Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

117. Samedi 16 avril 1870

Arnould commence par rendre compte d’une réunion entre les membres de la gauche et les représentants de la presse démocratique, d’où il est ressorti qu’un manifeste devrait être rédigé, qui

se bornerait strictement à combattre le plébiscite […] en évitant avec soin de formuler une profession de foi républicaine,

le représentant de la Marseillaise s’est donc abstenu ;

plébiscite et remaniements ministériels dans les « Lettres de la Bastille » du numéro 444 ;

Ulric de Fonvielle remercie ses électeurs du Rhône ;

les « Nouvelles politiques » le sont (politiques) ;

« Silence aux femmes », un beau titre pour un petit article d’A. de Fonvielle,

Après avoir imposé silence aux hommes, on impose le mutisme aux femmes,

écrit-il sans rire, en réalité il proteste surtout contre les dernières poursuites contre le journal, sous prétexte de l’adresse des citoyennes de Lyon (voir le journal d’hier) ;

le « Courrier politique » d’Arnould me semble plus sérieux (voir ci-dessous) ;

je garde aussi bien sûr la lettre de Malon sur la grève du Creuzot avec les commentaires de Dubuc (ci-dessous) ;

Morot rapproche le vote du Rhône et le plébiscite ;

le « Bulletin du mouvement social » informe sur l’organisation des ouvriers de Lille, sur la grève des ouvriers tailleurs de pierres de Lucenay (Rhône), et sur celle de Fourchambault (voir ci-dessous) ;

dans « Les Journaux », Alphonse Humbert cite une belle oraison funèbre prononcée par Victor Hugo à Guernesey, je vous passe le reste ;

suivi du septième article sur la question des chemins de fer… qui n’est pas d’Antoine Arnaud, mais d’employés de la PLM qui envoient une lettre d’un ingénieur ;

voir ci-dessous le compte rendu de la réunion sur « les grèves » dans la salle de la Marseillaise ;

il y a des annonces ;

du « Corps législatif » ;

une communication ouvrière sur la Marmite ;

des réunions publiques ;

des listes de souscription ;

la Bourse ;

les « Tribunaux » parlent d’un prêtre à la bourse, justement ;

et les théâtres.

COURRIER POLITIQUE

Décembre !

Eh bien, voilà la comédie parlementaire et libérale finie.

Elle a duré environ trois mois, sur l’affiche.

Ceux qu’on était convenu d’appeler les honnêtes gens du ministère, ont quitté le ministère, et nous nous retrouvons, gros Jean comme devant, en face d’Ollivier seul, du plébiscite et du coup d’État.

Les journaux du libéralisme impérial et du parlementarisme bonapartiste en sont à chercher le moyen de couvrir leur retraite et de cacher leur défaite risible, pendant que, de leur côté, les hommes de l’empire s’efforcent en vain de dissimuler leurs inquiétudes.

En effet, il était dans le plan de la dictature de conserver jusqu’après le plébiscite son faux nez parlementaire et la complicité des libéraux royalistes de la rue de Poitiers.

Le lendemain, l’empire se réservait de les jeter à la porte et de reprendre sa vieille allure de Décembre.

Le brusque départ de MM. Buffet et Daru démasque ses intentions, découvre son piège et ne laisse plus aucune illusion possible.

Ces messieurs, en se retirant, déclarent nettement de quoi il s’agit, et dénoncent le complot à cette portion du pays qui voyait une garantie dans leur présence aux affaires.

Cela est vexant, et nous comprenons la sourde irritation de l’empire forcé d’abattre son jeu et de jouer cartes sur table.

Il ne peut plus s’abriter derrière aucun malentendu, derrière aucune complicité, — il reste seul, absolument seul, avec son Ollivier ; — et les libéraux modérés qui emboîtaient le pas à la suite des deux ministres honnêtes gens, de même que les naïfs et les trembleurs qui voulaient croire à une évolution définitive de l’empire, à sa conversion aux idées parlementaires et constitutionnelles, dissimulent à grand peine leur dépit.

