Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

17. Mardi 4 janvier 1870

Le « Journal d’un homme libre », revient sur Ollivier, une Excellence de plus, chef du vingt-deuxième ministère usé par « le vieux sultan » depuis 1851, et qui, comme Paschal Grousset nous le rappelle, est le fils d’un « exilé de Décembre » (après le coup d’état), et le journaliste l’imagine monter à la tribune pour remercier son gracieux maître, « Comédien ! » ;

mais le ministère n’est toujours pas complet ;

rien n’empêchera Rochefort d’ajouter son grain de sel ;

l’histoire de Gambon continue, cette fois c’est une fermière et sa fillette qui en sont victimes ;

à Cuba (colonie des États-Unis), les insurgés gagnent du terrain ;

un homme qui porte l’habit sacerdotal, reconnu pour être ce que l’on appelle un prêtre vient provoquer, injurier, même, un enterrement civil, ce qui provoque des protestations… et l’envoi d’une obole pour la vache à Gambon ;

Arthur Arnould explique ce qu’est, selon lui, la politique pratique, en un mot le gouvernement du peuple par le peuple ;

Victor Noir rend compte d’une conférence sur le théâtre et en tire un florilège d’expressions plus drôles les unes que les autres, le public a refusé d’entendre « La Grève des forgerons », de Coppée (et je le comprends), même dit par Agar ;

dans la « Tribune militaire », Flourens traite du remplacement (acheter un homme pour vous remplacer à l’armée) et des trafics qui lui sont liés ;

dans la revue de presse (?), Bazire propose d’emmener son propriétaire au Jardin des plantes et de le pousser dans la fosse de l’ours blanc, sauf que celui-ci n’en veut pas parce qu’il est trop dur, c’est bientôt le terme… ;

Millière répond à quelques critiques faites au programme énoncé dans ses articles précédents ;

Verdure donne des chiffres et des informations sur la misère en Angleterre, sur le développement de l’Association internationale des travailleurs en Hollande, sur le mouvement social en Espagne, sur un « complot » en Russie ;

les suites de la manifestation ouvrière de Vienne ;

parmi les abus dénoncés par Francis Enne, pourquoi Maxime Du Camp a-t-il été le seul journaliste à voir Troppmann dans sa cellule ?;

il est question d’accident du travail dans la rubrique « Tribunaux » ;

un nommé Henri Duval, à propos du Concile, cite quelques passages savoureux de Rabelais (depuis le temps qu’on en parle… ce concile s’est ouvert le 8 décembre à Rome, on y discute de l’infaillibilité du pape) ;

Jacques Vignaud pense qu’il vaut mieux ne pas bercer les nourrissons ;

je passe sur les potins des théâtres.

Je choisis l’article de Millière.

QUESTION SOCIALE

Diverses causes d’empêchement nous ont mis dans l’impossibilité de compléter aussitôt que nous l’eussions voulu la réponse que nous avons promise aux dernières objections de l’Opinion nationale.

Nous ne le regrettons pas trop, parce que, pendant cet intervalle, d’autres critiques ont été dirigées contre nos idées par la presse, et de nombreuses lettres particulières nous ont apporté, à côté de chaleureuses adhésions, des attaques dont nous voulons, une fois pour toutes, faire bonne justice.

À la lecture de nos premiers articles, un Joseph Prudhomme quelconque s’est écrié, à la façon d’Archimède : C’est le communisme ! — et immédiatement la meute de ces honnêtes modérés, dont il y a quelque vingt ans, la France a pu apprécier l’honnêteté et la modération, s’est ruée sur le spectre rouge, produit de son imagination mise en délire par la peur ou par la haine, sur ce « Protée aux mille formes, monstre qui fuit et s’échappe de vos mains quand vous croyez l’avoir saisi, pour reparaître aussitôt sous une enveloppe nouvelle. »

Et un adversaire qui ne craint pas de se donner lui-même la qualification d’agent d’affaires, ne peut pas contenir son indignation quand on touche à l’arche sainte de la chicane, quand il nous voit proposer des institutions nouvelles qui rendraient inutiles tant de professions parasites que les vices de notre vieille organisation sociale rendent seuls nécessaires.

