Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

11. Mardi 29 décembre 1869

Ollivier est ministre (voir ci-dessous) ;

les nouveaux ministres sont tous des députés qui ont été élus parce qu’ils étaient appuyés par le gouvernement ;

c’est peut-être parce qu’ils ont souscrit pour deux soldats envoyés en Afrique (eux-mêmes parce qu’ils avaient assisté à une réunion électorale) que les soixante-quinze militaires ont été arrêtés (mais l’ont-ils été, comme le soupçonnent Le Rappel et La Marseillaise, voilà la question) ;

l’élection d’Isaac Pereire est invalidée et une nouvelle session parlementaire va s’ouvrir, nous dit Germain Casse, qui ajoute que le prêtre, au confessionnal,

dit à la femme de refuser ses caresses au mari qui voterait pour le juif,

ce qui me laisse perplexe ;

la « gauche » dépose un projet de loi électorale ;

Victor Noir crève de rire en apprenant que Mlle Agar va dire « la Grève des Forgerons » de François Coppée, une œuvre anti-sociale, dans une réunion publique; l’intervention au concile de l’archevêque de Paris, Darboy, sur le célibat des prêtres le fait rire aussi ;

Ulric de Fonvielle s’énerve contre les gouvernements spéciaux de l’empire dans « Nos colonies » ;

Flourens s’exprime contre une circulaire qui engage les officiers de garnison à interdire les rapports entre l’armée et la population civile ;

Verlet se réjouit que l’anti-concile ait adopté le principe de pas de prêtre à la naissance, au mariage et à la mort, sans parler de l’école laïque pour les garçons et pour les filles ;

des listes de souscription pour les deux soldats envoyés en Afrique, pour les républicains étrangers expulsés de France ;

Francis Enne réclame, il n’y a pas de « refuge » pour les piétons dans les quartiers populeux, en particulier il est dangereux de traverser la place de la Bastille (mais on peut… MA) ;

le bulletin du travail donne des nouvelles des mineurs de Saint-Étienne ;

Puissant dénonce l’existence de place privilégiées au procès Troppmann.

Avant de lire l’éditorial d’Arnould, je vous propose un extrait du « Bulletin du travail », reproduit de L’Éclaireur de Saint-Étienne, daté du 23 décembre, journal de Frédéric Dorian, député républicain.

BULLETIN DU TRAVAIL

[…]

Le sort des mineurs n’est pas des plus brillants. Sur cent bennes de charbon extraites par eux on en déduit six pour tenir compte des pierres que le charbon contient. Ces pierres sont triées du charbon et jetées en un tas. Un usage à peu près généralement établi, c’est que les femmes des mineurs sont admises à aller choisir parmi ces pierres celles qui recèlent encore quelques parcelles de charbon et dont elles peuvent alimenter leur feu. Nous apprenons que des femmes de mineurs habitant au Soleil [un quartier de Saint-Étienne] ont été repoussées, et avec violence, de quelque puits où leurs maris travaillaient.

Ces pauvres femmes se demandent pourquoi on retient six pour cent aux pauvres mineurs, à cause des pierres dont l’extraction ne leur est pas payée, et qu’on refuse à leurs femmes le droit de ramasser sur le tas quelques-unes de ces pierres.

OLLIVIER MINISTRE

M. Émile de Girardin [qui dirige La Liberté] ne se tient plus de joie et d’impatience à l’idée qu’Émile Ollivier va devenir ministre, et sera admis à l’honneur de travailler devant des têtes couronnées.

Eh bien, nous aussi, nous demandons, nous réclamons le ministère Ollivier.

D’abord nous ne voyons plus rien qui puisse s’opposer à ce que M. Ollivier reçoive un ministère des mains de l’empereur.

N’est-il pas compromis, usé, impopulaire ? — N’a-t-il pas démontré qu’il n’avait ni conviction, ni conscience, ni caractère, ni programme ? — Ne représente-t-il pas, dès à présent, l’idéal du ministre, tel que nous avons appris à le connaître depuis bientôt vingt ans ?