Ollivier et son maître, de leur côté, ne pardonnent pas à leurs dupes d’avoir découvert, avant l’heure fixée, le pot aux roses du nouveau coup d’État plébiscitaire.

Ainsi, au moment même où l’empire convoque le peuple, la situation reprend toute sa netteté.

On savait que l’empire n’était pas et ne serait jamais la démocratie.

On sait maintenant qu’il n’est et ne sera pas non plus la monarchie pondérée, gouvernant légalement avec le concours de la haute bourgeoisie.

Il devient aussi clair que le jour que ses avances à l’orléanisme n’ont été qu’une ruse grossière, — bientôt dépistée par les orléanistes eux-mêmes.

Ce que nous avions annoncé, dès le premier jour, s’est donc réalisé de point en point, — sauf ce détail, tout à l’avantage de la démocratie, — que les orléanistes ont flairé le danger deux semaines trop tôt… pour l’empire, et se voyant refaits, s’en vont avant qu’on les remercie.

La situation est donc bien telle que nous pouvions la souhaiter : — C’est le coup d’État pur et simple, sans aucun mélange bâtard, de nature à tromper les ignorants ou les niais, qui se représente devant le pays livré à la pression des six cent mille fonctionnaires mis en branle par le ministère Ollivier.

Quel autre gouvernement que le coup d’État, — à la veille de consulter le suffrage universel, — oserait fermer le parlement, réduire au silence et à l’impuissance les quelques élus du peuple qui pouvaient dénoncer les manœuvres des fonctionnaires impériaux, éclairer la nation, du haut de la tribune, sur ses droits et ses devoirs ?

Quel autre gouvernement que le coup d’État oserait s’en prendre à des femmes, frapper de malheureuses créatures affamées et désespérées, pénétrer dans la chaumière d’où il a déjà arraché le père, pour y enlever la mère, — comme il le fait au Creuzot ?

Qui oserait contraindre de pauvres ouvrières à quitter leur foyer, à laisser leurs enfants à l’abandon, à prendre le prix du pain pour se rendre à cinq lieues de là, à Autun, près d’un juge d’instruction ?

Qui oserait poursuivre un journal pour avoir publié la protestation, l’encouragement des ouvrières de Lyon, aux ouvrières du Creuzot ?

Qui oserait transformer en délit les paroles de sympathie et de détresse de quelques courageuses et honnêtes citoyennes, mères de famille, tendant la main à d’autres mères de famille, épouses envoyant le salut fraternel à d’autres épouses, serves de la misère et du travail, disant à d’autres serves du travail et de la misère : — Courage, — espoir !

Qui oserait avouer qu’il a peur même des femmes, et que l’expression des sentiments les plus naturels à l’humanité est un crime à ses yeux ? — si ce n’est le gouvernement qui a frappé un représentant du suffrage universel, pour un cri de douleur et de colère poussé sur la tombe d’un ami, — qui a déporté Pauline Rolland et tant d’autres citoyennes coupables d’aimer la justice, d’avoir défendu la loi ; — qui oserait tout cela, — si ce n’est le coup d’État, si ce n’est Décembre, toujours vivant, toujours menaçant ?

ARTHUR ARNOULD

LA GRÈVE DU CREUZOT

Le Creuzot, le 13 avril 1870

Cher citoyen,

Ce matin, la terreur aidant et la misère les poussant, un certain nombre de mineurs sont descendus dans les puits. On a répondu à la plupart d’entre eux qu’on n’avait pas besoin de leurs services, on veut les forcer à implorer du travail, car il est bon de remarquer que les galeries sont vides. Malgré tous ses efforts, M. Schneider n’a pu attirer des mineurs de l’étranger. Un peu partout, l’Internationale y a mis bon ordre, ensuite les grèves récentes de presque tous les mineurs européens ont développé chez eux des sentiments de solidarité dont les exploiteurs auront difficilement raison, et les défaites partielles que, depuis un an, nous avons eu le regret d’enregistrer, ne sont que des suspensions d’armes après un combat malheureux. Les vaincus reprendront des forces.

