Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
63. Lundi 21 février 1870
Une série de blagues et d’allusions introduit le « nouveau » rédacteur, Henri Dangerville, voir ci-dessous ;
le journal est à nouveau condamné, en les personnes de Barberet et Dubost ;
lequel fait d’ailleurs le compte de ce que La Marseillaise doit ou a dû payer, la bagatelle de 12,500 francs ;
pour limiter les dégâts, on ne publiera plus de lettre dont on n’est pas sûr de l’identité de l’expéditeur ;
parmi les « Nouvelles politiques », celle des interpellations à la Chambre sur les affaires de La Ricamarie et d’Aubin, ce n’est pas vraiment un nouvelle mais l’existence d’un Centre Gauche, auquel appartient Thiers, et qui croit aux promesses du gouvernement, est qualifiée de comique, il est question d’affranchissement des serfs russes (je croyais que c’était déjà fait) en liaison avec la lettre de Netschaieff publiée hier, de la place du Luxembourg et du canal de Panama ;
le « Courrier politique » de Labbé est consacré à l’instruction gratuite et obligatoire… en Angleterre (avec une épigramme dont il est souhaité qu’elle soit l’épigraphe de notre gouvernement, une coquille bien sûr), à la révolte du séminaire d’Auch, et d’une série d’autres choses, en particulier de l’utilisation du laurier dans les haricots rouges ;
Charles Dubourg nous enseigne ce que coûtent les souverains européens ;
Francis Enne continue à s’étonner que, puisque personne ne croit au complot, on ne libère pas ses collègues toujours emprisonnés ;
je vous laisse deviner, à la lecture de l’article d’Ulric de Fonvielle sur « la Constitution de l’Algérie », si ce républicain s’est posé la question de la place des « musulmans » dans celle-ci ;
il y a des « informations du jour » ;
le « Bulletin des travailleurs » de Puissant ;
Francis Enne informe ceux qui lui avaient communiqué des documents sur le sort des employés de chemin de fer que ceux-ci lui ont été enlevés lors de son arrestation ;
je passe les Échos ;
dans le « Bulletin du mouvement social », Verdure rend compte de la Société coopérative Le Progrès de Lille ;
Gustave Puissant entame des « Notes de prison » par un article « Au poste » que je ne reproduis malheureusement pas ;
« les Journaux » ;
une rectification de Raspail après un malhonnête article du Figaro ;
après la lettre de Malespine dans le journal d’hier, il fallait une lettre de Vermorel dans celui d’aujourd’hui, la suspension de la Réforme est surtout due, dit-il, au fait que celui-ci n’a payé ni ses journalistes ni ses employés et a préféré disparaître ;
il y a des « Communications ouvrières » ;
des annonces de Réunions publiques ;
des incendies dans les « Faits divers » ;
le début des « Notes d’un déporté de 1851 » (Étienne Laville) ;
les listes de souscription ;
le procès de Dubost et Barberet dans les « Tribunaux », ainsi que la réunion de la Haute Cour de justice qui jugera Pierre Bonaparte, la Bourse, les théâtres…
Même si son « premier » article, ne vole pas très haut, je ne vois pas comment éviter Dangerville. En commençant par les sous-entendus de Barberet.
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Notre rédacteur en chef se trouvant l’objet de persécutions inconnues jusqu’ici dans l’histoire des condamnations de presse, son nom ne paraîtra plus dans la Marseillaise.
Ainsi, notre premier soin a-t-il été de chercher un ténor pour le remplacer. Y sommes-nous arrivés ? C’est au lecteur à nous dire jusqu’à quel point il s’est aperçu de la substitution.
Sous ce titre : Fantaisies politiques, M. Henri Dangerville nous donnera des articles trois fois par semaine et nous espérons que le citoyen Rochefort lui-même ne se plaindra pas de celui à qui il vient de passer la plume.
Le Gérant : J. BARBERET
FANTAISIES POLITIQUES
LE CORPS LÉGISLATIF À Ste-PÉLAGIE
Paris est la première ville de France. La circonscription que représente le citoyen Rochefort se trouve être la première de Paris. Donc le premier député de France, c’est le citoyen Rochefort.
