Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
61. Samedi 19 février 1870
C’est parce le préfet de police l’a confisqué que l’article de Rochefort n’est pas arrivé, explique son auteur dans une lettre où il informe ledit préfet qu’il peut aussi aller prendre la très belle pendule Louis XIII qu’il a chez lui, bref, Rochefort dans le style Rochefort ;
Rochefort dont le pouvoir a peur ;
le député Girault, du Cher, a déposé un projet de loi prévoyant qu’un député condamné devra faire sa peine… à la Chambre même ;
il y a encore des condamnations, deux mois de plus pour Dereure ;
l’actualité irlandaise s’invite à nouveau dans les « Nouvelles politiques », mais nous en reparlerons… ;
à « La Chambre », le projet du député Girault a fait se tordre de rire les députés de droite, pourtant le vaillant Girault leur a fait remarquer que c’était un moyen de les garantir qu’il leur offrait ;
les « Informations du jour » portent surtout sur les amis prisonniers mais aussi sur le fameux « complot » (voir ci-dessous) ;
l’insurrection des élèves du collège Sainte-Barbe a été vaincue par la direction ;
« Toujours des menaces », titre Barberet pour rapporter ce que le directeur de Sainte-Pélagie a dit à Lissagaray :
Vous avez fait paraître deux articles dans la Marseillaise sans les avoir donnés au greffe. Je vous préviens que si un troisième article paraissait on prendrait contre vous les mesures disciplinaires les plus rigoureuses.
ce qui prouve que j’ai bien fait de rendre ces deux articles publics: il n’y en aura pas d’autre ;
la revue de presse cite un bel article de Vacquerie dans Le Rappel ;
des lettres et des réclamations, notamment d’étudiants ;
le compte rendu du Corps législatif détaille les informations données plus haut ;
quelques réunions publiques sont annoncées ;
souscriptions toujours (le bureau est ouvert de 10 heures du matin à 8 heures du soir) ;
dans les « Tribunaux », Vitu, auteur d’une brochure sur les réunions publiques dont j’ai déjà parlé plusieurs fois et Dentu, son éditeur, sont condamnés pour ce que j’appellerais de la diffamation, encore des condamnations de journalistes, enfin un juge nommé Bazire (mais il n’est pas de la famille du « nôtre ») juge treize des prévenus des « événements des 7, 8 et 9 février ».
Je garde la meilleure partie des Informations du jour.
Informations du jour
Enfin ! il paraît que ça commence à se simplifier.
Ce matin, à dix heures et demie, trois de nos collaborateurs, les citoyens Puissant, Verdure et Enne, ont vu s’ouvrir devant eux les portes de la Santé.
Il va sans dire que tous trois ignorent encore, à l’heure qu’il est, aussi bien les causes de leur incarcération que les raisons de leur élargissement.
Pour montrer avec quelle gravité cette terrible affaire est instruite disons simplement qu’aucun des quatre [?] complices mis en liberté n’a été interrogé par le juge d’instruction.
Tout s’est borné à l’interrogatoire sommaire que leur a fait subir M. Bernier le 9 février avant le transfert à Mazas.
Interrogatoire n’ayant pour but que de constater l’identité des prévenus.
Dix jours de secret pour résoudre un pareil problème, avouez que c’est raide !
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Les nouvelles que nous apportent nos amis ne font d’ailleurs que confirmer celles que nous possédions déjà sur le régime des détenus politiques en 1870.
Jusqu’à mardi soir, les nouveaux hôtes de la Santé ont dû se contenter de l’ordinaire de la maison, ordinaire dont la lettre du citoyen Gromier, publiée hier dans nos colonnes, n’a donné au lecteur qu’une idée tout à fait insuffisante.
Mercredi soir, seulement, les détenus ont pu obtenir du café.
Quant au froid, il était tellement vif qu’il était de toute impossibilité de lire ou de travailler dans les cellules. Le séjour n’en devenait supportable qu’au prix d’un exercice forcé.
Et quel exercice que celui auquel on peut se livrer dans une cage de trois mètres de long sur deux mètres de large, encombrée par un lit, une table et un escabeau !
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Deux mots des couchettes, en passant : elles se réduisent à un petit matelas de deux doigts d’épaisseur placé sur des barres de fer d’un contact assez peu moëlleux.
Par faveur spéciale, cependant, nos amis ont pu, au bout de quelques jours, obtenir une paillasse supplémentaire.
Et voilà comment l’ex-commissaire de la République française traite les écrivains qui le gênent en l’an de presse libre 1870.