Cependant la grande majorité ne veut pas s’avouer vaincue et se montre plus décidée que jamais. « Nous sommes toujours en pleine grève, disent-ils, et nous ne céderons pas. » Beaucoup de mineurs ne descendront plus dans les galeries ; ils ont vu le soleil, selon leur pittoresque expression ; ils ne veulent plus le quitter. Quelques-uns sont déjà partis pour St-Étienne où l’on reçoit pour dix heures de travail un plus fort salaire qu’au Creuzot pour douze heures, et où surtout on est bien moins maltraité.

Rendre enviable le sort des victimes de la Ricamarie, voilà ce qui n’était possible qu’à M. Schneider ; il est juste d’ajouter qu’il a parfaitement réussi à le faire. Les autres, les plus robustes, s’en vont prendre le travail des champs, bénissant la grève qui leur a rendu le sentiment de la liberté.

Si la grève échoue il faut s’attendre aux plus implacables vengeances de la paternelle administration. Ceux que leur position force à se remettre sous le joug ne regardent l’avenir qu’avec une terreur bien légitime, car ce qui se passe aux ateliers en ce moment ne les confirme que trop dans leurs craintes. Je vous ai déjà parlé de ce procédé par lequel Schneider comptait faire payer aux ouvriers, par une diminution hypocrite des salaires, les pertes qu’a causées son cruel entêtement. Ce procédé existe en grand dans tous les métiers.

On me cite des faits de diminution de 11 francs sur un travail aux pièces estimé autrefois 30 francs. Les ouvriers s’exténuent et ne peuvent plus parvenir à faire sortir leur journée. Les renseignements que je vous prépare, par de laborieuses recherches, édifieront complètement vos lecteurs sur ces déloyales pratiques industrielles dont on ne voit d’exemple dans aucun pays.

Une particularité étrange : le bruit s’est répandu que M. Schneider était alité. En voyant, ce jour-là, les figures rayonnantes, j’ai pensé à la joie qu’éprouva la France tout entière en apprenant la mort de l’exécré Louis XIV.

Les autorités de Montcenis commencent à déployer « l’activité dévorante » que M. Ollivier réclame pour son plébiscite.

Ici on peut compter sur l’abstention.

Les ouvriers de M. Schneider se souviennent des scrutins trompeurs auxquels on les a si souvent conduits ; et tout ce qui n’est pas livré pieds et poings liés à l’usine s’abstiendra de voter.

Quant aux aspirations de forme, la première de leurs aspirations est la fin de leur misère, qu’ils ne peuvent entrevoir que dans la fin d’un régime qui les a si longtemps opprimés, et ils considèrent l’avènement de la République comme le triomphe de la justice et de l’égalité.

L’un des curés du pays disait l’autre jour en chaire que les grévistes avaient mérité les galères, ce curé connaissait son Marcoutre [Marcouire]. Les démocrates du pays ont répondu en organisant pour vendredi un banquet socialiste de libre penseurs, auquel assisteront un grand nombre de citoyennes.

Les condamnés d’Autun sont arrivés à Dijon, hier, à six heures du matin, LES MENOTTES AUX MAINS.

Ils se sont écriés : « Nous ne sommes pas des galériens mais des ouvriers du Creuzot ! » — Ils ont été acclamés.

Nous croyons cependant devoir dénoncer ce fait d’ouvriers malheureux traités en galériens.

Pauvres gens ! Les insultes qui leur ont été prodiguées à l’audience ne suffisaient pas.

