Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

64. Mardi 22 février 1870

On ne l’a pas remarqué hier, mais le feuilleton de Claretie était absent du rez-de-chaussée du journal, on nous dit aujourd’hui que l’auteur est absent et que son feuilleton sera de retour jeudi; enfin on nous promet à partir de mercredi, le retour hebdomadaire du « premier venu » (apparu dans les numéros datés des 30 janvier et 7 février) ;

en attendant c’est Dubost qui s’y colle, sur le « Parlementarisme bonapartiste » ;

A. de Fonvielle nous parle de deux inepties, l’une voulant que l’on accuse Mégy d’avoir assisté à des réunions… publiques et l’autre que l’on accuse les individus arrêtés de posséder des armes… en vente libre ;

les « Nouvelles politiques » font état d’un député roumain, M. A. Rosetti, en difficulté avec l’Assemblée de son pays, et le comparent à Rochefort et à O’Donovan Rossa ;

apparition du pseudonyme « Un avare » pour un article intitulé « Des Économies », celles que veut faire la Chambre (mais pas sur les revenus de son président) ;

Labbé précise que l' »épigraphe » d’hier était une faute d’impression et une épitaphe et en profite pour faire de son « Courrier politique » d’aujourd’hui une liste d’épigraphes de Shakespeare, ce pourrait être un jeu : trouver des phrases Shakespeariennes qui puissent servir d’épigraphe à ce gouvernement (la solution dans son article), Labbé fait donc dans la brève — j’avoue qu’Arnould me manque ;

en parlant d’Arnould, il nous envoie ses amitiés, via Habeneck, avec qui il partage une cellule de la Santé, et Claretie, lequel a dû rentrer puisqu’il transmet la lettre au journal ;

les « informations du jour » contiennent entre autres choses une nouvelle bouleversante venue de Belgique sur le complot, on aurait (dans le cas de ce complot, le conditionnel est de rigueur) trouvé chez l’ouvrier Mégy une carte de bal des Tuileries !;

450, 54, 150, ce sont les nombres de détenus à la suite des soirées de Belleville, de ceux qui ont été mis à part, des sergents de ville cités comme témoins à la Santé samedi ;

une réunion de démocrates toulousains écrit à Rochefort ;

parmi les « Échos », je note une critique de Coppée,

le poète assermenté de la famille impériale,

on en a déjà parlé plusieurs fois, mais aussi de Mademoiselle Agar, une comédienne à qui Victor Noir avait déjà reproché de réciter du Coppée (voir le journal daté du 29 décembre) et qui dans à peine plus d’un an pâtira de son soutien à la Commune, et je note la mention de Vrain-Lucas, le célèbre faussaire dont nous savons que le procès a lieu en ce moment (voir le numéro daté du 18 février) ;

dans ses « Notes de prison », Puissant nous raconte aujourd’hui son passage par la Préfecture ;

« Gai Badin » se lance sur les poids et mesures, la balance de la Justice est bien mal poinçonnée ;

je passe la revue de presse ;

et le « Progrès et liberté », l’un ne va pas sans l’autre, écrit Barberet ;

ainsi que les « Éphémérides républicaines » qui nous ramèneraient au 22 février 1787 ;

la seule réunion publique annoncée est un enterrement civil ;

dans les « Faits divers » je note que

l’existence de Dieu est prouvée par le froid horrible qu’il fait depuis quinze jours

et que

sa bonté l’est aussi par les malheurs causés par la température,

mais je ne vous fais pas la liste de ces malheurs, ni de tous les autres faits plus divers que d’hiver ;

les « Notes d’un déporté de 1851 » se poursuivent et il est bien dommage que je n’aie ni le temps ni la place de vous les raconter, mais lisez-les, il est arrivé à l’Île du Diable ;

on crée la Société de gymnastique de la Rive gauche, sur le modèle de La Marmite ;

des citoyens d’Asnières protestent contre l’attitude de la gauche à la Chambre et demandent à ses députés de résilier leurs mandats ;

Malespine répond à la réponse de Vermorel dans le journal d’hier ;

le Journal officiel publie un décret sur la Haute Cour et le choix des jurés, il s’agit bien sûr de l’affaire Pierre Bonaparte ;

dans la rubrique « Musique », Salvador Daniel parle de l’organisation du Conservatoire, voici sa première phrase :

On a dit sur tous les tons et de toutes les manières possibles que les artistes ne devaient pas s’occuper de politique,

ce n’est pas son avis (et il en mourra).

