Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

42. Samedi 29 janvier 1870 

Rochefort, dans son éditorial « Le Cri du cœur », nous parle de ces ministres qui travaillent avec le chef de l’état ;

dans les « Nouvelles politiques », c’est Morot qui ironise sur un article du journal de M. de Pène (vous savez, celui à qui, le 22 mars de l’année prochaine, une balle spirituelle traversera l’anus — dira Lissagaray) qui annonce que plus rien d’intéressant ne se passe au Creuzot, mais aussi qu’un soldat y est mort de froid, il nous donne aussi les salaires des instituteurs (2,282 francs) et des institutrices (1,401 francs) en Angleterre, c’est environ cinq fois moins en France (mais aussi inégal, et ça il ne le dit pas), et nous informe que H. Morel, qui fait « La Chambre » dans le Moniteur est Mme Claude Vignon (qui est encore un pseudonyme, celui de Noémi Cadiot, ça non plus il ne le dit pas) ;

des députés hongrois envoient leur sympathie à Rochefort ;

Arthur Arnould revient sur l’inviolable propriété de M. Schneider, il n’est pas question que les ouvriers puissent utiliser leur caisse de secours pour soutenir une grève ;

Germain Casse s’étend, dans « La Chambre », sur la discussion entre Thiers et Forcade (moins longtemps quand même que ce qu’a duré cette discussion elle-même), au fait, a-t-il été dit que Thiers est propriétaire, pour une bonne part, des mines d’Anzin ?;

Millière continue sur l’état civil et, comme on pouvait s’y attendre après son article d’hier, s’attache aujourd’hui à remplacer le Notariat, l’Enregistrement, les Hypothèques et le Cadastre (et à substituer l’état civil) ;

après la Réforme, la Marseillaise reproduit une affiche d’un meeting à Londres de la branche française de l’Association internationale des travailleurs,

pour protester contre l’assassinat commis par le Bandit Pierre-Napoléon Bonaparte sur la personne du citoyen Victor Noir

(c’était le 26 janvier) ;

encore un journal interdit, la Fronde, pour ses illustrations; Bazire s’en prend à Guéroult, de l’Opinion nationale, celui avec lequel Millière discutait dans sa « Question sociale », qui, à propos du Creuzot, parle d’excitation artificielle,

parce qu’un ignare a travesti l’Internationale en société secrète, vite, on crie au feu ! mais l’Internationale opère au su et au vu de tout le monde

(ce n’est pas la dernière fois qu’il faudra le dire, citoyen Bazire) ;

Achille Dubuc envoie encore des nouvelles du Creuzot — en page 3 ;

le « Bulletin du travail » de Verdure revient sur les mineurs de la Loire et sur l’assemblée générale de la société de Crédit mutuel et de prévoyance des ouvriers facteurs de pianos et d’orgues ;

au Corps législatif on a discuté du budget de la ville de Paris, et ce n’est pas rien… ;

la souscription pour le Creuzot s’allonge, celle pour le monument à Victor Noir ne désemplit pas.

Je ne résiste pas aux nouvelles du Creuzot, d’un Dubuc très déprimé…

NOUVELLES DU CREUZOT

Le Creuzot, 26 janvier.

Eh bien ! puisqu’il le faut, faisons des aveux :

Assy a reçu de l’Internationale 55,000 fr. ; sur notre fortune particulière nous lui avons personnellement donné 140,000 fr. ; nous voulions lui en donner 150,000, mais le cours de la Bourse est la cause de cette différence ; les mineurs d’Aubin et de la Ricamarie, ceux qu’on n’a pas encore fusillés, sur leur salaire de 3 fr., ont prélevé chacun 10 fr. par jour, ce qui constitue environ un million qui est entre les mains d’Assy.

Mais comme il faut beaucoup d’argent, nous vous avouerons qu’il ne nous reste plus un sou, ce qui fait qu’Assy va s’en aller pédestrement, en ouvrier, le sac sur le dos, demander du travail dans les pays moins Schneidérisés ; qu’il restera ici quelques pauvres diables renvoyés de leurs ateliers et les femmes et les enfants des victimes de l’éboulement. C’est pourquoi, insatiables, nous ne craignons pas de nous adresser à tous nos bons amis de Paris, à tous ceux dont nous recevons ici même les adhésions sincères et chaleureuses, et nous leur demandons de se cotiser sans retard et de réunir quelques centaines de francs.

Qu’on se hâte, nous le demandons bien instamment, car il fait ici un temps épouvantable ; il fait froid et il fait faim, et la misère la plus absolue et la plus irrémédiable règne dans chaque foyer.

Nous le savons, et tous le savent, la démocratie a de bien lourdes charges ; mais elle a aussi grand cœur et bonne volonté et nous ne demandons qu’une obole.

Tout ce qui se passe est profondément triste. Le but de M. Schneider, en faisant colporter tous ces mensonges par les journaux de sa police est bien clair et bien limpide.