Nous aurions sur ce sujet beaucoup à dire, mais devant nous borner, nous rappellerons seulement, entre autres faits, qu’après les éloquentes plaidoiries des deux défenseurs d’office, Mes Barron et Gois, les débats ont été clos ; et Alemanus qui devait à la fin des plaidoiries donner quelques explications à M. Boysset, n’a pu les donner, et par conséquent, n’a pu se défendre.

Vous remarquerez aussi que d’après le ministère public lui même, Signovert [Seignovert] (3 ans de prison) n’a commis d’autre crime que d’avoir dit à un employé chef des ouvriers : « Si vous étiez à St-Étienne, on vous jetterait dans un puisard. »

On n’a pu rien relever contre les deux Mougenot, Jordery [Jordhery], Delay [Dulay] — et cependant…

Je ne reviens pas sur les scènes de désespoir qui suivirent la condamnation, mai je tiens à vous dire un mot encore de l’attitude de ces courageux prolétaires. Pendant l’interrogatoire, croyant encore à la justice, ils ont loyalement reconnu tout ce qu’il y avait de vrai dans l’accusation et ont nié le reste avec une noble énergie. Six d’entre eux, qui n’étaient pas en prévention, se sont loyalement rendus à l’audience, excepté Lamolle [Lamalle] qui, voyant la tournure de l’affaire, est resté dans la salle sans se faire connaître, et n’a pas été pris.

Les témoins, presque tous agents gradés de l’usine ou agents de police se sont laissés entraîner aux plus regrettables excès de langage. Ils disaient : Ces gens-là, parlant des ouvriers. Je ne connaissais pas ces gens-là, mais je reconnais celui-là et encore celui-là.– Ces gens-là, nos frères, aux yeux des agents de M. Schneider, ne méritent pas qu’on daigne les appeler par leur nom.

L’un de ces témoins, le nommé Villain, le même qui a chargé Camberlin et Lamolle, et leur a valu, pour avoir quitté le travail, deux ans de prison, parlait ainsi : « J’aperçois la populace ouvrière, j’envoie chercher la troupe… » Dans une correspondance antérieure, je demandais si M. Schneider avait le droit de commander la troupe, il paraît que ses plus infimes subalternes ont le droit de la requérir.

Et voila par quels moyens nos amis sont traînés d’Autun à Dijon, les menottes aux mains, comme de vils malfaiteurs.

Ces martyrs du travail souffrent pour la cause de la dignité humaine et de la justice ; les sympathies de la démocratie les accompagnent. L’Association internationale, la Marseillaise, leurs frères de tous les pays ont adopté leurs enfants, et le persécuteur du Creuzot n’aura pas la triste jouissance de voir les enfants sans pain et les femmes désespérées.

La fraternité sociale allégera leurs misères, en attendant le jour de la revendication.

Les mineurs que j’ai pu voir aujourd’hui sont très reconnaissants des témoignages de sympathie qu’ils reçoivent de tous côtés et ils se disposent à répondre à tous.

Le septième envoi de 1,000 fr. de la Marseillaise a été reçu ce matin.

À ce propos, je dois vous dire que les mouchards de l’usine ont fait courir des bruits calomnieux sur les délégués au sujet de la distribution de l’argent. Ces derniers m’ont prié de vérifier leurs comptes, ce que j’ai fait, en présence de cinq personnes honorables. Nous les avons trouvés exacts.

À vous,

B. MALON

Les élections du conseil municipal approchent ; quelques amis d’Assi qui, comme vous le savez, a dû fuir à l’étranger, me demandent s’il ne peut pas rentrer en France, au Creuzot même, n’ayant pas été poursuivi dans l’affaire d’Autun. Ils ajoutent, qu’à moins que M. Schneider n’ait le pouvoir de faire lancer des lettres de cachet contre tel citoyen qui lui déplaît, Assi doit pouvoir venir ici appuyer la candidature à la municipalité qui lui sera offerte.

