Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

41. Vendredi 28 janvier 1870

Dans son « Journal d’un homme libre », Paschal Grousset s’en prend à Thiers, cet esprit moyen et louche auquel la France doit tant de calamités (et ce n’est pas fini) qui mène à la Chambre la discussion sur les traités de commerce ;

au Creuzot la Marseillaise a été saisie ;

et d’ailleurs la grève est finie, Schneider a gagné ;

« la question sociale » en France, en Angleterre, en Prusse, en Autriche arrive en première page et cite encore une fois le correspondant du Temps au Creuzot ;

Arthur Arnould, en page 2, donc, parle du conseil municipal ;

dans sa revue de presse, Bazire cite la Patrie, qui parle de mineurs en termes très sympathiques… mais ce sont des Anglais… ;

dans sa « Question sociale », Millière rappelle que l’état civil date de la Révolution (je dirais même plus, de la République, la première, celle de 1792), se félicite de ce service public, et pose la question des coûteux actes notariés ;

c’est un nouveau Fonvielle (A., comme Arthur de) qui signe la « Tribune militaire », on y lit que les officiers d’artillerie apprennent le tir plongeant, bien adapté à la guerre des rues, encore des témoignages de soldats, et un nouvel extrait d’article du Temps à propos des soldats au Creuzot ;

dans ses « Échos », l’Ingénu signale notamment que quatorze astronomes sont en grève (contre Le Verrier) ;

Richardet, ancien représentant du peuple, en rajoute sur l’assassin Bonaparte ;

Francis Enne rend compte d’une loi qui sauve la préfecture de la Seine de la faillite ;

Collot évoque l’enterrement civil d’un libre penseur ;

au bas d’une convocation de la Chambre syndicale des ouvriers mécaniciens, je lis le nom d’Avrial et note la discussion d’un projet de Crédit mutuel ;

dans le compte rendu analytique du Corps législatif, Esquiros questionne le ministre de l’intérieur sur l’envoi de l’armée au Creuzot, sa réprobation déclenche des rires,

les membres qui rient n’ont sans doute jamais vécu dans un pays libre,

leur envoie-t-il, et une discussion s’ensuit entre le ministre et Gambetta, toute à l’honneur de ce dernier ;

on souscrit pour le monument Victor Noir ;

il y a la Bourse et les théâtres.

Je garde les nouvelles du Creuzot et l’article d’Arnould.

NOUVELLES DU CREUZOT

Le Creuzot, 25 janvier 1870

Les dépêches officielles ont dû vous apprendre hier et aujourd’hui que tous les ouvriers étaient rentrés, que les meneurs [mineurs ?] étaient vaincus, que l’ordre, en un mot, représenté par les chassepots et l’autorité de M. Schneider, était rétabli.

Cet ordre qui n’a jamais été troublé dans le sens matériel, pas plus que dans le sens moral, règne en effet comme toujours, mais ce que veulent dire les journaux officieux est vrai aujourd’hui.

Hier, dans une réunion privée, les conditions nouvelles de la grève devaient être arrêtées entre les délégués des comités ouvriers, elles devaient se produire aujourd’hui même.

Rien n’est franc, la terreur règne ici, on parle de soldats arrêtés, de sentinelles gelées dans les factions à la forge, de sept sous-officiers cassés, de pression énergique exercée.

Le mouvement paraît donc comprimé, mais sous cette pression qui existe ici, nous ne pouvons rien dire, placé que nous sommes entre la terreur qui règne parmi les ouvriers, et la suspicion dont nous sommes l’objet de la part des employés.

Il faut le dire et le répéter, il n’y a pas eu de grève. On a renvoyé des ouvriers, ceux-ci ont proposé des conditions et les ont appuyées de la seule protestation qu’ils pouvaient faire, celle de l’inertie ; on a eu peur, et 4,000 hommes ont envahi le pays. Il reste donc : d’un part, une force armée considérable, au service d’un despote au petit pied ; d’autre part, des soldats persécutés pour avoir manifesté leur sympathie en faveur de leurs frères, des ouvriers craignant, à juste raison, des coups de fusil, et une population terrifiée par des menaces occultes.

