Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

119. Lundi 18 avril 1870

C’est le tour du numéro 444 et de ses « Lettres de la Bastille », que nous trouvons donc aujourd’hui en éditorial ;

dans les « Nouvelles politiques », le banquet offert par la presse républicaine de Paris à la presse républicaine des départements, avec ses toasts (et, quand même, 154 francs collectés pour les familles des détenus politiques), la scission de la « gauche » sur la question d’un manifeste antiplébiscitaire, les soldats partis pour Fourchambault aux cris de Vivent les ouvriers (une information publiée avec réserve, voir aussi l’article sur Fourchambault ci-dessous) ;

au Creuzot, les grévistes ont perdu, vous trouverez la lettre de Malon et toutes les informations ci-dessous ;

le poème de Gustave Mathieu, il est dans l’image ci-dessus (et aussi ci-dessous, si vous voulez la grossir) ;

les « Gourdins réunis » se reforment à Nevers contre les grévistes de Fourchambault ;

la « Question sociale » de Millière-Maillet revient sur la constitution et ce qu’une assemblée peut en faire — la souveraineté du peuple en 1848 ;

Verdure, lui, dirige sa réflexion, encore une fois, sur « Le socialisme au village » ;

et dans le « Bulletin du mouvement social » nous informe sur la grève de Fourchambault (voir ci-dessous) ;

dans « Les Journaux », il est question de Gustave Mathieu, et, pour finir,

Ce matin, à huit heures, un commissaire de police, escorté de plusieurs agents, s’est présenté aux bureaux de la Rue et a saisi sur les presses le numéro 28, que l’on tirait encore. Une voiture emportant plusieurs milliers d’exemplaires, avait été arrêtée dès six heures, dans la rue d’Aboukir.

Saisi avant d’avoir paru ! avant même que le dépôt eût été effectué ! Oui ou non y a-t-il des lois en France, pour protéger la propriété des citoyens ? Si oui, qu’on les applique!

eh oui, le dépôt n’a pas été fait, et voilà pourquoi la collection de la BnF s’arrête au numéro 27 ;

il y a des « Échos » ;

et même quelques « Faits divers » (si je ne me trompe pas, la rubrique avait disparu depuis le 29 mars !) pas très gais ;

il y a eu un banquet de libres-penseurs à Saint-Mandé, d’ailleurs Francis Enne y était, un autre à Belleville (y aurait-il deux sortes de libre-penseurs ?), et encore un banquet de deux cents amis de Léo Meillet ;

le citoyen Grandet a été enterré, il avait vingt-neuf ans, il avait été arrêté en février et conduit malade à Mazas, la famille, décision arbitraire méprisant la volonté de toute sa vie, l’a fait enterrer par des prêtres catholiques, nous dit Achille Dubuc ;

en « Variétés », l’anniversaire de la naissance de Fourier (il aurait eu quatre-vingt-dix-huit ans le 7 avril), est célébré par un discours de Considerant ;

Ranc a vu au théâtre l’Arracheur de dents, il regrette bien que cette pièce, d’une honnête médiocrité, n’ait pas pris comme sujet, par exemple, un certain Dubuc (mais ce n’est pas le nôtre) ;

il y a des réunions publiques ;

des souscriptions ;

la Bourse est en hausse, va savoir pourquoi ;

il y a aussi des théâtres.

LA GRÈVE DU CREUZOT

Le Creuzot, le 15 avril 1870

Cher citoyen,

Par les deux pièces que je vous transmets vous verrez que la résistance ouvrière est malheureusement vaincue par le maître du Creuzot. La première de ces pièces devait être affichée ce matin ; naturellement les subalternes de M. Schneider ne l’ont pas permis.

Le 14 avril au soir.

Aux ouvriers mineurs du Creuzot

Chers camarades,

Après 23 jours d’une lutte inégale, nous sommes vaincus. Nous vous invitons donc tous à retourner dans les puits.

N’augmentez pas, par une plus longue absence du travail, la misère qui va résulter des condamnations prononcées et des nombreux renvois qui nous attendent.

Les sommes qui nous restent entre les mains, et les souscriptions qui arriveront encore, serviront à secourir les plus cruellement frappés et surtout les familles des condamnés d’Autun.

Le comité gréviste

Voici maintenant la déclaration que le comité gréviste adresse à toute la démocratie:

Le Creuzot, 15 avril 1870.

Forcés, après 23 jours de lutte inégale, de subir les conditions arbitraires de notre seigneur et maître Schneider qui, à coup de millions gagnés par nos sueurs, vient encore une fois de vaincre le droit, nous tenons avant de nous retirer, à remercier publiquement les démocrates qui nous sont venus en aide. Nous remercions la courageuse Marseillaise et ses dévoués rédacteurs.

Nous remercions aussi le Rappel, le Progrès de Saône-et-Loire, le Progrès de la Côte-d’Or, l’Éclaireur de Saint Etienne et le Peuple de Marseille.

Nous remercions encore tous ceux qui nous ont aidés de leurs souscriptions et de leurs fraternelles paroles : Les citoyennes de Lyon, la loge maçonnique, les Philanthropes réunis, les ouvriers coupeurs en chaussures, un groupe d’employés de la compagnie P.L.M., la chambre fédérale des ouvriers de Paris, les fédérations de l’Internationale de Lyon, de Rouen, de Marseille, les sections de Paris, de la Ciotat et d’Auriol.