Aujourd’hui, c’est le citoyen Mégy qui aura la vedette. On le trouve dans l’article d’A. de Fonvielle en première page et dans les informations du jour. On se souvient peut-être qu’il est apparu dans le journal daté du 14 février. Pour changer, je reviens à cet article, dont la plus grande partie vient du Réveil et la fin du Gaulois.

Une violation de domicile

La Marseillaise datée 14 février

Tout Paris se préoccupe de l’arrestation du citoyen Mégy, opérée vendredi matin, à son domicile, rue des Moines (aux Batignolles). Ce citoyen a cru évidemment user de son droit en ne permettant pas que son domicile soit violé par la police. Aux textes, en effet, se joignent les interprétations des auteurs pour décider qu’aucune loi n’autorise à pénétrer dans le domicile d’un citoyen pendant la nuit.

Le Réveil d’hier contient un remarquable article où cette thèse est soutenue. Nous partageons complètement cet avis et nous nous réservons d’y revenir ultérieurement pour établir que les circonstances dans lesquelles le citoyen Mégy a repoussé la force par la force, rendent étrange, pour le moins, la conduite de l’autorité.

ANTONIN DUBOST

Au numéro 78 de la rue des Moines, aux Batignolles (quartier des Épinettes), se trouve une maison de belle apparence. L’immeuble ne compte que trois étages ; il est habité par de très bons ouvriers et plusieurs ménages de petits rentiers. La maison est tranquille d’ordinaire, et la scène si dramatique d’hier matin y a causé une profonde consternation.

Une partie de la maison est louée en meublé. C’est dans cette partie, au deuxième étage, qu’une chambre assez spacieuse, ayant deux fenêtres sur la rue, est occupée par le sieur Léon-Guillaume-Edmond Mégy, ouvrier mécanicien, âgé de 26 ans.

Mégy habitait la rue des Moines depuis dix-huit mois. C’était son premier logement de garçon. Avant il habitait chez son père.

Ouvrier mécanicien, tourneur en fer et en fonte, il travaillait dans les ateliers de M. Gouin, 110, rue de Clichy, où il était employé depuis deux ans.

C’est surtout des grosses pièces, locomotives et wagons de chemins de fer, qu’il s’occupait. Très-habile, très-actif, fort estimé de ses patrons et contre-maîtres, Mégy gagnait facilement ses dix francs par jour. Tous les renseignements que nous avons recueillis sur lui sont excellents. Il manquait rarement à l’atelier, ne faisait jamais le lundi, causait peu, et, s’il avait des opinions avancées, ne les laissait pas voir. C’est un des premiers ouvriers qui soient allés au Caire, embauchés par M. Lavallée [Lavalley], pour les travaux du canal de Suez.

Mercredi soir, Mégy est rentré chez lui à huit heures ; mardi à 10 heures et demie. Ses concierges déclarent qu’il ne revenait que fort rarement après minuit.

C’est un beau garçon, brun, ayant toute sa barbe.

Hier matin, à cinq heures et demie, le concierge de la maison fut réveillé par un violent coup de sonnette. Le cordon tiré, la porte cochère s’ouvrit, puis se referma aussitôt.

Un homme, accompagné de deux autres individus, tous trois en bourgeois, se présentaient à l’entrée de la loge. Il faisait nuit noire.

M. Mégy est-il chez lui ? et à quel étage ? demanda le premier de ces trois visiteurs.

Le concierge répondit avec un peu d’étonnement :

— Au second, la porte en face, il y est.