Si ce que l’on appelle la grève est terminée, CE QUE NOUS NE POUVONS SAVOIR NI PRÉVOIR, quoique l’on puisse dire, l’autorité patriarcale de cet excellent M. Schneider est radicalement détruite, et il ne restera de cette vieille renommée, basée sur la pression et le mensonge, que ce qu’il doit en rester, la vérité dans toute sa terrible nudité.

Vous le savez mieux que personne ; nous ne sommes pas venus [venu?] ici organiser une grève, mais bien étudier une question sociale. Cette question se pose tout entière. M. Schneider n’a rien fait ni pour l’atténuer ni pour la résoudre, et elle s’impose aujourd’hui comme autrefois à l’attention de ce que la France compte d’honnêtes gens.

Puisque, à notre grande satisfaction, nous avons quelques loisirs, nous allons en profiter pour étudier de plus près la question éternelle qui s’appelle ici : Schneider contre Assy, Janin et consorts, et qui s’appelle par toute la France : CAPITAL ET PRIVILÈGE CONTRE PRODUCTEURS.

Pendant le peu de jours que nous avons à rester ici, nous n’écouterons que la voix de notre conscience. Nous ne pouvons jeter les yeux sur un journal officiel sans y trouver des attaques personnelles et des insinuations perfides ; nous ne nous y arrêterons pas. Nous avons eu la satisfaction d’être compris de quelques honnêtes gens, et notamment de M. Josserand du Progrès de Saône-et-Loire, et de M. Larocque, du Parlement, qui, quelque divergent que soit notre but, s’est plu à reconnaître l’honnêteté de nos intentions et la franchise de nos rapports, cela nous suffit.

À demain donc pour plus amples détails, et si nous en devons croire tous ceux qui nous demandent des rendez-vous, notre journée sera bien employée ; et il est à croire qu’il y a ici un dossier complet à instruire contre Schneider, capital et Cie.

ACHILLE DUBUC

COURRIER POLITIQUE

Notre droit !

Il faut revenir encore sur cette question d’un conseil municipal élu à Paris, car cette question est vitale pour la grande cité républicaine. Nous ne voulons pas discuter le projet de loi déposé par plusieurs membres de la gauche, — cette discussion viendra plus tard, — mais nous devons protester énergiquement contre un passage de l’exposé des motifs publié hier dans plusieurs journaux.

Pourquoi la gauche a-t-elle cru devoir rassurer la majorité sur les conséquences possibles d’un retour au droit commun ? [faut-il préciser que cette « gauche » est formée des politiciens qui seront au pouvoir, à Versailles, l’année prochaine?]

Pourquoi s’est-elle appliquée à déclarer avec une étrange insistance que, dans son esprit, le conseil municipal de Paris, « confiné dans des attributions purement financières et administratives, sans action sur la police et sur la force publique, contenu, au besoin, par le droit de suspension et de dissolution qui appartient au pouvoir central vis-à-vis de toute assemblée municipale EN RÉVOLTE contre les lois…, ne pouvait avoir, au point de vue de la paix publique, qu’une action fort inoffensive ? »

En s’exprimant ainsi les signataires du projet de loi ont-ils voulu exposer leur idéal en matière de liberté municipale, ou bien diront-ils qu’ils voulaient seulement envelopper de miel la pilule amère qu’il s’agit de faire avaler à la majorité ?

Dans le premier cas, — leur idéal et le nôtre n’ont rien de commun.

Dans le second cas, ils se sont diminués gratuitement, sans aucun résultat pratique.

En effet, de quelque miel que la gauche entoure la pilule, — la pilule ne passera pas.

Quoi que vous disiez, le gouvernement pensera toujours, avec raison, qu’aucun conseil municipal élu ne sera jamais aussi dépendant, aussi contenu, aussi inoffensif, aussi commode qu’une commission nommée directement par le ministre de l’intérieur.