Nous comprenons parfaitement ces sentiments ; ils ne nous étonnent pas plus qu’ils ne nous inquiètent. C’est la manifestation de l’esprit bourgeois, tel que nous l’avons vu à l’œuvre en 1848. Il inspire deux sortes d’adversaires : d’une part de pauvres ignorants d’abord aveuglés, puis rendus féroces par la peur ; et d’autre part ceux qui les effraient en agitant devant eux des fantômes imaginaires.

Autant nous aimons à discuter avec des contradicteurs sérieux, tels que M. Georges Guéroult, autant nous dédaignons les attaques des autres. Que répondre, par exemple, à ces diatribes, tissues de contradictions et de niaiseries, comme celles que publiait jeudi dernier l’un des organes du libéralisme bourgeois ?

On affecte de ne pas redouter nos opinions, on a « beau jeu pour les prendre corps à corps, et en démontrer l’inanité et la fausseté. » Oui, en les altérant, en les dénaturant, en les calomniant.

Ainsi, on sait que nous voulons consolider les principes de la famille, les étendre et les appliquer à l’humanité tout entière, — et l’on nous impute de vouloir détruire la famille, que nous considérons comme le berceau et le modèle de la société générale.

Ainsi encore, nous voulons supprimer le salaire, cette dernière forme de l’asservissement du travailleur, — et l’on nous accuse de vouloir non seulement maintenir le salaire, mais encore de le soumettre à une égalité matérielle, brutale, absurde.

Par une réorganisation de la propriété, par une transformation équitable, rationnelle, comme elle en a déjà éprouvé tant de fois, nous voulons améliorer ses conditions, la rendre accessible à tous, mettre le capital inerte, improductif par lui-même, à la disposition du travail qui le féconde — et l’on prétend que nos doctrines impliquent nécessairement l’abolition de la propriété, du capital.

C’est ainsi qu’on essaie de démontrer la fausseté de nos idées.

Quant à leur insanité, on reconnaît qu’il ne peut plus être question d’employer la force pour les réaliser, et que si, par la persuasion, quelques hommes de bonne volonté consentaient à tenter l’épreuve, ils en seraient bientôt dégoûtés. Alors pourquoi donc les redoute-t-on si fort !

Ah ! c’est que ce mépris n’est qu’apparent. C’est que, à côté des imbéciles à qui l’on fait croire bêtement que les socialistes veulent les égorger pour violer leurs femmes et partager leurs biens et dont on a si habilement exploité la peur stupide et féroce, les défenseurs intelligents du régime bourgeois ont bien compris que nos doctrines contiennent en germe une révolution qui doit modifier profondément les conditions économiques de la société.

On a vu le prolétariat réclamer la place qui lui appartient dans cette société moderne, qu’il a contribué à fonder et dont il a été exclu après les victoires de 1789 et de 1830. Après l’avoir trompé en Février 1848, l’avoir écrasé lorsqu’en Juin il a osé demander l’exécution des promesses par lesquelles on l’avait leurré, on voit de nouveau s’élever cette revendication éternelle du droit contre le privilège, de la justice contre l’iniquité ; on est « obligé de revenir sans cesse à la rescousse réfuter des arguments » qu’on croit avoir cent fois réfutés depuis longtemps.

On n’y parviendra pas. La ruse et la violence sont épuisées ; la calomnie et l’injure viendront se briser les dents sur nos doctrines, et par la science et la raison nous détruirons les sophismes, dernières armes de nos adversaires, à l’aide desquels on espère tromper le peuple sur la légitimité de ses réclamations.

MILLIÈRE

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Le bébé sur la photographie de couverture est Julie Manet, nièce d’Édouard Manet et fille de Berthe Morisot, née en 1878, ce qui en fait (aussi) un anachronisme. Je ne connais pas le nom de la nourrice et je ne sais pas si elle a bercé la petite Julie. La photographie vient d’un album d’Édouard Manet, via Gallica, là.

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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la Tribune militaire de Flourens ressaisie, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).