Ensuite, tant qu’Émile Ollivier n’aura pas fonctionné, il se rencontrera des gens pour s’imaginer qu’Émile Ollivier aurait pu réconcilier l’empire avec la liberté, la nuit avec le jour, le feu avec l’eau, la souveraineté populaire avec la dictature napoléonienne, la France avec le coup d’État.

Aux yeux de tous, sans exception, — du bourgeois dont le commerce languit aussi bien que de l’ouvrier qui ne mange pas assez — l’empire actuel, l’empire d’hier et d’aujourd’hui est condamné sans retour.

Personne n’en veut plus, à aucun prix.

Les trembleurs, les ambitieux, les malins et les complices qui redoutent le quart d’heure de Rabelais, ont alors inventé, en désespoir de cause, un empire transformé, édulcoré et nettoyé, lequel nous mènerait « à la liberté sans la révolution. »

Cet empire, M. Émile Ollivier est censé le représenter.

Sur lui, sur lui seul, se concentrent toutes les espérances, toutes les illusions.

M. Émile de Girardin, — qui l’a découvert, — en convient lui-même, et s’écrie avec cette netteté que personne ne peut lui contester :

Non seulement il importe que le ministère Ollivier se forme, mais il importe encore qu’il dure ; — car s’il échouait il n’y aurait plus d’autre alternative qu’un nouveau coup d’État du 2 Décembre [1851], ou un nouveau coup de balai du 24 février [1848].

Ainsi, voilà qui est clair, et de l’aveu même de M. de Girardin, — de M. de Girardin, le seul partisan un peu intelligent de l’empire, le seul qui compte, le seul avec qui on doive compter, parce que celui-là seul raisonne, — le ministère Ollivier est la dernière, l’unique planche de salut du régime impérial.

Si cette planche se brise… Patatras !

Or quelle est, je ne dis pas la planche, mais le madrier, qui pourrait supporter le poids de l’empire, de tous ses actes, de toutes ses fautes, depuis les fusillades du 2 décembre jusqu’aux fusillades de La Ricamarie et d’Aubin, — depuis les commissions mixtes de 1852, jusqu’aux juges correctionnels de 1869 ?

Et si cette planche, au lieu d’être du chêne dont on fait les hommes d’état, est tout simplement de ce bois blanc banal et fendillé où l’on taille tous les petits ambitieux sans idée et sans consistance, — polichinelles à treize sous de la foire politique, — vous voyez d’avance ce qui va arriver.

L’avènement de M. Ollivier sera une immense déception.

Il ne fera rien, non seulement parce que lui-même il n’est rien, mais encore parce qu’il n’appartient à nulle puissance humaine de faire sortir la liberté de la dictature, la souveraineté populaire du pouvoir personnel, l’honnêteté du coup d’État.

Il ne fera rien, parce qu’il veut sauver la dynastie, et que le droit du peuple est la négation de toute dynastie.

Il ne fera rien, parce qu’il rêve d’arracher à l’empire quelques concessions parlementaires et libérales, et que l’empire, en ayant l’air de céder, conspirera contre ses propres concessions.

Il ne fera rien enfin parce qu’au lieu d’entrer au ministère, entier et la tête haute, en vainqueur, en maître, après avoir forcé la porte — il y entre déconsidéré, diminué, courbé en deux, après avoir fait antichambre pendant dix-huit mois, mêlé à tous les laquais, — parce qu’il n’est plus une force mais un renégat qui n’a ni mandat pour parler au nom de la nation, ni autorité pour se faire écouter du maître.

Il est si peu de chose et il mérite si peu de confiance, que son seul partisan, M. Émile de Girardin, en est réduit à prévoir d’avance le jour où Émile Ollivier « se trahirait lui-même, » — seule trahison qu’il puisse encore accomplir, — et qu’il accomplira.

Qu’il arrive donc vite au pouvoir, et que l’empire mettre, une bonne fois, l’enjeu de son existence sur l’ami du beau Philis.

ARTHUR ARNOULD

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L’image de couverture est l’ « autre »… image de couverture de L’Éclipse du 5 décembre 1869 (pourquoi y en a-t-il eu deux?), toujours sur Gallica, là. La nuit, c’est le concile, la papauté, Rome, l’église catholique, et le jour c’est l’anti-concile libre-penseur de Naples.

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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).