Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

110. Samedi 9 avril 1870

Le numéro 444 envoie de Pélagie ses « Lettres de la Bastille » ;

Claude Gillarda parle d’Ulric de Fonvielle ;

dans les « Nouvelles politiques », Francis Enne s’interroge sur la date du référendum, il l’a déjà dit hier mais comme il insiste je vous le dis, les fils télégraphiques ont été coupés de sorte qu’on ne sait pas ce qui se passe à Barcelone ;

pour son « Courrier politique », Arthur Arnould reprend le titre « La propagande au village » (voir les numéros datés des 17 janvier et 19 mars),

un grand nombre des ouvriers qui habitent Paris sont originaires de la campagne », chacun d’eux, « conquis aux idées républicaines

pourrait se faire

agent démocratique dans son village

en écrivant à sa famille ou ses amis, il fait donc la liste de ce qu’il serait

urgent de bien faire comprendre à nos frères de la province et de la campagne ;

c’est Collot qui s’y colle pour « Le Complot » aujourd’hui, avec une lettre de Brunereau, qui est toujours à Mazas, et une autre de la Veuve Tridon-Morel, à qui la police a essayé assez énergiquement de faire dire où était son fils ;

vous lirez l’article du jour de Malon sur le Creuzot ci-dessous ;

Maillet-Millière nous livre la suite de son article « Question sociale » ;

et Dubuc nous parle des « Femmes du Creuzot », je vous les garde aussi, bien entendu, un bel article bien dix-neuvième siècle ;

dans le « Bulletin du mouvement social », vous lirez que la grève des passementiers lyonnais persiste, que les chapeliers de Givors (Rhône) s’apprêtent à se mettre en grève, mais pas les ouvriers de la Cie de l’Ouest à Sotteville-les-Rouen, alors que les serruriers de Saint-Étienne se sont mis en grève, que les ouvriers peintres en bâtiment de Marseille ont été plus heureux dans leurs revendications que leurs frères de Paris, ce qui

prouve qu’il y a patrons et patrons,

qu’un grand nombre d’ouvriers raffineurs du Havre sont en grève, que les ouvrières en soie de Dieulefit viennent de se mettre en grève… pour obtenir que la journée leur soit payée 1 franc, enfin vous apprendrez aussi que les chassepots ont été utilisés en Bohême contre des ouvriers en grève ;

lisez les « Échos » et vous saurez que le candidat académique Ollivier corrige ses épreuves avec tant de soin méticuleux que cela entraîne une distribution très irrégulière du Journal officiel ;

comme il l’avait annoncé, Louis Noir reprend sa place dans la rédaction du journal et revoilà la « Tribune militaire » ;

un article précise ce qu’est « Le Droit de marque » ;

compte rendu analytique du Corps législatif ;

« Communications ouvrières » aux peintres en bâtiment (voir ci-dessus le commentaire sur leurs frères marseillais), aux membres de la chambre syndicale de l’orfèvrerie, aux ouvriers tailleurs, aux ouvriers gainiers et maroquiniers, aux ouvriers ornemanistes en carton en pierre, aux ouvriers taillandiers, aux ouvriers tailleurs, aux ouvriers galochiers, aux ouvriers riveurs et découpeurs en bourses ;

un entrefilet spécial sur les employés des Halles centrales ;

des réunions publiques ;

il reste un peu de place pour « La Bourse » et les théâtres.

LA GRÈVE DU CREUZOT

Cher citoyen,

M. Schneider s’est souvenu du morceau de lard de Boulogne, et il veut renouveler, sur les mineurs, la tentative qui a si bien réussi sur l’aigle de Louis Napoléon Bonaparte. Ce matin on a dit à un grand nombre de femmes de mineurs d’aller chercher à la mairie des bons de pain et de lard.

Quelques-unes s’y sont rendues, et ont en effet reçu de ces bons signés du curé ; on leur a demandé pourquoi leurs maris ne travaillaient pas, et on a ajouté que s’ils voulaient redescendre dans les puits, on leur donnerait des bons semblables jusqu’à ce qu’ils eussent de l’argent de gagné.