M. Schneider ne peut pas s’être dérangé pour rien, il ne peut pour rien avoir dérangé 4,000 hommes, fantassins et cavaliers, un préfet, un procureur, un substitut, un juge d’instruction, des gendarmes et des agents.

Il faut qu’en récompense de tant de zèle et d’activité, M. Schneider reçoive les compliments de ses maîtres et de ses complices ; en faisant intervenir l’Internationale, cet épouvantail, en entassant calomnies sur mensonges, M. Schneider aura sauvé l’ordre et la société et bien mérité du Corps législatif et du Sénat.

Il importe peu, vous le comprenez, que des ouvriers soient renvoyés, livrés avec toute leur famille au désespoir et à la faim ; il importe peu que les ouvriers dociles, ramenés au travail par la terreur, continuent à végéter sous le bon plaisir de M. Schneider, il faut avant tout inspirer de la terreur, sauvegarder le principe du patronat, et conserver le prestige de M. Schneider.

C’est en vain ; il fallait cette calamité pour provoquer la lumière, appeler l’attention de la presse sur les agissements du patriarche du Creuzot. De tout cet édifice, il ne restera rien. Nous ne serons pas seul dans cette tâche, fussions nous seul, nous l’accomplirons.

Le bouffon de cette affaire, car il est en tout un côté bouffon, c’est que les bons gendarmes et les agents subalternes s’arrachent des poignées de cheveux et se demandent comment il peut se faire qu’Assy ait reçu tant d’argent, malgré leur zèle et l’embargo mis sur tout envoi suspect. Ces pauvres gens ne peuvent parvenir à comprendre que ce qu’il fallait tromper, ce n’est pas le Creuzot, c’est Paris et la France. Si quelques journaux honnêtes ne s’en mêlaient pas, le but serait peut-être atteint.

En attendant, à l’abri des calomnies du journal de M. de Villemessant, on instrumente et l’on prend pour base des interrogatoires toutes les… choses amoncelées par M. Chabrillat. On a interrogé hier et aujourd’hui plusieurs ouvriers ; Assy vient de nous quitter, mandé par le procureur impérial, notre tour viendra peut-être.

La terreur continue ; hier, il s’est produit à l’annonce des poursuites, une panique folle ; il est triste de voir toute une population courber la tête sous la terreur qu’inspire un seul individu.

ACHILLE DUBUC

À titre de complément, j’ajoute un extrait d’une lettre de Jenny Marx à Kugelmann, datée du 30 janvier, il y est question d’une lettre reçue de sa sœur Laura, qui a envoyé des nouvelles de Paris, après la naissance de sa fille Jeanne Marguerite Lafargue le 1er janvier:

Sa lettre était accompagnée d’un paquet extrêmement intéressant de journaux français, La Marseillaise, La Cloche, La Réforme, Le Rappel et Le Pays. Ces journaux donnent une belle idée de la situation actuelle en France. L’agitation et la nervosité qui règnent dans la capitale sont incroyables. Tous les partis, voire tous les individus, se prennent de querelle. Rochefort est à couteaux tirés avec ses anciens amis, Vermorel, Villemessant, etc., qu’il traite publiquement de mouchards, et ceux-ci, dans leur organe, Le Figaro, lui rendent la monnaie de sa pièce. Quant aux Bancel, Gambetta, Pelletan, Favre, etc., cette tribu de phraseurs vociférants, ils ont complètement disparu: ils ne comptent plus. Le peuple a fait l’expérience de ce qu’il peut attendre de la gauche tranche-montagne: pas un seul d’entre eux n’a osé se montrer aux funérailles de Victor Noir, ni élever la voix à la Chambre. Rochefort, appuyé par le bon vieux Raspail, les a annihilés: il les a condamnés à être des morts vivants. Même si Liebknecht dit le contraire, Rochefort joue un rôle prépondérant à Paris et la sagesse dont il a fait preuve en empêchant une collision avec la troupe le jour de l’enterrement est maintenant reconnue de tous. […]

D’autre part, le Volksstaat donne aussi un compte rendu inexact de la grève du Creusot. Il n’est pas vrai que les ouvriers aient demandé une augmentation de salaire et une diminution des heures de travail. Ils ont simplement demandé que l’administration de leur caisse maladie soit entre leurs mains et non dans celles de M. Schneider; ils se sont élevés aussi contre le licenciement de leur camarade Assi et ils ont demandé le renvoi d’un contremaître qui les avait brimés. […]

Un fait est important, c’est que certains des soldats envoyés au Creuzot ont aussitôt fraternisé avec les mineurs. Quatre de ces soldats doivent passer en jugement pour avoir tenté de rallier leurs camarades à la cause du peuple.

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La carte géologique de la Saône et Loire vient de Gallica, là

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Le journal en entier et son sommaire détaillé, avec la question sociale ressaisie, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).