Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
24. Mardi 11 janvier 1870
La politique continue en première page ;
Morot, qui fait les « Nouvelles politiques » informe les lecteurs que la « famille Bonaparte » menace les rédacteurs de la Revanche de leur faire tirer les tripes ;
il y aurait eu un coup d’État en Espagne, mais les républicains se préparent à lutter ;
Arthur Arnould invite à agir ;
l’année commence bien tristement dans le nouveau feuilleton, « Les Pauvres gens », de Jules Claretie ;
une des toute dernières brèves de Victor Noir concerne l’État civil à Paris, en 1868, parmi les enfants nés à l’hôpital (ce sont les miséreuses qui accouchent à l’hôpital), 2/5 sont des enfants « naturels », un décès sur quatre a lieu à l’hôpital, à la morgue ou en prison ;
c’est un autre journal, La Réforme, que Millière cite aujourd’hui, comment ? l’autorité est incompatible avec la liberté ? avant de revenir à l’Opinion nationale, avec lequel il continue son dialogue, comment comparer la société à la famille, qui a un chef naturel ;
Flourens s’attaque à « Gendarmerie et police » ;
Raoul Rigault continue sa collection de magistrats en épinglant M. Lagrange, chef de la police politique (le poste que lui-même occupera après le 4 septembre) ;
à Lyon, les ouvriers tullistes toujours en grève s’organisent, les idées nouvelles commencent à se répandre à Rethel ;
à la suite des réunions publiques est annoncé un enterrement civil, on se réunit à l’hospice Antoine, 184 faubourg Antoine ;
la signature d’Amouroux apparaît dans le journal, pour protester contre un scandale, des policiers prétendant assister à la réunion des décatisseurs et apprêteurs de draps, envoie-t-on des policiers aux réunions de boursiers ?;
dans une réunion publique, M. Crémieux (la « gauche ») a pu faire tranquillement l’éloge de Dieu et de la bourgeoisie ;
cette fois c’est la dernière liste de souscripteurs pour la vache à Gambon ;
le feuilleton « Affaire Doineau » se poursuit ;
dans « La Vie du travailleur » il est question aujourd’hui des verriers.
Parce que c’est là qu’est l’actualité du jour, je rebondis sur la brève à propos du journal la Revanche et publie l’article de Lavigne d’hier, consacré à Pierre Bonaparte, qui, pendant que les lecteurs de la Marseillaise lisent leur journal, se prépare à devenir célèbre. J’ajoute une information : Paschal Grousset est correspondant de la Revanche à Paris. Une fois n’est pas coutume, un article d’hier, donc.
LA FAMILLE BONAPARTE
Il y a dans la famille Bonaparte de singuliers personnages dont l’ambition enragée n’a pu être satisfaite et qui, se voyant relégués systématiquement dans l’ombre, sèchent de dépit de n’être rien et de ne jamais avoir touché au pouvoir. Ils ressemblent à ces vieilles filles qui n’ont pu trouver de mari et pleurent sur les amants qu’elles n’ont pas eus.
Rangeons, dans cette catégorie de malheureux éclopés, le prince Pierre Napoléon Bonaparte qui se mêle d’écrire et de faire du journalisme à ses heures. Il habite en Corse où il fait la guerre à la démocratie radicale ; mais il y rencontre plus de Waterloo que d’Austerlitz. La Revanche, journal démocratique de la Corse, nous initie à ces défaites et nous donne un échantillon des articles du soi-disant prince.
Irrité de voir les idées républicaines envahir le sol natal de sa famille, le prince a publié dans un journal traitant de matières politiques sans en avoir le droit, une lettre longue de deux toises, où il menace ses adversaires de les faire éventrer :
Que de vaillants soldats, d’adroits chasseurs, de hardis marins, de laborieux agriculteurs, la Corse ne compte-t-elle pas, qui abominent les sacrilèges, et qui eussent déjà mis « le stentine por le porrette », les tripes aux champs, si on ne les avait retenus ?
Comme on voit, le prince n’y va pas de main morte. Grattez un Bonaparte, vous verrez apparaître la bête féroce.
Non contents de nous blesser dans notre conscience, dans nos souvenirs, de nous diminuer dans nos biens, ces gens-là nous insultent et se flattent de retenir leurs bravi prêts à nous éventrer !
Le vote du 10 décembre [1848, élection de Louis Napoléon Bonaparte à la présidence de la république] paraît au prince Pierre Napoléon Bonaparte une sublime manifestation. La manifestation de la lassitude et de la peur, oui ! — mais les temps sont changés, avouons-le ; nous sommes loin d’être las.
C’est ce que le rédacteur de la Revanche, M. Louis Tommasi, bâtonnier des avocats près la cour de Bastia, a très bien répondu à ce fanfaron de la famille impériale qui se croit encore sous le régime du bon plaisir, comme sous Napoléon Ier.
Menacer quelqu’un de lui arracher les tripes, ce n’est pas prouver qu’il a tort : les bons arguments sont toujours préférables aux actes de violence et de brutalité.
Au surplus nous prenons acte des extravagantes menaces que nous adresse M. Pierre Napoléon Bonaparte. Nous prenons la France à témoin de cette provocation insolente, et nous en laissons à notre adversaire toute la responsabilité.
La nation est juge, en effet, dans de pareils procès. Que pensera-t-elle de ce qui précède quand elle saura que ce Pierre Napoléon Bonaparte est le même qui, en 1848, adressait aux Corses une proclamation républicaine où nous trouvons des protestations, des offres, des serments comme on n’en peut trouver que dans les proclamations de celui qui est Napoléon III par la grâce de ses serments violés et de ses coups d’État ?
Tout habitué qu’on soit aux palinodies, on peut trouver étrange qu’un homme ait dit il y a vingt ans :
Mon père était un républicain ; je le suis donc par conviction, par instinct, par tradition,
et que ce même homme traite aujourd’hui de traîtres,
que leurs parents eussent autrefois jetés à la mer dans un sac
les citoyens qui sont restés fidèles, eux, à leurs convictions, à leurs instincts, à leurs traditions !
Par bonheur, la cruelle expérience du passé nous donne pour l’avenir des règles de conduite. Que la future République se garde de tout ce qui porte le nom de Bonaparte, de tout ce qui touche de près ou de loin aux princes, aux rois, aux empereurs ! Et que la Corse continue sa vaillante propagande démocratique. La France, sa mère adoptive, ne lui en voudra plus d’avoir produit les Napoléon.
ERNEST LAVIGNE
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L’image de couverture représente une usine de dentelles, à Villeurbanne, en 1913. Je l’ai trouvée sur cette page.
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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec les articles de Millière et Flourens ressaisis, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).