Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
13. Vendredi 31 décembre 1869
Dans son « Journal d’un homme libre », Paschal Grousset offre, au nom de La Marseillaise, une récompense à qui pourra dire où git l’autorité centrale ;
les nouvelles politiques attendent elles aussi la nomination du gouvernement ;
Rochefort continue à ironiser sur la « libéralisation » de l’empire, prenant cette fois Schneider pour cible ;
l’Espagne a du mal à trouver un roi ;
Arthur Arnould semble las de cette politique politicienne et préférerait qu’on s’occupe de la misère et d’une meilleure répartition de la fortune publique ;
Victor Noir rappelle une phrase prononcée par Émile Ollivier,
Ce misérable a violé la révolution ma mère ; je serai le spectre du deux Décembre
sans doute dans une autre vie,;
dans la « Tribune militaire », Flourens publie une lettre intitulée « Notre marine », de Charles Lullier (qui sera le premier commandant en chef de la garde nationale pendant la Commune et qui en attendant est) détenu à « Pélagie » pour avoir dénoncé les mauvais traitements que subissent les matelots ;
Verdure donne des explications sur les sociétés de crédit mutuel et l’empire ;
il y a des nouvelles du corps législatif et de la Bourse ;
parmi les nouvelles diverses un horrible accident du travail sur une ligne de chemin de fer en construction ;
Puissant continue à rendre compte du procès Troppmann ;
Flourens recommande aux lecteurs un beau livre sur les voyages aériens.
Pour aujourd’hui, je garde le bulletin du travail, sous la plume d’Eugène Varlin.
BULLETIN DU TRAVAIL
La participation et les ouvriers marbriers
Les capitalistes, inquiets du mouvement qui entraîne les travailleurs à unifier leurs intérêts et à établir entre eux la solidarité, essayent par tous les moyens possibles de rompre leurs phalanges naissantes, tantôt en excitant l’esprit d’égoïsme chez quelques-uns par l’offre d’avantages isolés, tantôt en leurrant la masse par des promesses mensongères. Cette fois, le piège tendu aux ouvriers marbriers était par trop grossier pour qu’il pût un seul instant tromper les intéressés.
Depuis près d’une année les ouvriers marbriers luttent avec énergie et une persévérance dignes d’éloges pour obtenir un salaire rémunérateur et la réduction de la journée à dix heures de travail. Ils ont supprimé les heures supplémentaires, cause générale de chômage. Ils ne veulent pas que quelques-uns s’exténuent par des excès de travail, tandis que d’autres en seraient privés ; ils prétendent que tous doivent travailler et gagner facilement leur existence.
Or, une maison qui primitivement avait déclaré ne pas pouvoir accorder vingt-cinq centimes d’augmentation par jour vient d’offrir, ou plutôt vient de décider qu’à partir du 1er janvier 1870 ses ouvriers auraient droit à une part de bénéfices ! On comprend que les ouvriers aient accueilli avec défiance cette décision incroyable.
Ils se sont réunis, ont examiné ensemble la décision et… ont résolu de ne pas l’accepter. Ils ont bien fait, car il suffit de jeter les yeux sur cette pièce que la maison dont il s’agit a bien voulu se donner la peine de faire imprimer et répandre à profusion afin que nul n’en ignore.
On accorde aux ouvriers une participation de 1 p. 0/0 [1%] sur toutes les ventes. C’est beau ! Mais… à la condition de se conformer aux statuts et règlements que les patrons se réservent le droit de faire ! voilà ce que les travailleurs ne peuvent plus accepter. Aujourd’hui nous ne voulons d’autres règles, d’autres lois, que celles dont nous aurons reconnu la nécessité et que nous aurons faites nous-mêmes.
Cette question a amené une discussion fort intéressante sur la participation dans les bénéfices à l’Assemblée générale des membres du syndicat des ouvriers marbriers, réunis à cet effet dimanche dernier ; nous regrettons que les limites de cette note ne nous permettent pas de nous étendre sur les excellents discours que nous y avons entendus. Nous reviendrons sur cette question qui mérite un examen tout spécial, d’autant plus que depuis quelque temps, messieurs les bourgeois semblent faire de la participation leur panacée universelle, la seule solution possible et pratique, selon eux, de la grande lutte engagée entre le travail et le capital. Il nous suffit de dire que tous les orateurs ont conclu au rejet de la participation.
Mais ce qu’il y a de plus étrange dans toute cette affaire, c’est que les ouvriers se voient exposés à faire grève pour ne pas accepter la participation qui leur est offerte. C’est drôle ! mais c’est comme ça.
La Chambre syndicale des ouvriers marbriers, fort éprouvée depuis quelque temps, ne veut pas se laisser prendre au dépourvu ; et, pour ne pas avoir à soutenir improductivement une centaine d’ouvriers, a pris toutes les mesures nécessaires pour ouvrir un atelier social dans lequel les grévistes pourraient immédiatement travailler si la maison Parfory et Lemaire les met en grève.
Voilà un bon exemple, que nous engageons toutes les corporations ouvrières à méditer.
Chambre syndicale des Batteurs d’or
Dans leur assemblée générale de dimanche dernier, les adhérents de la Chambre syndicale des Batteurs d’or (ouvriers et ouvrières) ont voté à l’unanimité un prêt de 500 francs à la Société des ouvriers en instruments de chirurgie, en grève depuis trois semaines. Ils ont en outre décidé, à une grande majorité, qu’à l’avenir le Comité d’administration pourrait, sans avoir besoin de recourir à l’assemblée générale, employer un tiers des fonds disponibles pour venir en aide, à titre de prêt, aux corporations adhérentes à la Caisse fédérative de Prévoyance des cinq centimes qui se trouveraient en grève.
Nous ne saurions trop engager les sociétés ouvrières dont les statuts n’autorisent pas le conseil à voter des prêts aux corporations en grève, à les modifier, au moins dans le sens de la décision prise par les batteurs d’or. Le conseil a généralement pouvoir pour placer les fonds ; le prêt à une corporation n’est pas autre chose qu’un placement de fonds et, certes, c’est un placement plus avantageux que n’importe lequel, car, s’il ne rapporte aucun intérêt, il établit entre diverses corporations la réciprocité de services qui garantit aux sociétés prêteuses qu’elles pourront emprunter à leur tour quand elles se trouveront dans le besoin.
Les placements de la Caisse d’épargne, chez les banquiers ou sur les grandes compagnies financières, voire même en titres sur les États, sont doublement plus aventurés que les prêts aux sociétés ouvrières. Et puis, nous ne devrions jamais oublier qu’en portant nos fonds chez les capitalistes, quels qu’ils soient, nous donnons des armes à nos ennemis, nous leur prouvons [procurons? « prouver les moyens » pourtant existe en langage juridique] le moyen de nous exploiter davantage. Nous n’avons pas trop d’argent ; gardons donc le peu que nous possédons pour ceux de nos frères qui en manquent.
E. VARLIN
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L’image de couverture est extraite du livre Voyages aériens, celui dont parle Flourens et que vous trouverez sur Gallica, là.
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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la Tribune militaire de Flourens ressaisie, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).