Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

111. Dimanche 10 avril 1870

Aucun des deux prisonniers, Rochefort-Dangerville ni Grousset-444 n’envoie d’éditorial, c’est Arnould qui prend la place, sous le titre « Le Droit », avec de fortes paroles,

l’exercice de la souveraineté nationale ne consiste pas, pour un peuple, à se donner un maître ;

annonce encore du poème/chanson de Mathieu dans le journal de demain ;

l’élection du Rhône (Raspail soutient Fonvielle, et il n’est pas le seul) ;

Dépêche télégraphique

Autun, vendredi 8, 6h55 m.

Hier réunion des mineurs. — Les délégués sont acclamés. — La grève est unanimement maintenue.

Les prévenus comparaissent devant le tribunal correctionnel. Ils ont pour défenseurs Me Boysset, du barreau de Châlon et Me Frémont, du barreau de Dijon.

Dans son réquisitoire, le procureur impérial fait l’éloge de l’administration paternelle de M. Schneider. L’auditoire est plus que froid.

La défense est remise à demain.

Grand nombre de soldats et de gendarmes.

Population très sympathique aux prévenus.

puis les « Nouvelles politiques », sachez que M. Schneider reste au Creuzot jusqu’après le vote (on a besoin de lui pour diriger les électeurs du Creuzot), qu’il y a peut-être une grève à Fourchambault et qu’Émile Ollivier a été élu à l’Académie française (qui n’a que ce qu’elle mérite) ;

Morot fait un assez long point sur le fameux « Complot » ;

et Germain Casse continue à suivre « La Chambre » ;

la Commission consultative des sociétés ouvrières s’exprime sur « Les Grèves et la légalité », que je reproduirai ci-dessous ;

de même que je reproduirai la lettre de Malon du Creuzot (du 7 avril) ;

dans le « Bulletin du mouvement social », Verdure revient sur les industriels du Havre et la différence d’attitude entre eux et M. Schneider (voir le journal daté du 2 avril) ;

« Le Père des mineurs », c’est bien sûr M. Schneider, qui fournit le sujet d’un bel article ironique à Georges Sauton ;

dans « La mort et le fisc », Collot raconte l’histoire du citoyen Narcisse Chollet, arrêté en février, condamné pour cris séditieux, qui a contracté en prison un germe qui la fait transporter à Lariboisière, où il est mort, et celle de sa veuve, à qui l’administration réclame 81 fr. 30 c. ;

un entrepreneur cogné par un prince Murat demande à bénéficier de la haute cour contre ledit prince ;

je passe « Les Journaux » ;

mais pas cet entrefilet délicieux signé Collot

Vendredi, 8 avril, à neuf heures du soir, on aperçoit autour de la lune un cercle blanchâtre de 23 degrés de diamètre. C’est le petit halo produit par des glaçons en suspension dans l’air, et présageant probablement une période de froid. C’est le troisième phénomène de cet ordre observé cet hiver à Paris.

eh oui, après les annonces, il y a un compte rendu analytique, passons ;

les « Communications ouvrières » concernent aujourd’hui la chambre syndicale de l’ébénisterie, celle (en formation) des ouvriers charrons du département de la Seine, celle des feuillagistes, fleuristes et plumassiers ;

il y a des réunions publiques ;

une séance abominable contre Maroteau aux « Tribunaux », à laquelle assistait Puissant,

sous nous ne savons quel prétexte le relaxement de M. Maroteau a été remis à deux jours,

les mêmes tribunaux ont à nouveau condamné le jeune Bazire ;

listes de souscription ;

annonces publicitaires, en particulier pour « Le Coup d’état de Brumaire an VIII », de Paschal Grousset, nouvelle édition ;

je passe les théâtres et la Bourse.

Pour une raison qui m’échappe, la lettre de Malon d’aujourd’hui (c’est-à-dire d’avant-hier) ne semble pas avoir été reproduite (par les éditeurs d’œuvres de Malon). Raison de plus pour la publier ici. Mais d’abord la communication de la commission consultative des sociétés ouvrières.

