Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
28. Samedi 15 janvier 1870
Le journal s’est vendu beaucoup trop cher, Dereure rappelle qu’il est vendu 12 centimes aux marchands qui ne doivent pas le vendre plus de 15 centimes ;
Flourens se retire de la Marseillaise, nous apprend Rochefort, qui explique pourquoi ;
Habeneck parle de l’épouvantable traquenard tendu la veille par M. Ollivier au peuple parisien ;
il rapporte un article de l’Opinion nationale qui regrette que les députés de la gauche n’aient pas assisté à l’enterrement de Victor Noir, sous le prétexte de défendre Rochefort à la Chambre ;
Paschal Grousset publie le mandat de comparution qu’il vient de recevoir et décline l’invitation, ne reconnaissant pas la justice bonapartiste ;
sous le titre « Les violences légales », le courrier politique d’Arnould donne les conclusions du rapport contre Rochefort à la Chambre, qui pourrait lui valoir tout à la fois cinq ans de prison, la privation des droits civils et la suspension de la Marseillaise — juste parce qu’il a rempli le mandat pour lequel il avait été élu ;
Paschal Grousset revient sur les journaux corses et prouve la préméditation dans l’assassinat ;
Germain Casse ironise sur la Chambre et le président Schneider ;
Dubuc, rentré d’Aubin juste à temps pour serrer la main à Victor Noir, fait le point sur le dispositif policier toujours en place dans Paris ;
Millière revient sur le crime avant de passer à la question sociale ;
deux lettres de citoyens annoncent que ceux-ci ne sortent plus sans armes, pour pouvoir se défendre contre la police ;
la revue de presse est bien sûr consacrée à l’assassinat, on y apprend que L’Éclipse (qui a publié le même dessin que la Marseillaise, celui que nous avons mis en couverture le 13 janvier), est poursuivie ;
le « Bulletin du travail » publie en particulier une Communication de la commission consultative des sociétés ouvrières au sujet du projet de statuts de la caisse de retraite des ouvriers de la Loire, les ouvriers n’ont pas été consultés, mais on en reparlera ;
dans les « Communications ouvrières », l’Association internationale des travailleurs annonce la création d’une section à Vaugirard ;
on ne s’étonnera pas qu’une réunion publique ait été interdite ;
c’est dans les « Réclamations et abus » qu’apparaît la nouvelle que M. Cail avait interdit à ses ouvriers d’aller à l’enterrement de Victor Noir et qu’il a mis à la porte les deux cents citoyens qui y étaient allés quand même ;
le compte rendu analytique montre une longue discussion au corps législatif sur le thème comment déposer une interpellation et la timidité des députés « de gauche », avant de se conclure par un rapport de commission qui veut autoriser à poursuivre Rochefort ;
encore des « délits de presse » dans les « Tribunaux ».
Je garde l’éditorial de Rochefort.
LES MOYENS D’ACTION
Nous avons reçu hier la lettre suivante :
12 janvier 1869 [sic]
Mon cher Habeneck,
Je vous prie de vouloir bien annoncer qu’à partir d’aujourd’hui, je reste complètement étranger à la rédaction de la Marseillaise.
Signé : GUSTAVE FLOURENS
Je n’ai pas besoin de dire à quel point cette lettre m’est douloureuse, mais je ne puis cacher non plus que je m’attendais à la recevoir.
Je connais à la fois le grand cœur et les excès de susceptibilité de notre excellent et brave ami Flourens.
La Marseillaise n’était pas encore fondée qu’il écrivait déjà en compagnie d’un jeune homme nommé Albiot, une première lettre où il déclarait qu’il n’en faisait pas partie.
Il est revenu depuis sur sa décision, et a rendu dans sa Tribune militaire de signalés services à la démocratie et au journal. Reviendra-t-il sur cette nouvelle démission ? Je l’ignore, mais je crois utile d’en expliquer la portée à la partie du public qui, ne s’étant pas plus que moi rendu compte de la première, ne comprendrait peut-être pas davantage la seconde.
Le motif de la retraite de notre amis Flourens, le voici :
Il y avait hier, parmi les démocrates qui assistaient au convoi de Victor Noir deux opinions distinctes ; les uns voulaient traverser Paris avec le cercueil, c’est-à-dire engager la lutte ; les autres tenaient à conserver à la manifestation son caractère pacifique.