Vous obligeriez beaucoup de Creuzotiers en répondant sans retard dans la Marseillaise. — B.M.

Incontestablement, le citoyen Assi peut rentrer en France, au Creuzot, et il doit défendre par tous les moyens légaux la candidature qui lui est offerte.

Maintenant sera-t-il arrêté ?

M. Schneider gouvernant, nul ne peut nier cette éventualité, ou plutôt cette probabilité.

Assi a eu l’honneur d’être une des causes de la première grève ; celle-ci n’a donné lieu à aucune action judiciaire ; il n’en saurait être question.

Mais depuis, Assi, qui n’est pour rien dans la seconde grève, est candidat au conseil municipal, c’est aussi le principal grief qui se dressait contre Alemanus.

Ce n’est pas à nous, dont les amis sont depuis deux mois et demi au secret, sous la prévention d’un complot imaginaire, qu’il appartient de dire qu’on ne peut pas arrêter un citoyen contre lequel ne s’élève aucune charge.

Toutefois, comme M. Bernier n’a pas encore jeté les yeux sur le Creuzot, et que l’on peut espérer trouver des juges à Dijon, nous répondrons à Assi qu’il est de son devoir de répondre à l’honneur que lui font ses concitoyens, et qu’il appartient aux électeurs du Creuzot de voter selon leur droit et les intérêts bien entendus de leur commune.

ACHILLE DUBUC

BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL

La grève de Fourchambault, de Torteron et de la Pique

L’Impartial du Centre, de Nevers, nous apporte aujourd’hui des détails circonstanciés sur la grève générale qui vient d’éclater à Fourchambault, Torteron et la Pique.

Le travail a complètement cessé dans les usines de Fourchambault.

D’un autre côté, les ouvriers mineurs de Torteron (Cher) quittaient, hier matin, leurs travaux et se mettaient en marche dans la direction de Fourchambault. Arrivés au pont de cette ville, au nombre de 1,500 à 1,800, ils jetèrent les bâtons dont ils étaient munis et se disposèrent à traverser. Mais les grilles étaient fermées et gardées par un piquet d’infanterie. On a craint, un instant, une collision entre ouvriers et soldats. Cette crainte ne s’est heureusement pas réalisée. Il n’y a pas eu, d’ailleurs, beaucoup de résistance pour empêcher le passage, et les grévistes ont pénétré dans la ville en criant : Vive la troupe !

La plupart de ces pauvres diables, venant de 18 ou 20 kilomètres, étaient exténués de fatigue et de faim.

Ici un petit épisode qui nous paraît mériter une mention.

Au moment où quelques-uns de ces hommes « berrichons, » comme on les appelle, passaient devant un café-restaurant, la dame de l’établissement les invita à rentrer. — Refus des « berrichons, » qui disent n’avoir pas d’argent. Cependant, sur l’insistance de la dame, ils se décident à accepter un peu de nourriture. « Et maintenant, leur dit la dame, qu’allez-vous faire et où allez-vous ? — Nous ne pouvons vivre chez nous, répondent-ils, nous allons tâcher de vivre ailleurs ; puisque nous avons commencé, nous irons jusqu’au bout. »

Ces malheureux mineurs ne gagnent que 1 fr. 25 par jour.

Deux heures, mardi. — 800 ou 1,000 grévistes environ partent pour Nevers, dans le but d’engager les ouvriers de la Pique (dépendance de Fourchambault) à se joindre à eux.

M. le premier adjoint de Nevers et M. le commissaire de police se portent à leur rencontre et les prient de ne pas continuer leur route vers la Pique et de retourner à Fourchambault. « Vous avez le droit de vous mettre en grève, leur disent-ils, mais votre devoir est de rester chez vous. » Mais les grévistes persistent à se rendre à la Pique. Arrivés à cet établissement, ils en trouvent les portes ouvertes et y pénètrent. M. le directeur avait donné congé à ses ouvriers, et nous croyons qu’il avait agi sagement. Les grévistes n’ont alors stationné que peu de temps à la Pique, ont traversé la ville dans le plus grand ordre, et, après avoir fait une halte sur la place de la Halle, sont repartis pour Fourchambault, en chantant la Marseillaise.