LES GRÈVES ET LA LÉGALITÉ

Communication de la commission consultative

des sociétés ouvrières

De nombreuses grèves ont été déclarées en France depuis un an, et de nouvelles éclatent encore tous les jours ; mais les travailleurs, connaissant mal les limites de leurs droits, il est à craindre que cette ignorance ne les laisse sans défense en face des actes parfois arbitraires de l’autorité, ou bien (ce qui ne serait pas moins fâcheux), ne les porte à compromettre, par quelque violence, — à la grande joie de leurs adversaires, — une cause que la dignité et le calme de ses défenseurs doivent recommander par-dessus tout. Nous pensons donc qu’il est utile de rappeler d’une manière brève et nette quelle est la législation actuelle relativement aux coalitions d’ouvriers.

Toutes les règles peuvent, en définitive, se ramener à une seule : la grève est une lutte pacifique et elle est licite tant qu’elle garde ce caractère.

Ainsi les ouvriers peuvent quitter leurs ateliers soit par groupes, soit en masse et poser à leurs patrons telles conditions qui leur plaisent. Ils peuvent aussi, par des conseils et des exhortations, engager ceux qui travaillent encore à se mettre en grève, ou ceux qui sont en grève à ne pas accéder aux propositions qui leur sont faites. Ils peuvent tout cela et si on inquiète quelqu’un d’entre eux pour un fait de ce genre, quand même il s’agirait d’un promoteur de la grève, d’un chef de mouvement, on le fait contre tout droit et contre toute justice.

Ce qui est prohibé, ce sont les violences exercées soit contre les personnes, soit contre les propriétés. Au surplus, même en l’absence de toute loi, les ouvriers ne manqueront pas de se souvenir que le premier gage donné à l’opinion publique doit être la modération d’attitude et de langage. Le calme n’exclut pas la fermeté, au contraire.

Telles sont les règles générales à suivre.

Il y a encore deux questions qu’il convient d’examiner :

1° Peut-on légalement organiser une société de résistance avec une caisse destinée à soutenir la grève ;

2° Est-il possible, toujours en se conformant aux lois, de faire des assemblées soit en plein air, soit dans un lieu couvert, afin de s’entendre sur les moyens de soutenir et de faire prospérer la grève ?

Ces deux questions se résument, en définitive, à ceci : quelle est en matière de grève, la législation touchant : 1° le droit d’association ; 2° le droit de réunion.

1° Les associations de plus de vingt personnes ne pouvant, à la rigueur, se former sans autorisation du gouvernement, celles qui s’établissent sans cela vivent sous le régime de la tolérance et non sous la protection de la loi. Quant aux caisses formées pour appuyer la grève, si la société qui les alimente est déclarée illicite, elles ne peuvent continuer d’exister ; mais l’autorité n’a pas le droit de les saisir, car ce serait une confiscation et la confiscation et la confiscation a disparu de nos lois.

On peut bien punir les personnes composant la société constituée en l’absence des formalités voulues, mais on ne peut saisir leur propriété. Les fonds appartiennent à ceux qui ont contribué à les réunir ; la distribution ou l’emploi sera affaire intérieure d’arrangement entre eux.
2° Reste à parler de la faculté pour les ouvriers en grève de se réunir accidentellement pour discuter sur leurs intérêts. Il y a, au point de vue légal, une grande différence entre l’association et la réunion. L’association suppose un certain nombre de personnes s’unissant d’une façon durable et constante en vue d’un but à atteindre. Ainsi une société de résistance est une association, et nous venons de voir quelle est sa situation légale. Une réunion, au contraire est une assemblée accidentelle d’individus n’ayant pas de liaisons permanentes et se rencontrant seulement pour discuter des questions d’un intérêt commun.

On peut toujours faire des réunions et aussi fréquentes qu’on le veut, à la seule condition d’observer les formalités que voici : 1° La réunion doit avoir lieu dans un endroit fermé ; elle ne peut se tenir en plein air ; — 2° Il faut qu’une déclaration soit faite à l’autorité par sept signataires quatre jours avant la réunion ; — 3° On ne doit parler ni de questions politiques ni de questions religieuses ; — 4° On doit subir la présence d’un fonctionnaire envoyé par l’autorité.

Moyennant l’accomplissement de ces formalités, la salle de réunion peut être soit ouverte à tout le monde, soit seulement à tous les ouvriers en grève (comme l’on voudra) ; on peut sans pouvoir être gêné y discuter les intérêts du travail et des travailleurs.

