rémusat, et les a remplacés par trente-six bulletins au nom de Campaigno.

C’est ainsi bien évidemment que le coup d’État a obtenu, en 1852, les sept millions cinq cent mille OUI — que vous savez.

L’élection de M. Campaigno a été validée, comme cela devait être, et nous n’y voyons aucun mal, — au contraire. Les yeux finiront par s’ouvrir.

Mais le ministre de la justice, un vieillard, un haut magistrat, a osé déclarer à la tribune que le témoignage de 41 citoyens, — honnêtes gens, dont pas un n’accepterait un ministère, — ne prouvait rien, et qu’il était probable qu’ils avaient menti.

De là indignation et colère de quelques journaux.

Indignation de quoi ?

Colère de quoi ?

Vous ne saviez donc pas encore, — vous ne saurez donc jamais sous quel régime vous vivez ?

Ce que M. Duvergier, ministre de la justice de l’empereur Napoléon III, a dit hier au Corps législatif, n’est que l’énoncé d’un principe que les juges du même Napoléon III appliquent tous les jours en justice correctionnelle, lorsqu’un journaliste ou un citoyen quelconque est poursuivi pour délit politique.

Vous avez dit, par exemple, qu’au mois de juin, les agents de police assommaient les passants à coups de casse-tête.

On vous accuse de fausse nouvelle, naturellement.

Vous amenez soixante-quinze témoins, pris dans toutes les classes de la société, qui viennent certifier tous les faits annoncés par vous.

Parmi ces témoins, plus d’un porte encore sur le visage les traces des coups qu’il a reçus, et les montre au tribunal.

C’est irréfutable, vous écriez-vous.

Quelle erreur !

On sort de la coulisse un commissaire de police.

— Est-il vrai, lui demande le tribunal, que vos agents aient frappé les citoyens dans la rue, avec des casse-têtes ou d’autres armes ?

— Je jure que non, — répond le commissaire de police.

Cela suffit, — le tribunal est éclairé.

Le témoignage de soixante-cinq honnêtes gens ne compte pas devant le témoignage d’un agent de M. Pietri, et le journaliste est condamné à la prison.

Cette jurisprudence a, maintenant, la consécration officielle du chef suprême de la magistrature impériale, de M. le ministre de la justice en personne.

Lui aussi, à la face du pays tout entier, en face de l’Europe qui l’écoute, en face de l’histoire qui enregistre ses paroles, vient déclarer tranquillement que le témoignage de quarante et un électeurs, certifiant sur l’honneur que, tel jour, ils ont voté pour tel candidat, ne mérite pas d’être pris en considération, du moment que le maire que l’on accuse d’avoir violé l’urne du scrutin, daigne assurer qu’il n’en est rien.

Du même coup, voilà une quarantaine de citoyens français dont l’honneur est mis en suspicion, et qui se voient indirectement inculpés de mensonge et de parjure.

M. le ministre de la justice de l’empereur aurait pu même, sans y mettre aucune forme, les diffamer ouvertement.

Pour cela, il n’eût pas couru le plus petit risque.

Ce ministre n’est-il pas couvert par l’article 75 de la Constitution de l’an VIII, qui met à l’abri de l’action des lois les fonctionnaires de l’État ? [Il s’agit de la Constitution du Consulat, un mois après le coup d’État du 18 brumaire — vive l’ordre ! vive Bonaparte!]

ARTHUR ARNOULD

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L’image de couverture est une annonce publicitaire découpée dans la page 4 du journal.

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Le journal en entier et son sommaire détaillé, ainsi que les articles de Flourens et Millière ressaisis, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).