Était-ce bien la peine de renvoyer Rouher ?
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Voici dans quel ordre sont incarcérés à l’heure qu’il est ceux de nos amis encore détenus à la Santé.
Bazire partage la cellule de Casse, Millière celle de Grousset, Humbert celle de Rigault et Arnould celle d’Habeneck.
Et maintenant, ô ministre juste, à quand le troisième convoi ?
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[…]
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M. Ranc, dont plusieurs journaux avaient annoncé le départ pour Bruxelles, écrit aujourd’hui à la Cloche une lettre datée de la Servette, près Genève.
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Poursuivons avec nos confrères du Rappel, du Réveil et de la Réforme, notre contre-enquête au sujet du complot :
Paris le 16 février 1870
Citoyen rédacteur
Nous trouvons ce matin dans le Réveil une lettre de notre ami Johannard vous informant qu’une perquisition a été faite chez lui hier dans la journée.
Nous venons vous annoncer que la même mesure a été prise à l’égard des neuf autres signataires de la déclaration que vous avez insérée dans votre numéro du 11 courant. [Il s’agit de la déclaration publiée par la Réforme. Voir l’article maison en date du 10 février.]
Salut et fraternité
Camille Adam, rue Larrey, 1.–
Pindy, Faubourg du Temple, 17.
— Léon Landrin, rue de la Roquette 90.
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On lit dans le Réveil :
On nous affirme ce fait, qui nous paraîtrait incroyable si nous n’avions M. Ollivier pour ministre de la justice.
Des citoyens arrêtés le 8 février et transférés ce jour-là au dépôt de la préfecture de police sont encore aujourd’hui, 16 février, à ce dépôt.
Dans le nombre sont deux ouvriers typographes dont nous tairons les noms pour ne pas alarmer leurs familles.
Et M. Ollivier trouve qu’il est inutile d’accélérer le procès en chargeant plusieurs magistrats de l’instruction !
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D’après le Journal des Débats, soixante individus ont été transférés hier à la prison de la Santé, sous l’inculpation d’avoir participé à un attentat contre la sûreté de l’Etat, six sous l’inculpation de cris séditieux, et six autres pour avoir fait partie d’un attroupement.
Il se trouvait hier à la prison de la Santé 406 individus arrêtés à la suite des affaires de février.
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Au nombre des victimes de la soirée du 9 courant se trouve une jeune fille de dix-neuf ans, Mlle Fanny Langlois, danseuse aux Folies-Bergères [Bergère], qui en sera quitte, heureusement, pour une forte contusion suivie d’épanchement à la partie interne du genou droit. Voici ce que cette jeune personne a raconté au docteur Sergent, appelé pour lui donner des soins :
Le 8 du courant, elle revenait de son théâtre qu’elle avait quitté à 11 heures du soir, prenant, selon son habitude, les rues des Petites-Écuries, du Château-d’Eau et du Faubourg-du-Temple, en compagnie de plusieurs de ses compagnes. Arrivée à la hauteur de cette dernière rue, près du canal et en face du distillateur Doisteau, elle vit une foule fuyant à toutes jambes devant une charge de cavalerie.
Mlle Langlois fut renversée, ayant sous elle une pauvre petite fille pouvant avoir trois ans, et qu’elle garantit de son mieux. On la releva évanouie par suite de sa blessure. La charge avait passé.
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On lit dans la correspondance parisienne du Sémaphore de Marseille, au sujet des bruits de complot :
Tout à l’heure, en vous parlant du complot, j’ai négligé un détail important. M. Émile Ollivier est très réfractaire à cette idée. C’est M. Pietri qui prétend avoir découvert le complot, et qui se charge d’en mettre en lumière les ténébreuses machinations. En présence des affirmations du préfet de police, M. Ollivier lui aurait dit : « Monsieur Pietri, vous avez toute la responsabilité de cette affaire, il y va de votre position, allez comme vous l’entendez, mais faites-moi voir un complot vrai, et ne nous embarquez pas dans des affaires pareilles à celles du mois de juin de l’année dernière. » M. Pietri persiste à affirmer le complot et à dire qu’il en tient tous les fils.
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Si M. Pietri tient tous les fils du complot, nous commençons, nous, à en deviner toutes les ficelles. Dans le cas où la situation du garde des sceaux se trouverait compromise par excès de zèle, il a déjà trouvé le moyen de se tirer d’affaire.
C’est de sacrifier son compère Pietri.
ÉMILE CLERC
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Le portrait de Jules Johannard utilisé en couverture vient du musée Carnavalet, via cette page, là.
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