Ensuite, — c’est une mauvais tactique, un faux calcul, que d’essayer de ramener à soi, par mille concessions, les adversaires irréconciliables de la démocratie et de la souveraineté populaire.

La haine et la peur leur tiennent lieu de génie, et vos protestations ne les convainquent ni ne les trompent sur le sort qui les attend.

Il ne faut point songer à rassurer les peureux, ni à convertir les hommes dont les opinions reposent non pas sur des erreurs de l’esprit, mais sur des appétits de pouvoir et la volonté furieuse de conserver tous les abus qui les engraissent et leur promettent l’impunité.

Entre la République et l’empire, entre la dictature et la liberté, il y a des abîmes qu’on ne peut combler, — qu’il faut franchir d’un bond héroïque.

Ceux à qui le peuple a confié la revendication de ses droits, ne doivent donc pas s’amuser à dire à ses ennemis :

— Ce que nous vous demandons n’a rien d’effrayant, ni de révolutionnaire : — ce conseil municipal élu, — nous le laisserons dans les mains du pouvoir central qui le suspendra ou le supprimera, quand il se mettra en révolte contre les lois, — c’est-à-dire, chaque fois que ses actes vous déplairont ou gêneront votre bon plaisir. — Ce conseil municipal élu sera comme s’il n’était pas. — Vous n’aurez pas à compter avec lui, en dehors des questions d’honnêteté financière. Il contrôlera les dépenses, — mais ne fera pas de bruit, — et sera si doux, si petit, si inoffensif, que réellement vous ne vous apercevrez pas de sa présence.

Ils devaient dire tout simplement :

— Nous réclamons un conseil municipal élu, parce que c’est le droit absolu, — parce que la commune de Paris veut s’administrer elle-même et gérer ses biens, — parce que meunier est maître dans son moulin, — et qu’on ne peut endurer plus longtemps cette mise hors la loi de deux millions de citoyens français.

Si la majorité frelatée du Corps législatif craint de voir à ses côtés une puissance émanée du peuple, indépendante, possédant la force qui manque aux députés de l’empereur, — que nous importe ?

Si « certains conservateurs » s’imaginent que l’on constituera, de la sorte, « une autorité usurpatrice, disposée à jouer le rôle qu’avaient pris, durant la période révolutionnaire, les membres de la commune de Paris, » — que nous importe encore ?

Est-ce que la démocratie doit compter avec ces scrupules, — ces terreurs, — ces misérables appréhensions des ennemis du peuple, uniquement préoccupés d’étouffer sa voix, d’enchaîner sa volonté, de barricader toutes les issues par où le souverain de droit pourrait devenir souverain de fait ?

C’est pour avoir demandé pardon à deux genoux aux ennemis mortels du droit, de l’égalité et de la Révolution, que la République de 1848 est morte.

C’est pour avoir proclamé ses principes, sans s’inquiéter des cris de colère ou de douleur qu’elle arrachait aux représentants du passé, que la Révolution de 89 et de 92 est restée le phare lumineux de l’humanité.

Nous n’avons pas à nous inquiéter d’amadouer les Burgraves de la réaction serrés autour de l’empire, nous avons à revendiquer fièrement, non devant eux, mais devant le pays entier, notre droit, rien que notre droit, — tout notre droit.

Ils sont le passé, — nous sommes l’avenir.

Ils sont deux cent cinquante qui complotent derrière des gendarmes, — nous sommes une nation entière qui réclame son dû.

Qu’ils restent à leur peur et à leurs mauvais desseins.

Nous n’avons ni à les rassurer, ni à les convertir. — Nous avons à nous affirmer, à les juger et à les punir.

ARTHUR ARNOULD

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Le portrait d’Arthur Arnould, drapé dans la Marseillaise, par Klenck, vient du musée Carnavalet et précisément de ce site, là.

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