Aussitôt les trois hommes montèrent l’escalier, sans échanger entre eux aucune parole.

Ces trois visiteurs étaient M. Henry Dorville, commissaire de police du quartier des Archives (troisième arrondissement), et les inspecteurs de police Mourot et Petit-Colas.

M. Dorville était porteur d’un mandat d’amener émanant du cabinet de M. Bernier, le juge chargé de l’instruction des derniers événements.

Le mandat donnait les deux motifs de prévention suivants :

1° Complot contre la sûreté de l’État ;

2° Complot contre la vie de l’empereur.

*

M. Dorville frappa trois coups à la porte de Mégy. La clef était sur la porte et en dehors, mais Mégy était enfermé chez lui au moyen d’une solive.

Aux coups du commissaire, le jeune homme se réveilla en sursaut.

— Qui est là ? demanda-t-il.

— Ouvrez ! répond M. Dorville.

— Qui est là ?

— Ouvrez. — Nous vous le dirons !

Mégy, on le comprend de reste, ne répond pas.

— Ouvrez, au nom de la loi ! reprend le commissaire.

Mégy se lève et ôte la solive qui défend sa porte.

— Vous pouvez entrer maintenant ! dit-il à M. Dorville.

Celui-ci tourne la clef. Au même instant, un agent frotte une allumette pour éclairer un peu l’escalier.

Mais l’ouvrier est armé d’un petit pistolet coup-de-poing à un coup. Lorsque le commissaire tourne la clef, il ouvre lui-même la porte, brusquement, et, visant M. Deville, il fait feu.

La balle effleure la joue du commissaire, qui s’est effacé instinctivement, et va frapper l’agent Mourot. Elle entre par l’oreille droite et sort par le cerveau. Le malheureux fait quelques pas, puis tombe sur le carré. M. Dorville a la joue droite noircie par la poudre. Un éclat de capsule le blesse légèrement.

Mégy rentre dans sa chambre, en referme la porte, puis, ouvrant sa fenêtre, il s’écrie :

— Au secours ! mes frères, on m’assassine ! Au secours !

*

M. Dorville pourtant n’a pas perdu son sang-froid. Restez ici, dit-il à l’agent qui l’accompagne, je vais chercher du monde.

Et il descend, donnant l’ordre au concierge de ne laisser sortir qui que ce soit.

Toute la scène que nous venons de décrire n’a pas duré dix minutes.

Vingt minutes après, la porte cochère s’ouvre de nouveau, livrant passage à M. Dorville et à une douzaine de sergents de ville requis au poste de la mairie des Batignolles.

Tous se ruent dans l’escalier et envahissent, furieux, la chambre de Mégy, qui, cette fois, n’offre aucune résistance.

Les locataires de la maison déclarent qu’ils ont entendu, après l’entrée des agents, Mégy pousser des cris. Mais ils n’ont pas osé bouger.

Pendant qu’on le gardait à vue dans sa chambre, deux sergents de ville transportèrent le corps de l’agent sur le lit de l’ouvrier. Mourot ne donnait aucun signe de vie.

M. Dorville procéda tout d’abord à une perquisition minutieuse des papiers qui se trouvaient dans la commode.

Il s’y trouvait pas mal de lettres.

En voyant les signatures de quelques-unes, le commissaire de police s’écria :

— Ah ! je les connais… ceux-là, on les pincera aussi.

M. Dorville saisit également plusieurs papiers, très-compromettants, paraît-il.

On nous assure, mais nous ne garantissons rien, qu’il y en avait signé[s] Flourens.

M. Dorville trouva encore de la poudre, des balles, des cartouches, un poignard, une canne à épée et un autre pistolet pareil à celui dont Mégy venait de se servir, ce dernier accroché à la muraille du lit.

*

Après la perquisition, M. Dorville procéda à l’interrogatoire sommaire du prisonnier qui, après avoir donné son nom, son âge et sa profession, refusa de répondre à toutes les autres questions qui lui furent adressées.

