Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

29. Dimanche 16 janvier 1870

Dereure rappelle que le prix du journal est de quinze centimes ;

ledit journal annonce la parution dès demain d’un nouveau feuilleton ;

le vaudevilliste Rochefort écrit son article sous forme « théâtrale » et met en scène Pierre Bonaparte dans sa « prison » ;

parmi les « Nouvelles politiques », les poursuites contre La Réforme (Vermorel, Jean Baptiste Clément), l’annonce de l’exécution prochaine de Troppmann (on avait failli l’oublier) ;

dans le Réveil, Charles Delescluze est intervenu pour critiquer la « gauche » et faire une analyse du mouvement proche de celle de Rochefort, et le journal reproduit son article ;

Grousset revient lui aussi sur le « aller à Paris » ou pas ;

une polémique avec Vermorel se prépare ;

mais Arthur Arnould se préoccupe plutôt des poursuites contre le député Rochefort ;

on peut rectifier son inscription sur les listes électorales jusqu’à la fin du mois ;

Millière reprend son rêve dans lequel la dictature révolutionnaire est organisée comme il l’a décrite dans le journal avant l’assassinat ;

Paschal Grousset livre quelques antécédents de l’assassin Bonaparte ;

Ulric de Fonvielle reprend toute chaude la « Tribune militaire » pour parler de soldats qui n’ont pas été autorisés à se rendre aux obsèques de Victor Noir ;

comme hier les ouvriers de Cail, des doreurs sur bois ont été chassés par leur patron pour avoir assisté à ces obsèques, un fabricant bijoutier de la rue de la Perle (si, si) a lui aussi vidé un de ses ouvriers pour la même raison, des camarades d’école de Victor Noir écrivent ;

le « Bulletin du travail » publie la suite de la communication à propos de la caisse de retraite des ouvriers de la Loire ;

la signature de Jules Allix apparaît dans les communications ouvrières pour décommander un banquet, on enterre civilement le citoyen Bretelle, mort d’émotion pendant l’enterrement de Victor Noir ;

dans les « Abus », encore un patron, fabricant de boutons, qui renvoie deux cents ouvriers, toujours pour la même cause ;

cela n’empêche pas les nouvelles (diverses) d’apporter leurs horreurs (diverses) ;

et je ne parle pas de l’assassinat d’un garçon boucher dans le bois de Vincennes, que Puissant nous retrace dans les « Tribunaux ».

Je n’en parle pas, malgré ses « ….. » dissimulant (mal) les activités nocturnes et répréhensibles du boucher et de son assassin dans ledit bois, parce que je veux aujourd’hui faire bref et laisser parler Étienne Carjat dont, même si vous ne connaissez pas le nom, vous connaissez au moins une œuvre, le plus célèbre portrait photographique d’Arthur Rimbaud. Ce sera pour l’année prochaine. Pour l’instant, il a photographié Victor Noir.

Nous recevons la lettre suivante :

Paris, le 13 janvier 1870

Monsieur le rédacteur,

Hier, pendant que j’assistais aux funérailles de mon pauvre ami Victor Noir, mes ateliers ont été littéralement assiégés par une foule de courtiers venant pour acheter des épreuves (mort et vivant) de la chère et regrettée victime.

Je vous prie de vouloir bien annoncer que le bénéfice résultant de la vente de ces photographies sera scrupuleusement envoyé par moi aux journaux démocratiques qui ont pris l’initiative d’une souscription ayant pour but d’élever un monument à la mémoire de Victor Noir, assassiné le 10 janvier 1870.

Mes livres de comptabilité sont et seront à l’entière disposition des rédacteurs en chef des journaux recevant les souscriptions.

Salutations fraternelles,

ÉTIENNE CARJAT

P.S. Au moment de vous adresser cette lettre, j’apprends que la vente de la photographie APRÈS DÉCÈS vient de m’être interdite formellement par le ministère de l’intérieur.

Nous n’avons pas à remercier É. Carjat de sa détermination. Tous ceux qui le connaissent, tous ceux qui savent que son talent a toujours été au service de la cause républicaine, ne s’en étonneront point.

CHARLES HABENECK

J’anticipe de deux jours avec la lettre suivante, parue dans le numéro 31 du 18 janvier.

M. LE RÉDACTEUR EN CHEF

J’apprends par les journaux qu’un monsieur Appert, photographe de la magistrature, met en vente des photographies de mon frère Victor Noir, au prix de 1 franc et de 2 francs le portrait-album.

J’ai entre les mains une de ces épreuves qui sont la contrefaçon complète de la photographie, faite du vivant de mon pauvre frère par notre ami Carjat qui, seul du reste a reproduit à Paris ses traits, et seul a le droit de la reproduction après sa mort.

La tête de trois quarts a été placée sur un corps quelconque qui n’est pas le sien, et ne donne aucune idée de celui que nous avons aimé.

J’espère que M. Appert, photographe de la magistrature, en plagiant l’œuvre de son collègue aussi ouvertement, aura le bon esprit de suivre son exemple, et qu’il imitera la résolution que Carjat a prise spontanément d’affecter le résultat de la vente de ses épreuves à la souscription que la vindicte publique provoque à la mémoire de mon frère.

Je compte donc absolument qu’il suivra les indications publiquement dénoncées par son prédécesseur et qu’il mettra ses livres à la disposition des journaux républicains qui se sont mis à la tête du mouvement.

Faute de quoi, je protesterais par toutes les voies légales et autres contre une manœuvre déloyale.

Veuillez agréer mes salutations distinguées.

LOUIS NOIR

Neuilly, 15 janvier 1870.

*

Cet indélicat monsieur Appert est celui dont l’histoire a gardé le nom comme auteur de photos de communards condamnés et de trucages…

*

La photographie de Victor Noir (vivant!) attribuée à Appert, que j’ai utilisée en couverture et que l’on trouve sur Gallica, là, est-elle due à Étienne Carjat?

*

Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la Question sociale et la Tribune militaire (qui n’est plus de Flourens), sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).