Nous avons dit hier pourquoi les ouvriers de Fourchambault se sont mis en grève, voici d’après l’Impartial, ce qu’ils demandent :

Pour le travail de la Fonderie :

Réduction de la journée de travail de 11 heures à 10 ;

Augmentation du prix de la journée, savoir : pour les ouvriers, 5 fr. ; pour les aides ouvriers, 4 fr. : pour les hommes de peine ou manœuvres, 3 fr. ; pour les jeunes gens de 16 à 18 ans, 2 fr.

Heures supplémentaires, 1/3 en plus ;

Abolition du travail aux pièces.

Pour le travail de l’usine à fer :

Suppression du travail au mille ;

Réduction de la journée à huit heures, et le reste comme pou le travail de la fonderie.

En outre ils demandent :

Que la paie ait lieu tous les quinze jours et non tous les mois ;

Que la caisse de secours soit gérée par eux ;

Que le choix du médecin leur soit laissé.

Une lettre contenant les divers chefs de demande qui précèdent a été remise à M. le directeur des établissements de la société Boigues et Rambourg.

Comment les administrations de l’usine reçurent-ils ces réclamations ? Qu’ont-ils fait pour arrêter les hostilités ? les délégués des ouvriers ont trouvé leurs patrons insensibles à leurs plaintes et ont dû se retirer sans avoir obtenu et sans que l’administration ait manifesté le moindre désir de conciliation.

Lundi soir, M. le préfet s’est rendu à Fourchambault. Qui a-t-il vu ? A-t-il essayé de parlementer avec les ouvriers ? A-t-il fait entendre le langage de la raison, de la sagesse, de la conciliation ?

Il a parlé de désordres commis, d’atteintes portées à la fortune particulière et à la propriété de l’État ; il a fait entrevoir les rigueurs, les châtiments, qui attendent les ouvriers convaincus de contraventions à la loi. « AUCUN GOUVERNEMENT N’A FAIT PLUS POUR LES CLASSES POPULAIRES QUE CELUI DE L’EMPEREUR, » a dit, en terminant sa proclamation, le premier magistrat de la Nièvre.

Les ouvriers d’Aubin, de la Ricamarie et du Creuzot savent à quoi s’en tenir sur la prétendue sollicitude du gouvernement impérial pour les travailleurs ; puissent ceux de Fourchambault en être épargnés.

La grève des ouvriers de la société Boigues, Rambourg et Ce est due à l’imprévoyance, aux procédés arbitraires de l’administration de l’usine et aux mesures provocatrices de l’autorité. M. le préfet aurait mieux fait d’adresser ses admonestations aux directeurs de l’établissement, les seules causes du désordre.

Suivant les errements habituels en pareille circonstance, des troupes sont de tous côtés dirigées sur Fourchambault.

Le général de brigade Sanglé-Ferrière, commandant la subdivision de Nevers, s’est rendu sur les lieux avec un bataillon d’infanterie.

Le général de Polhes, commandant la division à Bourges, est arrivé hier.

Le 27e de ligne est parti de Lyon par un train spécial pour la même destination. Un régiment de lanciers a été expédié de Moulins à marche forcée, pour le même lieu.

Espérons que par la modération et la dignité de leur conduite, les ouvriers rendront inutiles ce ridicule déploiement de forces du pouvoir.

A. VERDURE

Réunions publique

SALLE DE LA MARSEILLAISE

Séance du 13 avril

Ordre du jour : les grèves

La séance est ouverte à 8 heures 3/4.

La salle est comble ; plus de cinq cents personnes ne peuvent trouver place.

