Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

43. Dimanche 30 janvier 1870

Apparition ce jour du Premier venu, un nouveau pseudonyme, pour un éditorialiste celui-là, mais que l’on verra peu et qui, pour aujourd’hui, s’adresse à la petite bourgeoisie, qui comme le peuple, doit comprendre que leur salut commun est dans un 89 politique et social, le salut commun est dans la concorde ;

une dépêche signée d’Assy informe qu’au Creuzot, 68 ouvriers ont été chassés hier des ateliers que 1,000 autres doivent être renvoyés aujourd’hui ;

Rochefort lui-même donne des (bonnes) nouvelles de Raspail (qui vient d’avoir 76 ans, et qui vivra jusqu’en 1878) ;

je garde une des « Nouvelles politiques » de Morot pour la bonne bouche ;

encore des félicitations à Rochefort, par des Biterrois cette fois ;

une métaphore de Habeneck, où Napoléon III est Don Juan, Rouher Leporello et la statue du Commandeur la liberté ;

un « feuilleton », c’est-à-dire un article qui occupe la place du feuilleton, « rez-de-chaussée » des pages 1 et 2, est titré « La Révolution et la Science » ;

Germain Casse nous parle de la Chambre et encore de Forcade et de Thiers, tout ça est bien long ;

Francis Enne encore des méfaits de la police ;

Millière s’attaque à Garnier-Pagès (un peu) et à Favre (beaucoup) parce que lui, Favre, s’attaque à l’égalité ;

Verdure nous parle de 150 ouvriers des ateliers du port de Toulon qui vont être exclus parce que plus assez valides ;

il est question d’un procès entre éditeurs, à propos d’une brochure de Vitu sur les réunions publiques (que j’ai déjà citée) ;

la « Tribune militaire » commence par l’information, donnée par un autre journal, qu’au Creuzot, les soldats vont recevoir une deuxième couverture, trop tard pour celui qui est déjà mort de froid; elle continue par encore des lettres de soldats et des commentaires d’A. de Fonvielle ;

Dubuc envoie sa dernière lettre du Creuzot ;

les prolétaires positivistes ont adhéré à l’Internationale et cette association invite tous les groupes d’ouvriers à en faire autant ;

Tony-Moilin informe qu’une réunion à la Maison-Dieu a été dissoute, et c’est la troisième fois ;

il y a une élection partielle à Saint-Malo ;

et des souscriptions…

Pour aujourd’hui, entre une nouvelle politique et la lettre de Dubuc, je dirai deux mots du « feuilleton ».

NOUVELLES POLITIQUES

Nous mettons sous les yeux des prolétaires la statistique suivante, extraite du Gaulois ; on verra ce que nous coûtent les simples rigolades de l’empire :

Il se consomme, à chaque bal des Tuileries : 900 bouteilles de champagne, 400 bouteilles de bordeaux, 50 bouteilles de madère, 1,200 litres de sirops, 200 litres de café glacé, 200 litres de chocolat chaud, 2,000 glaces, 1,200 litres de punch, 200 [je ne suis pas sûre de ma lecture] litres de thé, 3,000 gâteaux, 100 grosses pièces de pâtisserie, 600 kilogrammes de viandes, 100 gros pâtés de foie gras, 200 poulets, 50 faisans, 100 perdreaux, 12 gros jambons, 300 mauviettes, 24 entrées de poissons, 12 grosses galantines, 21 salades de légumes à l’impériale, 16 buisons de truffes, 20 filets de bœuf, 3,000 petits pains !

Un soldat est mort de froid au Creuzot.

MOROT

LA RÉVOLUTION ET LA SCIENCE

De la fabrication du coton poudre et de son application,

soit comme poudre de guerre, soit comme poudre de mine.

Tout le monde sait que [si vous voulez mon avis, c’est le pire début possible pour un article de vulgarisation: il exclut ceux qui ne savent pas, c’est-à-dire tout le monde…] le coton soumis à l’action de l’acide nitrique (eau forte) se transforme en une substance qui conserve à peu près complètement l’apparence de la matière première, mais qui jouit de propriétés nouvelles et importantes. Cette substance est excessivement explosible et peut remplacer la poudre ordinaire dans une foule de ses usages. De là, les noms coton-poudre, poudre-coton, fulmi-coton, coton-fulminant, sous lesquels on la désigne.