Ceci étant établi, il s’agit de savoir où siège le véritable Corps législatif. Est-ce à Sainte-Pélagie ou au Palais-Bourbon ? Ceux qui sont sortis comme autant de juliennes purées des soupières administratives et autres vases familiers s’écrieront évidemment : C’est au Palais-Bourbon ! Nous répéterons, quant à nous, jusqu’à la dissolution inclusivement :
C’est à Sainte-Pélagie !
Cette opinion est du reste celle des détenus politiques eux-mêmes, car nous recevons de notre sténographe ordinaire le récit d’une des séances qu’ils ont tenues et qu’ils continueront de tenir pendant six mois, durée à la fois de la session et de la détention du citoyen Rochefort, à l’instar des agapes parlementaires auxquelles préside l’éternel Schneider.
On a dû, le lecteur le comprendra, se contenter d’à peu-près pour composer le bureau de cette chambre improvisée.
Au reste voici le compte-rendu non analytique de la séance en question :
Corps législatif
JOURNÉE DU 18 FÉVRIER 1870
Auguste, ouvrier du Creuzot, condamné pour coups et blessures (qu’il a reçus) est nommé président par quinze voix contre sept.
N’ont pas pris part au vote : MM. Du Miral et Jérôme David.
Tous les ministres sont à leurs bancs.
Condamné pour tromperie sur la marchandise, le pharmacien Verdure joue le personnage de M. Émile Ollivier.
Le gardien qui distribue le bouilli aux prisonniers représente le général Lebœuf.
Les autres ministres, n’ayant aucune importance, sont figurés par de simples vagabonds.
La droite est composée des infirmiers de l’établissement.
Les députés Henri Rochefort, Lissagaray, Amouroux, Pilotel, sont à leurs places.
Le député Mourot, gérant du Père Duchêne, entre dans la salle des séances. Tous les regards se portent sur lui. Les tribunes sont pleines.
M. LE PRÉSIDENT. — La séance est ouverte. L’ordre du jour appelle la discussion sur la proposition de M. Rochefort tendant à mettre le ministère en accusation pour excitation à la guerre civile.
M. LISSAGARAY. — Je demande la parole.
M. LE PRÉSIDENT. — Vous avez la parole.
LISSAGARAY. — Messieurs, je ne vous appellerai pas citoyens, car ce titre appartient aux hommes libres et, comme infirmiers officiels, vous savez parfaitement que vous ne l’êtes pas (bruits). Messieurs, quand M. Émile Ollivier a déclaré dans une réunion électorale que, pour lui, le Corps législatif n’était que la première étape de Cayenne, il ne vous trompait pas… (Étonnement sur les bancs de la gauche.)
M. LISSAGARAY, reprenant : Seulement il a été mal compris. Il voulait dire qu’en entrant au Corps législatif, son but était d’envoyer à Cayenne le plus de monde possible. (Rires d’approbation à gauche.)
À DROITE. — Cela n’est pas ! Vous calomniez !
M. VENDRE. — M. Ollivier est un ange !
M. NOUBEL. — La bête du bon Dieu !
M. DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE. — Allez raconter ça dans les bureaux de la Marseillaise.
M. ÉMILE OLLIVIER, à la tribune. — Le ministère fera son devoir. (Applaudissements prolongés. En descendant de la tribune, M. le ministre de la justice est vivement félicité. M. Jules Favre va lui serrer la main.)
M. LISSAGARAY. — Il est probable que s’il n’avait pas nourri ces intentions, relativement à la Guyane Française, M. le ministre de la justice n’aurait pas attendu pour faire arrêter le député de la première qu’il fût au milieu de ses électeurs.
M. CLÉMENT DUVERNOIS. — Mais puisqu’il a trois domiciles.
M. ROCHEFORT. — Je demande la parole.
M. LE PRÉSIDENT, très ému. — Est-ce pour insulter la famille impériale ?
M. HENRI ROCHEFORT. — Non, M. le président. C’est pour un fait personnel.
M. LE PRÉSIDENT. — Parlez ! mais pas de scandale s’il y a moyen.
M. HENRI ROCHEFORT. — Je… (Interruption prolongée.)
Une voix à droite. — À l’ordre !
Une autre voix à droite. — La censure !