À l’unanimité, Rochefort est nommé président honoraire. Le bureau est composé des citoyens Varlin, président effectif ; Tolain, Dumont et Rocher, assesseurs.

Le citoyen Giout prend la parole et développe cette thèse que le travailleur est encore plus malheureux que le prisonnier, car il use son intelligence à faire bénéficier de leur peine le capitaliste qui ne songe, lui, qu’à accroître son capital.

Le citoyen Mathorel propose que chaque ouvrier sacrifie une journée de travail par mois pour venir en aide aux victimes du Creuzot.

Le citoyen Frankel invite les travailleurs de tous les pays à s’unir. Abordant ensuite la question de la grève, il montre qu’elle a pour but d’augmenter le salaire et de diminuer la durée du labeur. Depuis trente ans, le salaire — il le reconnaît — a augmenté dans la proportion de 17 pour 100 ; mais aussi, en même temps, le prix des consommations s’est augmenté de 45 pour 100. Si la Révolution de 89 a fait disparaître les maîtrises, elle a constitué la bourgeoisie, nouvelle féodalité qui n’est pas moins fatale au peuple que ne le fut la noblesse. Il termine son discours en disant que le travailleur a le droit de réclamer ce qu’on lui a volé, et qu’il espère voir bientôt le triomphe de la société démocratique et universelle.

Le citoyen Lefrançais vient faire quelques observations sur le procès d’Autun, — observations qui lui attirent deux avertissements du commissaire de police — il croyait, dit-il, avoir le droit de parler incidemment du procès ; mais, puisque ce droit lui est contesté, il préfère abandonner ce sujet pour éviter la dissolution de la réunion.

L’orateur traite ensuite le sujet à l’ordre du jour et démontre que, plus l’industrie se développe, plus la vie des travailleurs devient difficile au point de vue moral et matériel.

Le citoyen Tolain succède au citoyen Lefrançais. Suivant lui, il serait utile que la grève prît un caractère de généralisation. Il s’élève avec une grande force contre les monopoles et les privilèges ; il démontre les abus du papier monnaie à propos duquel on prélève des escomptes s’élevant jusqu’à 36 p. 100. Il montre les Pereire ayant la main dans cinquante compagnies financières, les Rothschild en accaparant trente-six ; il dévoile les tripotages des mines d’Aubin, l’exploitation effrontée des mineurs, les soumissions furtivement manigancées sous la cheminée, etc., etc. Ce qui reste à faire aux ouvriers, c’est de s’unir par la solidarité pour sauver la propriété nationale.

Le citoyen Rocher rappelle qu’en 1852 il se trouvait au Creuzot et que les ouvriers gagnaient alors seulement 90 centimes par jour ; que là est l’origine de ces fortunes scandaleuses fondées sur l’exploitation et la ruine du peuple. Pour faire cesser cet état d choses, il est indispensable que les travailleurs se groupent. Une section de l’Internationale vient de se former dans le quartier Mouffetard, il invite les citoyens de ce quartier à s’affilier à cette société.

Le citoyen Vivier voit, dans la formation des chambres syndicales, le seul moyen de changer l’état actuel des choses. Ces simples paroles donnent lieu à un troisième avertissement du commissaire de police, qui prononce la dissolution de la réunion.

Le citoyen Tolain invite l’assemblée à se retirer en silence. On se sépare aux cris de vive Rochefort.

COLLOT

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Je n’ai pas de source pour la photographie reproduite ici — et je ne suis même pas certaine qu’elle représente effectivement Leo Frankel, merci d’avance pour toute information!

Ajoutée le 24 mars 2019, l’information demandée, envoyée par Julien Chuzeville:  C’est bien Frankel, puisque la même illustration figure dans le Neues Politisches Volksblatt du 4 mars 1881, fac-similé dans Magda Aranyossi, Leo Frankel, Dietz Verlag, 1957, entre les p. 208 et 209. Merci Julien!

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).