Mais ces femmes courageuses préfèrent les privations à l’aumône et, pour soutenir la lutte, s’en tiennent à l’obole de la démocratie parisienne.

Du reste, l’entrain est toujours le même : la grève est complètement entrée dans sa phase normale. En voyant cette population si digne, si calme, on ne sait vraiment pas pourquoi les places du pays sont transformées en champs de manœuvres où toute la journée évoluent de braves troupiers qui n’en paraissent pas plus contents.

C’est après-demain, vendredi, que le tribunal correctionnel d’Autun prononcera son verdict sur les deux chefs d’accusation imputés au journal le Grelot.

Dans la même audience comparaîtront Alemanus et les mineurs prévenus d’avoir attenté à la liberté du travail. Comme dans le procès, il sera probablement question de la Marseillaise et du Rappel, et que les accusés sont des nôtres, j’assisterai aux débats et vous enverrai de longs détails.

Les ouvriers mineurs seront défendus par Me Charles Boisset [Boysset] du barreau de Châlons [Chalon], et Auguste Frémond [Frémont] du barreau de Dijon.

Les journaux officieux parlent de nombreuses descentes dans les mines ; ce qu’il y a de vrai, c’est qu’une quinzaine de mineurs ont cédé aux obsessions faites auprès d’eux ; les autres ne veulent pas se soumettre aux impitoyables vengeances qui les attendent, s’ils rentrent sans avoir fait reconnaître leurs droits.

Vous avez publié l’histoire du gendarme qui a souffleté la citoyenne Parise. On a d’abord cru que le gendarme allait être destitué, mais les reporters officieux ont changé tout cela ; maintenant, c’est le gendarme qui a été battu, maltraité, et qui est encore malade des suites de ses blessures.– Allons, on lui donnera la croix.

Des occupations imprévues me font ajourner les renseignements que je voulais vous communiquer sur les conditions du travail au Creuzot.

La réunion des mineurs est autorisée : elle aura lieu demain soir, jeudi, à sept heures, salle du théâtre.

Une dernière nouvelle qui ne vous étonnera pas : l’un des délégués, Defaille, avait un fils à la forge ; M. Schneider a cru devoir se venger du père sur le fils ; ce jeune homme a été renvoyé hier soir.

Salut fraternel.

B. MALON

P.S.— Le comité a reçu votre premier envoi ; on me remet pour vous la note suivante que je joins à ma lettre.

B.M.

Nous avons reçu les 1,000 francs de la Marseillaise. Au nom des mineurs que nous représentons, nous remercions les frères de Paris de ce qu’ils font pour nous venir en aide et pour soutenir une cause qui est celle de la Démocratie tout entière.

Pour le comité des mineurs,

REVILLOT

LES FEMMES DU CREUZOT

On a vu par les lettres que nous avons publiées avant-hier quel rôle énergique les femmes ont pris dans le drame qui se dénoue en ce moment au Creuzot.

Rien ne prouve plus victorieusement que les idées révolutionnaires, dans l’acception la plus sociale, ont conquis à leur propagande ces gardiennes du foyer.

Qu’elles reçoivent donc l’expression de nos remerciements sincères ; en présence de leur fermeté et de leur courage, nous augurons le succès.

À toutes les époques de crise et de transformation sociale, il en a été de même, et cela est de toute justice : celles qui enfantent les hommes ne peuvent se désintéresser des événements. Ce sont elles qui, le 5 octobre 1789, en organisant contre Versailles l’expédition de la faim, ont précipité les résolutions de l’Assemblée hésitante, ce sont elles qui ont fait le 10 août 1792, et que nous retrouvons à tous les moments graves de notre histoire révolutionnaire, encourageant les hommes par leurs paroles et par leurs exemples.

