Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

90. Dimanche 20 mars 1870

Le journal commence par les mêmes annonces qu’hier, se continue par l’éditorial d’Arthur Arnould, sur « La Garde nationale » ;

des « Nouvelles politiques », je retiens comme hier la parution d’un nouveau quotidien, Le Montagnard, auquel Francis Enne souhaite aussi bonne chance ;

Verlet demande s’il est vrai que Maurice Lachâtre veut acheter le journal, la réponse est non, la Marseillaise reste la propriété de Rochefort ;

puisqu’on parle du loup… « La terreur en 1870 », un petit article signé Dangerville qui imagine la tête du député de la première circonscription portée au bout d’une pique ;

Alphonse Humbert parle du « Monopole de la presse » ;

Morot revient sur « le crime de l’Hospitalité » commis par Brunereau (voir le journal daté du 8 mars) ;

le « Bulletin du mouvement social » donne des nouvelles des ouvriers de la céramique de Paris, de Limoges et de Berlin, rend compte d’une bonne idée qu’a eue la société propagatrice de secours mutuels de Caen et du Calvados pour aider les ouvriers à trouver du travail, et se félicite que les ouvriers de Blois aient décidé de présenter des candidatures ouvrières aux prochaines élections municipales ;

c’est Cluseret (après tout, il est général) qui fait, de New-York, la « Tribune militaire » ;

la « Tribune des commerçants » commence par la lettre d’un barbier de Montmartre qui refuse de payer ses impôts et qui explique pourquoi ;

un employé de la compagnie PLM nommé Rocher s’insurge du monopole de cette compagnie, qui fait que Marseille n’aura jamais de gare du Midi (entendez, de la compagnie du Midi) ;

je note, dans les « Échos » que le procès de Tours commencera à la date anniversaire de l’exécution du duc d’Enghien (21 mars 1804) et une information qui sera appréciée de ceux qui savent ce qui va se passer dans moins d’un an :

M. Chevandier de Valdrôme serait décidé à réorganiser complètement la garde nationale de la Seine, notamment dans les 3e, 4e, 5e, 11e et 12e arrondissements, dans lesquels elle n’existe plus depuis longtemps.

Ce projet contrarie vivement Pietri. Si la garde nationale venait à être sérieusement chargée du maintien de l’ordre, il n’y aurait plus d’émeute possible.

En revanche, rien ne deviendrait plus probable qu’une révolution. 

mais voyez l’édito d’Arnould ci-dessous ;

je constate avec satisfaction qu’Humbert a pris « Les Journaux » en charge ;

premier article d’une série de « Propos de gueux » de Pierre Le Calonec ;

deuxième article de Souvenirs de la royauté romaine, du tailleurs de pierre Loiseau (voir le numéro daté du 18 mars) ;

un beau compte rendu d’une belle réunion publique salle Molière ;

une communication ouvrière, de la part de l’union des ouvriers charpentiers ;

annonces de réunions publiques ;

des « Faits divers » ;

des souscriptions ;

la Bourse ;

les théâtres ;

et je remarque l’apparition d’une belle annonce publicitaire pour Étienne Carjat (reproduite ci-dessus).

LA GARDE NATIONALE

Nous disions hier que les citoyens avaient une part de responsabilité dans le sort qui leur est fait par le dernier empire, et que, s’ils l’avaient voulu énergiquement, après le mois de juin dernier, nous n’aurions pas eu, en février, une répétition de ces assommades et de ces arrestations policières, qui sont la honte d’une nation, jadis réputée pour sa fierté et son courage.

Une note parue hier au Journal officiel démontre combien nous avions raison.

Cette note est ainsi conçue :

Nous apprenons que M. le ministre de l’intérieur s’occupe de la réorganisation de la garde nationale, dans les quartiers où elle a été supprimée en 1848, à la suite des douloureux événements de juin.

Ces quartiers comprennent les 3e, 4e, 5e, 11e et 12e arrondissements.

*

À quoi tient cette nouvelle décision si peu attendue ?

À ceci tout simplement : qu’il s’est produit un mouvement d’opinion publique en faveur de la réorganisation de la garde nationale ; — à ceci, que de nombreuses pétitions couvertes de signatures circulent dans Paris ; — à ceci, que du moment où la population parisienne exige qu’il y ait une garde nationale à Paris, le ministère sent bien qu’il faudra céder à cet ordre.

