Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

98. Lundi 28 mars 1870

L’affaire Pierre Bonaparte tient toujours toute la place, Barberet ne peut toujours pas voir Rochefort, lequel ne voit même pas son fils de huit ans ;

après les réquisitoires des avocats, c’est au tour du procureur général, je passe une page et demie dans laquelle il maintient que Bonaparte a reçu un soufflet de Victor Noir et conclut, sous un tonnerre d’applaudissements, en remettant « le sort du prince Pierre avec confiance » entre les mains du jury « parce qu’il n’a jamais forfait à l’honneur » ;

Ulric de Fonvielle a été arrêté ;

le verdict sera rendu vers 3 heures ;

Morot nous dit tout le mal qu’il pense du président Glandaz ;

un capitaine garibaldien écrit pour s’opposer à ce qu’a dit un témoin ;

un M. Cucheval-Clarigny, qui aurait dit que Victor Noir était violent, précise qu’il ne le connaissait pas ;

Collot revient sur la gentillesse du public tourangeau ;

même le Journal de Paris trouve que le président aurait pu montrer un peu plus de fermeté à l’égard de l’accusé — ce qui aurait évité que ce denier prononce des paroles blessantes envers l’honorable Me Laurier et ensuite l’incident Ulric de Fonvielle ;

un médecin donne son avis sur le rapport d’un de ses confrères (Tardieu), il s’agit toujours du fameux soufflet ;

je vous donnerai des nouvelles de la grève du Creuzot ci-dessous ;

et aussi, dans le « Bulletin du mouvement social », de celles des tullistes de Lyon, des ouvriers tapissiers de Limoges, des carriers de Sussargues et des ouvriers tanneurs de Perpignan ;

pendant ce temps, des personnes arrêtées depuis six semaines sont toujours en détention préventive sans que des charges aient été retenues contre elles, comme l’ami Rigault d’Alphonse Humbert, qui écrit l’article sur « Le Complot » ;

quelques « Échos » ;

le titre « Rubrique des commerçants » contient la lettre d’un commerçant, justement, qui aimerait bien qu’Antoine Arnaud aborde aussi les aspects commerciaux des chemins de fer, celui-ci répond ;

de New-York, le général Cluseret parle de Grant ;

les « Communications ouvrières » s’adressent aux Angoumoisins de Paris, aux lithographes, aux ouvriers tailleurs, aux dessinateurs pour étoffes, aux ouvriers parqueteurs ;

il y a encore un peu de place pour les rubriques finales.

LA GRÈVE DU CREUZOT

Les organes de la féodalité industrielle continuent à propager sur la grève du Creuzot les détails les plus absurdes et les plus invraisemblables. Ces feuilles honnêtes et modérées ne veulent absolument voir dans cette nouvelle lutte du travail contre le capital qu’une émeute politique fomentée par quelques meneurs étrangers à l’usine Schneider. Le Siècle et autres journaux de la même nuance disaient encore hier :

Il n’y a rien de changé dans la situation.

Un fait caractérise bien cette prétendue grève. Avant hier, 100 ou 150 individus, connus par leurs opinions démagogiques, se sont rendus à la gare d’Autun pour attendre les prisonniers et tenter un coup de main. À la vue des troupes qui les accompagnaient, cette bande s’est enfuie.

Les journaux de police tiennent le même langage. Nos lecteurs savent à quoi s’en tenir sur les insinuations de nos adversaires. Dès le début de la grève nous avons précisé ses causes et son but.

La cause : réduction de salaire ou suppression de chauffage.

Le but : 1° élévation du salaire à 5 fr. par jour de douze heures pour les ouvriers mineurs, et à 3 fr. 75 pour les manœuvres ; 2° exemption pour les mineurs du chargement des charbons sur les wagonnets ou berlines ; 3° administration de la caisse de secours par les ouvriers.

Ces réclamations à la fois si modestes et si légitimes des travailleurs n’ont pas encore reçu de solution. Les grévistes, forts de leur bon droit, persistent dans leurs résolutions ; calmes, impassibles devant les provocations et les brutalités des valets de leur maître, ils attendent de la puissance de l’union et de la solidarité le succès de leur juste cause, et ils comptent sur le concours de tous les ouvriers qui, comme eux, veulent secouer le joug de l’exploitation capitaliste.

Sauf les perquisitions chez Assi et la chasse aux ouvriers qu’on appelle les meneurs, aucun incident ne s’est produit.

La paye a été faite hier à tous les ouvriers de l’usine : il se peut bien que les forgerons et les mécaniciens se joignent aujourd’hui aux mineurs et fassent cause commune avec eux.

Les arrestations continuent ; on dit, mais nous ne pouvons le croire, que des ouvriers enchaînés ont été promenés triomphalement par les gendarmes dans les rues de la ville. Pourtant la population est manifestement sympathique aux grévistes et prête à ceux qui sont poursuivis tous les secours possibles.

Les soldats font la parade dans les rues de la ville. Des patrouilles sont organisées dans tous les sens, à l’intérieur comme à l’extérieur, mais les dispositions réciproques de la troupe et de la population sont très rassurantes. L’administration Schneider et Co ne serait peut-être pas très contrariée d’une petite collision, mais les ouvriers paraissent plus préoccupés du succès de leur cause que des satisfactions personnelles de leur seigneur et maître. Une remarque que tout le monde fait, dit un de nos correspondants, c’est que M. Schneider a fait congédier les enfants pour loger les soldats dans les écoles, et que ces bâtiments, qui servent aujourd’hui de casernes, appartiennent à la caisse de secours des ouvriers.