J’arrête là la citation. Je vous laisse aller lire l’article, qui est assez long et se conclut par l’annonce d’un article suivant, parce que,

à défaut de coton-poudre, la nitro-glycérine et le picrate de potasse peuvent rendre des services considérables.

La science sert aussi à faire… la révolution, je suppose que c’est ce que veut dire le titre. Encore deux informations : le 11 février, Engels envoie tous ses journaux français à Jenny Marx et écrit à son père :

Je n’ai gardé que le numéro de la Marseillaise où l’on parle du coton à poudre; je veux interroger Chlormeier [Carl Schlorlemmer] plus à fond à ce sujet.

Ah ! et l’auteur du « feuilleton » ? il s’appelle Alfred Naquet, c’est un chimiste et médecin.

NOUVELLES DU CREUZOT

Le Creuzot, 27 janvier 1870

Mon cher ami,

Demain matin je quitterai le Creuzot : il n’y a plus de grève, il n’y a ni excitations, ni menées occultes, quoi qu’on en dise.

Il ne reste en présence que l’éternel antagonisme social : le capital qui a l’armée, la loi, les autorités judiciaires et administratives, et le travailleur terrorisé.

Notre tâche commence, nous essaierons demain d’examiner le Creuzot, sa vie politique, sa vie civile, sa vie industrielle. J’écoute, je me renseigne, et je n’ai pas le temps d’écrire.

La grève est-elle finie ? Non, elle commence, et toutes les assurances contraires n’y feront rien.

En 1848, un ouvrier mécanicien Exeemann [Heitzman — là, j’ai eu du mal] a été envoyé à la Législative. En ce temps-là, le pays pensait. Depuis vingt ans, cette population a vécu dans la terreur et dans l’oppression la plus complète, elle se réveille aujourd’hui, et ce sera la gloire d’Assy d’y avoir contribué.

Mais les idées saines germent dans un bon sol, elles croîtront, et un jour, bientôt peut-être, elles s’imposeront.

Il serait injuste de ne pas reconnaître que M. Schneider a une frayeur épouvantable, les articles de tous les journaux le prouvent, les allées et venues des agents, les promenades militaires, tout le proclame.

Chaque jour, à la reprise des travaux, à midi, un bataillon part, sac et munitions sur le dos, guides en tête et en queue, trompettes sonnant, tambours battant ; on fait le tour de la nouvelle forge, on passe au-dessus de la plate-forme, et on revient au Château.

Ce Château s’appelle aussi la Verrerie ; les habitants le nomment la Basse-Cour.

Ce qui nous importe le plus, c’est de sonder la misère, et nous avons rudement à faire si nous voulons tout voir.

Un exemple. Le premier et le second jour de l’arrivée des troupes, les bourgeois et les ouvriers, inquiets de voir ces pauvres diables livrés au froid le plus épouvantable en ont eu pitié. On a invité ces soldats à trinquer, à s’asseoir, à se chauffer. Un pauvre forgeron a poussé la charité jusqu’à offrir à l’un de ces malheureux une somme de 40 sous pour ajouter à son ordinaire, boire un verre au besoin et s’acheter du tabac.

C’est là qu’est le germe des 50,000 fr. de l’Internationale et de tous les mensonges entassés.

On attend toujours de l’artillerie.

Un bataillon est parti, mais il sera remplacé.

Deux escadrons sont partis également.

Il faut attribuer ces départs au froid épouvantable qui règne ici. Les soldats campent dans la forge, dans les hangars, ils couchent sur la paille. Les ouvriers, touchés de pitié, en ont le plus grand soin, ils laissent ces malheureux approcher des fourneaux et s’y chauffer.

M. Schneider a eu un mouvement de générosité.

Il a fait distribuer à tous les soldats… deux cigares.

Ah ! le brave homme !

M. Schneider est, dit-on, parti pour Paris, mais ceci est sans importance, car, absent ou présent, le patriarche du Creuzot y laisse un assez grand nombre de valets.

ACHILLE DUBUC

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La photographie de Raspail est due à Thiébault et nous arrive par Gallica, là

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Le journal en entier et son sommaire détaillé avec la Question sociale ressaisie, sont ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).