Une troisième voix à droite. — Avec inscription au procès-verbal !
M. HENRI ROCHEFORT. — Je vous ferai observer que je n’ai pas encore ouvert la bouche. Je voudrais enfin m’expliquer sur la question de ces divers domiciles. Je n’en ai qu’un, et M. le garde des sceaux en annonçant publiquement que j’en avais trois, fait planer sur moi un fâcheux soupçon d’immoralité (Oh ! Oh !) ce qui me surprend de la part d’un homme qui laisse dire dans le Figaro, qu’au dernier bal des Tuileries sa jeune femme a montré de très belles épaules.
M. LE PRÉSIDENT. — M. Rochefort, je vous arrête, vous entrez dans la voie des personnalités.
M. ROCHEFORT. — Puisqu’il s’agit d’un fait personnel.
M. LE PRÉSIDENT. — Soyez personnel sans personnalité.
M. ÉMILE OLLIVIER, à la tribune. — Le ministre de la justice fera son devoir. (Bravos prolongés. L’orateur redescend de la tribune. M. Jules Favre va lui reserrer la main.)
M. DE PIRÉ, paraissant tout à coup au sommet de l’extrême gauche. — Voulez-vous que je vous dise mon opinion ?
M. LE PRÉSIDENT. — Mais, M. de Piré, vous n’avez pas la parole.
M. DE PIRÉ. — Je n’ai pas la parole, mais je vais vous dire mon opinion tout de même. M. de Rochefort est rageur, mal élevé. Il fait appel aux plus détestables passions. Il ne respecte ni le trône ni l’autel ! eh bien, c’est mon homme. (Cris. Assez ! assez !)
M. DE PIRÉ. — Quant à M. Émile Ollivier, il est mielleux, persuasif, plein de talent, d’intelligence et d’énergie, eh bien ! ce n’est pas mon homme. Voilà mon opinion.
M. MOUROT, du Père Duchêne. — Nous avons l’honneur de déposer l’amendement suivant au projet formulé par M. Henri Rochefort :
Considérant que, depuis moins d’un an, voilà le deuxième complot que le gouvernement se plaît à inventer,
Considérant que, sous prétexte d’une conspiration qui n’existe pas, on incarcère des citoyens qui existent,
Le Corps législatif déclare que, si d’ici à trois jours, le cabinet n’a pas pu nous montrer un vrai complot autre que les contes de fées qu’il vient débiter à la tribune, il sera condamné au ridicule à perpétuité.
M. AMOUROUX. — Je demande en outre que l’exécution ait lieu au théâtre des Menus-Plaisirs où les ministres seront tenus d’aller tous les soirs danser le quadrilles des Clodoches.
M. LE PRÉSIDENT. — Il y a une demande de scrutin. On va procéder au vote. Ceux qui sont d’avis que les ministres doivent aller danser le quadrille des Clodoches aux Menus-Plaisirs, mettront un bulletin blanc. Ceux qui sont d’un avis contraire mettront un bulletin bleu.
M. ÉMILE OLLIVIER. — Je demande la parole.
Une voix. — On ne parle pas quand le vote est commencé.
M. ÉMILE OLLIVIER. — Je voulais seulement dire ceci : Quel que soit le résultat de cette épreuve le gouvernement fera son devoir.
M. LE PRÉSIDENT. — Je vais donner lecture du résultat du vote :
Nombre de votants… 252
Majorité absolue… 126
Pour l’adoption du projet
de mise en accusation amendé
par M. Mourot… 227
Contre… 25
Le Corps législatif a adopté.
Les ministres sont condamnés au ridicule et tenus de danser le ballet des Clodoches pendant toute la durée de la détention du citoyen Rochefort.
Leurs débuts auront lieu ce soir à huit heures pour le quart.
(Bruyante agitation.) M. Vendre déchire son gilet de flanelle. M. Dugué de la Fauconnerie avale ses parchemins, et c’est au milieu du plus grand tumulte que le président prononce ces paroles remarquables :
« La séance est levée. »
Signé : HENRI DANGERVILLE
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C’est la couverture de la Lanterne (du 24 juillet 1869) qui nous sert de couverture aujourd’hui. Elle vient de Gallica, là.
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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).