Il est vrai que la réaction triomphante les a replongées sous le joug du prêtre, et que l’éducation qu’on leur a infligée n’a jamais eu d’autre but que de les hébéter afin qu’elles se résignent docilement au double emploi que la société moderne entend leur imposer.

La prostitution réclame les plus belles filles de nos campagnes et des villes pour les plaisirs des riches ; les autres doivent se réduire à être les pourvoyeuses des armées permanentes.

Vendre l’amour, ou enfanter de la chair à canon, voilà ton rôle,

a dit la société ; et l’éducation cléricale armée de toutes ses intimidations, ajoute :

Résigne-toi, et sois notre complice ; tu trahiras ton mari, tu nous dénonceras ses secrètes aspirations, tu nous donneras tes enfants que nous rendrons dociles comme toi-même.

Il faut que le sentiment de la justice et de la dignité humaine soit bien indestructible pour surgir tout à coup et tout armé dans le cerveau de ces femmes du peuple, reléguées au rang d’esclaves, et c’est dans la lutte quotidienne, dans les longues méditations près du foyer sans feu, près de la huche sans pain, en compagnie des enfants affamés et malades, que la femme a senti en s’élever en elle ce cri de révolte suprême.

L’ouvrier, et surtout le mineur, cet ilote, a le travail sans trêve et sans repos, le travail absorbant qui fait couler la sueur et le sang, et en tuant le corps, tue la pensée.

Contraint par l’augmentation du prix des denrées et la diminution des salaires de donner, sans marchander, sa vie entière pour nourrir les siens, il s’ensevelit dans son travail comme dans un linceul, et s’il s’oublie parfois, — et nous n’avons pas le courage de lui en faire un crime, — c’est en trinquant le dimanche avec un ami, aussi misérable que lui-même.

La femme pense et administre la maison, les enfants vont augmentant, le pain est cher, il n’y en aura bientôt plus pour tout le monde, l’homme se fatigue, il n’en a plus pour longtemps et lui mort, ou infirme, que restera-t-il ? — Le bureau de bienfaisance.

Et la fille ? — On la prendra pour en faire une servante ou pis encore. Et le garçon ! — On l’enverra se faire tuer au Mexique ou ailleurs, ou bien soldat, il tuera son frère. Cela doit-il donc être toujours ainsi ?

C’est alors qu’elle dit à l’homme :

Va, pose là ton outil ! Tu as lutté avec ton travail, nous allons lutter, nous, avec la misère ! Celle-là, nous la connaissons, un peu plus, un peu moins, nous n’y perdrons rien ; il y a de l’herbe aux champs, et le soleil nous réchauffe ! Après, nous verrons ! si l’on fait venir les soldats, nous irons à eux et nous leur dirons :

« — Allez-vous tuer des femmes qui ressemblent à vos mères et à vos sœurs ?

Voilà pourquoi à Seraing, les femmes, à coups de fourches, se sont battues avec les carabiniers belges.

Pourquoi à Aubin elles ont crié : À bas Tissot ! et nous demandaient à nous-mêmes : Asporta vous la Respublica ?

Pourquoi, à la Ricamarie, elles escortaient sur la crête du Brûlé un convoi de prisonniers, réclamant avec des sanglots leurs maris et leurs fils ; et pourquoi on a donné deux coups de baïonnette dans le ventre et un coup d’épée dans la bouche de l’une d’elles, qui, à genoux, sanglotait plus fort que les autres !

Voilà encore pourquoi au Creuzot elles se sont jetées devant un train qui se mettait en marche, préférant se faire écraser plutôt que d’abandonner leurs camarades.

L’homme sera fort, lorsque la femme au lieu de le retenir le poussera en avant.

C’est la femme qui est l’éducatrice de la famille ; on lui a demandé de former des esclaves dociles, qu’elle réponde en élevant des citoyens !

ACHILLE DUBUC

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Le dessin à la mine de plomb du Creuzot date du dix-neuvième siècle (sans plus de précision) et vient de Gallica, là.

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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).