J’étais le seul député présent. La foule a cru devoir me consulter. Quand la foule est bien résolue à marcher, elle ne consulte personne.
Je savais que cent mille hommes de troupe et tous les canons imaginables avaient été mis en réquisition. Nous étions, nous, peu ou point armés, et nous nous trouvions à Neuilly, c’est-à-dire presque en province, et obligés comme d’assiéger Paris pour gagner les points stratégiques où une lutte peut s’engager.
De plus, — et voilà où s’accentue la différence entre Flourens et moi sur les façons d’agir dans le cas où ce que Robespierre appelle le plus saint des devoirs pourrait devenir une nécessité, — de plus, les projets du lendemain avaient été éventés imprudemment la veille dans les réunions publiques par les orateurs qui devaient eux-mêmes prendre part à la manifestation.
La Révolution, c’est l’imprévu. Si vous faites publiquement savoir à votre ennemi que le lendemain, à deux heures, vous lui brûlerez la cervelle au moment où il s’y attendra le moins, votre ennemi prend ses précautions et vous ne lui brûlez pas la cervelle.
Le cousin Pierre Bonaparte s’est bien gardé d’aller raconter dans les réunions publiques qu’il assassinerait Victor Noir, car Victor Noir se serait armé, avant de se rendre dans la tanière du bandit.
Nous aurions dû pour une autre besogne user de la même circonspection. Mais le gouvernement ne pouvait ignorer qu’on se disposait à l’attaquer puisqu’on le lui cornait aux oreilles depuis deux jours.
C’est alors que le pouvoir bien et dûment prévenu a déployé les forces ci-jointes, énumérées par un journal d’autant mieux informé qu’il s’appelle le Constitutionnel.
La garnison de Paris, dit-il, si nombreuse comme on sait, avait reçu en outre des renforts formidables :
Le régiment des zouaves était venu de Versailles, pour occuper les Tuileries, puis les grenadiers de Saint-Cloud, Rueil, Mont-Valérien et Courbevoie.
Toute la division de cavalerie de Versailles, soit 16 escadrons de hussards et de chasseurs, occupait l’esplanade des Invalides et les Champs-Élysées.
Les cuirassiers de Saint-Germain-en-Laye avaient été mandés à l’École militaire par le maréchal Bazaine.
Enfin, quatre batteries d’artillerie de la garnison de Vincennes avaient pris position dans les grandes casernes stratégiques.
Les états-majors généraux occupaient les postes qui leur sont assignés en cas d’alarme.
Voilà pourquoi, prêt à me mêler au mouvement, s’il s’était spontanément produit, je n’ai pas pu devoir l’appuyer quand le peuple m’en a donné dans une certaine mesure la responsabilité.
Annoncer que tel jour, à telle heure, on renversera un gouvernement, m’a toujours paru le meilleur moyen de le laisser debout.
L’insurrection finit alors en traquenard. Je partage donc à ce sujet les idées du grand poète qui a dit :
Souviens-toi d’Ettenheim et des pièges célèbres
Attends le jour marqué.
Sois comme Chéréas qui vint [vient] dans les ténèbres
Seul, muet et masqué.
HENRI ROCHEFORT
*
Les vers viennent des Châtiments de Victor Hugo. J’ajoute
- un commentaire, issu d’une lettre de Marx à Engels, datée du 1er février :
C’est une vraie chance que, malgré G. Flourens, il n’y ait pas eu d’affrontements lors de l’enterrement de Victor Noir. La fureur du Pays atteste le profond désappointement des bonapartistes. Que peut-on en effet souhaiter de mieux que de prendre en flagrant délit les masses révolutionnaires de Paris au grand complet, à découvert, à l’extérieur de Paris, mieux, à l’extérieur de fortifications qui ne comportent que quelques poternes? Partant d’un terrain découvert, 200,000 travailleurs sans armes risquaient de s’emparer de Paris occupé par 60,000 soldats!
- et une information : Jules Vallès s’est retiré, lui aussi, mais on en reparlera, de la Marseillaise.
*
L’image d’aujourd’hui de l’enterrement de Victor Noir vient du Graphic, toujours par Gallica, ici. Apparemment, le dessinateur anglais a réussi à apercevoir quelques-unes des femmes présentes.
*
Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la Question sociale ressaisie, sont ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).