Il se hâte donc de prendre les devants — dans un double but.

*

Il veut d’abord s’éviter l’humiliation d’obéir à une injonction devenue impérieuse ; — il espère ensuite, en s’exécutant immédiatement, arriver à ne donner que la moitié de ce qu’exige l’opinion publique.

En effet, le gouvernement consentira peut-être, — comme il semble s’y engager par la note du Journal officiel, — à constituer un certain nombre de bataillons de la garde nationale dans les quartiers qui en ont été privés depuis vingt ans, — mais là s’arrêtera sa concession. Il conservera soigneusement l’organisation actuelle de la garde civique, — cette organisation hypocrite, dérisoire et injurieuse, — qui n’est que la parodie de l’institution profondément démocratique réclamée par le peuple parisien.

Il se gardera d’y faire entrer indistinctement tous les électeurs, — il se gardera encore plus de restituer aux citoyens incorporés dans la milice civique le droit imprescriptible de nommer eux-mêmes leurs chefs.

Il en sera de cette mesure comme de toutes les mesures émanées du gouvernement impérial. Quand elle ne sont pas impudemment réactionnaires, brutales et violentes, — elles sont mensongères, et reprennent jésuitiquement dans le fond ce qu’elles semblent accorder dans la forme.

*

Les ministres s’apprêtent à nous restituer la garde nationale, comme ils s’apprêtent à nous rendre la liberté électorale et le jury en matière de délits politiques.

Liberté électorale, corrigée par l’ignorance des campagnes systématiquement privées de tous les moyens d’éclairer leurs votes ; — jury trié par le préfet de police ; — garde nationale épurée par les agents du gouvernement, commandée par des chefs à la dévotion du gouvernement ; — tel est le bilan exact des concessions libérales du ministère des honnêtes gens, — en attendant le retour offensif du pouvoir personnel pur et simple, ou la mutilation prochaine du suffrage universel, déjà frappé avec tant d’impudence depuis deux mois.

*

Il n’en reste pas moins acquis qu’il a suffi d’un commencement d’agitation légale, sur la question particulière qui nous occupe aujourd’hui, pour arracher aussitôt à nos maîtres une vague promesse de satisfaction.

Que ceci nous serve de leçon, — et nous fasse enfin sortir de la coupable torpeur où nous nous engourdissons depuis trop longtemps. Que les citoyens continuent énergiquement de réclamer l’extension de la garde nationale, — ils l’obtiendront.

Ceci gagné, qu’ils s’empressent de se faire inscrire en masse dans les cadres. C’est un devoir, un devoir de premier ordre surtout pour les bons citoyens.

Une fois inscrits, une fois armés, qu’ils refusent unanimement le service, tant qu’on ne leur aura pas accordé le droit d’élire eux-mêmes leurs chefs.

Le jour où les deux cent cinquante mille électeurs démocrates de Paris déclareront qu’ils veulent être chargés de veiller au maintien de l’ordre, — qui est, après tout, leur affaire à eux seuls ; — le jour où ils réclameront le droit de nommer leurs officiers, comme ils ont déjà le droit de nommer les législateurs chargés de prendre part au gouvernement de l’État ; — le jour où ils feront connaître avec ensemble et résolution qu’ils sont las de toutes les humiliations qu’on leur impose, qu’ils ne sont pas seulement des machines à payer l’impôt, mais qu’ils sont des hommes, des citoyens, assez intelligents pour connaître leurs intérêts, assez dignes pour n’endurer aucun affront, assez courageux pour maintenir leur droit absolu, — ce jour-là, quel est le ministre, — quel est le pouvoir assez audacieux, assez fou, pour leur dire : — Non !

*

Pour cela, il n’est besoin ni de quitter son atelier, ni de quitter sa boutique, ni d’interrompre son travail, ni d’interrompre ses affaires, ni de sortir de son domicile.

Il suffit de rester calme et résolu chez soi, renfermé dans son droit, ancré dans sa volonté inébranlable, et de dire, même sans élever la voix :

— Je veux ceci, — je ne veux pas cela.

ARTHUR ARNOULD

*

Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).