Ce n’est qu’à sept heures et demie que le commissaire de police quitta la chambre de Mégy, suivi de deux sergents de ville portant le corps de l’agent. Deux autres sergents venaient ensuite, précédant Mégy tenu par deux sergents de ville. Le reste des agents fermait la marche.

Mégy était très pâle et paraissait fort ému.

Deux fiacres requis par les agents à une station voisine attendaient à la porte de la maison.

Dans le premier fiacre fut déposé le corps de l’agent. Deux sergents de ville y montèrent. On se dirigea vers l’hôpital Beaujon. Là, le médecin chargé de l’examiner constata que ce malheureux vivait encore. Mais il n’y avait aucun soin à lui donner. Un quart d’heure après son entrée à Beaujon, il expirait.

Mourot était âgé de trente-cinq ans. Il était à la préfecture depuis trois ans. Il laisse une veuve et trois enfants.

*

Dans le deuxième fiacre montaient l’agent Petit-Colas, Mégy et deux sergents de ville. Un troisième resta sur le siège à côté du cocher. La voiture prit le chemin de la préfecture de police, où M. Dorville se rendit également.

Avant de s’éloigner, le commissaire avait fait appliquer les scellés sur la porte du logement de Mégy.

*

Dans la journée, Mégy comparut devant le juge d’instruction.

— Quel est le motif qui vous a poussé à commettre ce crime ? lui a demandé celui-ci.

— Je n’ai rien à répondre, a dit Mégy, si ce n’est que je me suis défendu contre une arrestation. Je ne voulais pas qu’on m’arrêtât. J’ai tiré dans le tas. j’aurais pu tirer un second coup si j’avais voulu. Je ne l’ai pas fait.

Et continuant de la sorte :

— Je ne sais pas au juste, a déclaré Mégy, à quelle heure on s’est présenté chez moi ; on a cogné à ma porte, je me suis levé pour savoir ; j’ai demandé : qui est là ? On a répondu : au nom de la loi, ouvrez ! J’ai ouvert ma porte, c’est-à-dire qu’ils ont ouvert la porte, car j’aurai[s] laissé la clef en dehors.

Dès que la porte a été ouverte, sans qu’il ait été prononcé une parole, et avant qu’on ait pénétré chez moi, j’ai tiré au hasard, dans l’obscurité. On a crié au secours : il y a un homme de blessé ! J’ai été arrêté quelque temps après, vingt minutes environ, peut-être plus, peut-être moins. J’aurais eu tout le temps de recharger mon pistolet si j’avais voulu recommencer. J’ai acheté ce pistolet en Egypte, lorsque j’ai été au canal de Suez, il y a cinq ans. Il était chargé depuis un an.

J’ai suivi cette année les réunions publiques. J’ai bien le droit d’aller où il me plait. J’ai travaillé lundi et jeudi de cette semaine aux ateliers de M. Gouin.

J’ai fait mon apprentissage dans cette maison ; je n’y ai travaillé ni mardi ni mercredi. Il est même possible que je n’y sois pas allé lundi dernier.

À une question tendant à établir la préméditation, Mégy a répondu :

— Je ne veux pas répondre autre chose, si ce n’est que je me suis défendu ; je ne sais pas pourquoi on est venu m’arrêter chez moi !

Après ce premier interrogatoire, Mégy a été conduit à Mazas, où il est au secret le plus absolu. [ici s’arrête l’article du Réveil.]

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Le préfet de police a adressé, dans la journée d’hier, un rapport spécial à l’empereur relatif à l’affaire de la rue des Moines.

M. Pietri a également écrit au ministre de l’intérieur pour lui recommander la veuve Mourot et ses enfants.

Les frais de l’enterrement seront faits par l’administration. Ils [? les frais ?] auront lieu demain à Saint-Philippe du Roule. — (Gaulois)

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Le portrait de Mégy, dessiné d’après une photographie d’Appert après la Commune où il commanda le fort d’Issy, vient du musée Carnavalet via ce site, là

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).