Au moment de terminer notre bulletin de la grève du Creuzot, nous recevons la protestation suivante :

À Monsieur le rédacteur en chef

de la Marseillaise,

Hier, nous étions à travailler aux fours à puddler n°60 et 66 de la forge neuve du Creuzot (poste de nuit) quand, vers onze heures du soir, nous vîmes que chacun autour de nous tirait les barres de son four, parce que, disait-on, la grève était déclarée.

Ne voulant pas être accusé de lâcheté par mes camarades, j’en fis autant. À peine avais-je commencé que les nommés Duperrier et Vilain père, contre-maîtres, se précipitèrent sur moi, me prirent la gorge et me frappèrent. Mon camarade soussigné vint à mon secours, et, sans frapper mes agresseurs, leur dit seulement de me lâcher.

Pour ce fait, nous sommes tous les deux sous le coup d’un mandat d’amener, et la gendarmerie est à notre poursuite. Nous protestons énergiquement contre cet acte de brutalité des contre-maîtres et le mandat en question.

Nous nous déclarons en grève. Nous réclamons 5 francs par mille, et plus de fer de deuxième qualité.

Nous n’avons violenté personne ; toute violence étant le fait des contre-maîtres sus-nommés.

Nous l’affirmons par notre signature, et nous vous prions de vouloir bien donner asile dans vos colonnes à notre protestation.

Recevez, etc.

CAMBERLIN, puddleur,

LAMALLE, puddleur.

Nous nous abstenons de tout commentaire sur cette protestation. Nous avons vu l’usine du Creuzot de près ; nous n’avions pas besoin, quant à nous, de ce document pour savoir comment on y rend la justice et comment on y comprend la liberté du travail.

Mais, patience, amis ! Les temps meilleurs approchent, et il ne tient qu’à vous tous que ce soit demain.

A. VERDURE

BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL

Grève des tullistes de Lyon

Depuis 1865 les ouvriers tullistes de Lyon ont subi 50% de diminution sur leur salaire. Pour rétablir l’équilibre entre le prix de leur journée et les premiers besoins de la vie, ils ont commencé une grève partielle qui dure depuis le 22 décembre dernier. Ils réclament purement et simplement une augmentation de deux centimes par rack sur les métiers fonctionnant à la vapeur et un quart de centime par cent fils sur les métiers à bras, ce qui peut faire, au maximum, 40 à 50 centimes d’augmentation par jour.

Ces réclamations si modérées ont été successivement acceptées par seize négociants. Un seul, M. Baboin, continue à résister et semble mettre à cette résistance un acharnement qui ne s’explique guère, vu l’extrême modération des ouvriers.

Ce négociant, qui n’a pas craint de dépenser deux cent mille francs pour se faire nommer député aux élections dernières, refuse une journée de 2 fr. 50 à 3 fr. au maximum à ses ouvriers. (Bon représentant du peuple!)

Pour se soustraire aux exigences de ses ouvriers lyonnais, il a transporté soixante métiers à tulle à Saint-Vallier (Drôme) où il fait travailler à 40 pour 100 au-dessous des prix payés à Lyon. Que peuvent gagner les ouvriers de Saint-Vallier ?

Ce négociant a toujours été un des plus récalcitrants pour rémunérer ses ouvriers. En 1865, lors de la grande grève des tullistes, les ouvriers avaient obtenu dix-sept signatures sur dix-huit ; lui seul, le plus riche négociant de Lyon, a refusé de signer ; mais comme c’était le plus important, qu’à lui seul il occupait plus de la moitié des métiers de Lyon, ceux qui avaient consenti à signer les maintiens des anciens prix ont dû retirer leur signature.

Pendant combien de temps encore un homme pourra-t-il disposer à lui seul de l’outillage, des moyens de travail est d’existence d’une corporation entière de travailleurs ?

VARLIN

Grève des ouvriers tapissiers de Limoges

La chambre syndicale des ouvriers tapissiers de Paris nous prie d’informer les membres de la corporation, de quelque pays qu’ils soient, que les ouvriers tapissiers de Limoges viennent de se mettre en grève ; et, au nom des principes de solidarité et de fraternité, elle espère que les tapissiers de Paris et autres villes n’accepteront pas les offres de travail qui pourraient leur être faites par les patrons de Limoges.

Grève des carriers de Sussargues (Hérault)

Depuis le 21 mars, les ouvriers carriers de Sussargues (Hérault), ainsi que ceux de St Geniès et de Castries se sont mis en grève dans le but d’obtenir une augmentation de salaire sur la pierre de taille. Sur deux cents ouvriers qui sont parmi les chantiers, il n’y en a plus que cinq à six qui travaillent, c’est-à-dire que la grève est générale.

Dans cette condition, le succès des ouvriers est possible.

Grève des ouvriers tanneurs de Perpignan

Les ouvriers tanneurs de Perpignan, au nombre de 100 environ ont quitté leurs ateliers t se sont mis en grève lundi 21 mars. Ils demandent que leur journée qui est actuellement de 2 fr. 50 soit portée à 3 fr. Les patrons ont refusé cette augmentation.

Le journal l’Indépendant des Pyrénées orientales, qui nous apporte cette nouvelle, espère qu’une entente amiable ne tardera pas à s’établir. Nous la désirons aussi, à la condition qu’elle soit favorable aux intérêts moraux et matériels des grévistes.

A. VERDURE

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Le cortège des lithographes, ouvriers et patrons ensemble, à Strasbourg en 1840 que j’ai utilisé en couverture vient de Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).