Le fonctionnaire qui assiste à la séance ne peut dissoudre la réunion que si elle devient tumultueuse ou si le bureau laisse mettre en discussion les matières prohibées, c’est-à-dire la religion et la politique. Mais il doit préalablement avertir le bureau et c’est seulement si l’on ne tient pas compte de ses avertissements qu’il peut dissoudre l’assemblée. Hors de ces deux cas il ne le peut pas.

Si donc on ne peut, sans autorisation, former une association, on peut, avec de simples déclarations, tenir des réunions aussi fréquentes que l’on veut, et c’est un puissant moyen de s’entendre.

Telle est la situation légale des ouvriers en grève.

On le voit, les violences sont absolument prohibées.

Quant au droit de coalition pacifique, consistant à quitter en masse les ateliers ; à poser aux patrons des conditions arrêtées collectivement entre les grévistes, et à exercer quelque influence par les voies de la persuasion, il est aussi étendu que possible.

La société de résistance n’existe que moyennant une autorisation préalable ou par tolérance, mais on peut facilement faire des réunions publiques et elles sont d’un grand secours.

De plus, il est permis et sans autorisation de nommer des comités composés de vingt personnes au plus, qui resteront en permanence et pourront servir d’intermédiaires entre les patrons et les ouvriers qui les auront nommés.

Telles sont les indications que la Commission consultative peut fournir aux travailleurs. Puissent-elles leur suggérer les moyens de déjouer par une conduite calme et irrépréhensible les vœux secrets de leurs ennemis.

Les membres de la commission :

Muneaux, membre fondateur de la société des lunetttiers ;

Durand, président du conseil d’administration de la société des bijoutiers ;

Bedouche, membre de la chambre syndicale des cordonniers ;

Brudon, président de la société de secours mutuel l’Union ;

Hubert-Valleroux, avocat ;

Godfrin, membre de l’association générale des tailleurs ;

Reignault, président de la société coopérative des horlogers ;

Fornet, membre de la société des bijoutiers en doré ;

Pastelot, président de la Mutuelle de Paris ;

Capron, comptable de diverses associations ouvrières ;

Fougeroux, membre de la société des selliers :

Huguet, membre de la société des graveurs d’architecture ;

Le secrétaire de la commission,

A. VERDURE

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Le Creuzot, 7 avril 1870

Cher citoyen,

Ce matin, il y a eu un peu de mouvement aux puits Saint-Pierre et Saint-Paul ; quelques mineurs voulaient descendre, peu nombreux, il est vrai, mais ils ont dû se retirer devant les reproches des femmes dont l’énergique attitude est toujours l’élément le plus actif de la grève. En somme, celle-ci continue, générale, et rien ne peut faire prévoir une conciliation prochaine.

Les offres de distribution de pain et de lard ne suffiront pas pour jeter la désunion parmi les grévistes ; on fait courir le bruit que les délégués ont reçu des sommes fabuleuses et qu’ils n’en répartissent qu’une partie.

Je n’ai pas besoin de vous dire combien ces récriminations sont calomnieuses ! Je vois de près ces courageux citoyens et rien n’égale leur actif dévouement. Ils remplissent très bien un mandat on ne peut plus délicat.

Les tracasseries dont ils ont à souffrir sont une preuve de plus que, sans le droit absolu de réunion et d’association, le droit de coalition n’est qu’un traquenard.

Aussi, à la réunion de ce soir, s’empresseront-ils de réduire à néant les calomnies dont ils sont l’objet. Ils présenteront au début de la séance un rapport sur leur gestion, et ils demanderont l’adjonction de six nouveaux délégués, ce qui en portera le nombre à treize.

Toute la nuit, des patrouilles de gendarmes ont couru les rues. La brasserie d’Alemanus fils était gardée par cinq gendarmes à cheval ; il s’agissait, paraît-il, de guetter le citoyen Assi, qui est bien loin en ce moment.

Nous avons ici le 46e, le régiment d’Aubin, comme on sait ; le colonel le passe en revue en ce moment sur la place de la Mollette. Les chasseurs de Vincennes manœuvrent sur la place du Marché.

On annonce des départs de troupes pour Autun à l’occasion des jugements de demain. Ces gens-là ont réellement bien peur. De leur côté, un grand nombre de mineurs parlent également d’aller à Autun pour témoigner de leur sympathie à leurs camarades prévenus.

Vous savez que j’irai aussi.

Salut fraternel,

B. MALON

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Le dessin d’Autun (vers 1883) est dû à Auguste Guillaumot, je l’ai trouvé sur Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).