Nous remercions spécialement les internationaux parisiens des sections de Vaugirard, de Puteaux, de Clichy, de Batignolles, du Cercle d’études, de Belleville, de Meudon, de l’Est (faubourg Saint-Denis), des lithographes, des cordonniers, des peintres en bâtiments, des doreurs sur bois, etc., etc., ces courageux pionniers de la Révolution sociale et le citoyen Rochefort, ce fidèle député du peuple, de leur courageuse initiative.

Au nom de la démocratie républicaine socialiste, ils ont adopté les familles de nos malheureux condamnés du 9 avril. Notre cause a soulevé des sympathies universelles, nous en sommes fiers et, le cas échéant, nous saurons, nous aussi, pratiquer la fraternité ouvrière. En attendant, nous proclamons hautement notre adhésion à la grande Association Internationale des travailleurs, cette sublime franc-maçonnerie de tous les prolétaires du monde, cet espoir de l’avenir d’égalité.

À tous les démocrates qui nous sont fraternellement venus en aide, merci.

À tous les prolétaires, nous disons : solidarité !

Pour le Comité de la Grève du Creuzot,

DURANT, POIGNOT, BOUDOT

J’enregistre ces deux lettres avec tristesse, mais avec espoir cependant.

Les prolétaires ne sont vaincus que par les millions.

Quand un seul individu dispose sans contrôle du travail et de la richesse de tout un pays; quand ce dépositaire ne reconnaît aucun devoir social et n’use de sa position exceptionnelle que pour payer des dividendes scandaleux aux actionnaires et entasser pour lui-même millions sur millions; quand il emploie ces ressources fabuleuses à maintenir dans la subjection, la misère et l’ignorance, des milliers d’ouvriers réduits à attendre de son bon plaisir, le travail, c’est-à-dire la vie de chaque jour; quand l’armée est employée à terroriser une population désormais dépouillée et calomniée; que la justice elle-même est aux ordres de l’exploitation capitaliste, les prolétaires doivent être momentanément réduits, mais non vaincus.

Ils ont « revu le soleil, » comme ils disent, acquis le sentiment de la solidarité et de la liberté; ils appartiennent désormais au grand mouvement international qui ne s’arrêtera que lorsque la revendication sociale sera achevée. Leur droit reste entier; et contre l’ennemi, la revendication est éternelle.

Cependant M. Schneider a commencé son œuvre de vengeance : on parle ce matin de plus de cent renvois.

Faites, implacable vieillard, si vous pouvez vous vanter d’avoir terrifié les ouvriers, d’avoir semé le deuil dans les familles, d’avoir employé les produits du travail humain à comprimer les producteurs et à étouffer leurs plus légitimes réclamations; si vous pouvez vous glorifier d’avoir fait frapper les plus courageux d’entre eux de condamnations généralement réprouvées, vous n’aurez pu au moins affamer les femmes et les enfants que vous avez privés de leurs soutiens, les républicains y ont mis bon ordre.

Le présent est à vous qui représentez la force ; mais nous représentons la justice et la solidarité, et l’avenir nous appartient.

En attendant, vous êtes démasqué,

B. MALON

P.S.- Ce soir, on nommera le comité permanent de distribution aux familles des condamnés; faites en attendant tous les envois de fonds à Alemanus fils, brasseur, au Creuzot.

Je mets sous ce pli une lettre de M. Frémont, que je reçois à l’instant ; elle parle des condamnés, et intéressera certainement vos lecteurs, — B.M.

Dijon, le 14 avril 1870.

Mon cher Malon,

Je viens vous donner des nouvelles de nos pauvres condamnés du 9 avril.

Lundi, à six heures du matin, ils arrivaient d’Autun, qu’on leur avait fait quitter la veille à dix heures et demie du soir. Sept heures et demie de chemin de fer… Pourquoi ?…

Ils étaient enchaînés deux par deux et les menottes aux mains, comme des malfaiteurs très dangereux, et conduits par une escouade de gendarmes que conduisait à son tour un capitaine.

À la gare de Dijon, comme dans tout le parcours de la ville, ils ont reçu les marques les plus vives, les plus sincères de sympathie.

Ils en avaient bien besoin !…

Dès que j’ai été instruit de leur arrivée, j’ai été les voir… je leur ai demandé la manière dont ils avaient été traités, et ils n’ont répondu qu’à part les menottes et les chaînes, qui les faisaient souffrir, ils n’avaient rien à dire.

Que le jour de leur départ d’Autun, les habitants leur avaient fait parvenir vin, pain, viande, etc… Bonne population que cette population d’Autun !

Vous rappelez-vous avec quelle indignation elle accueillit le jugement du tribunal correctionnel ?

Un détail que j’oubliais : le soir de leur départ on leur a fait contourner la ville afin de les dérober à la vue des Autunois qui certainement n’auraient pas permis qu’ils fussent ainsi emmenés.

Ici, nous tâchons d’adoucir leur sort autant que possible… Les souscriptions affluent au Progrès de la Côte d’Or, avec des protestations énergiques contre le jugement d’Autun.

Tous les jours je vais les voir… Vous pouvez dire à leurs femmes, à leurs parents, à leurs amis, qu’ils se portent bien… aussi bien qu’on peut se porter en prison.

La Cour de Dijon statuera-t-elle bientôt ? C’est ce que je n’ai pu savoir; mais ce que je sais, c’est que le dossier n’est pas encore arrivé d’Autun.

Sans doute qu’un jour spécial sera choisi pour cette affaire — ordinairement la chambre des appels correctionnels siège le mercredi.

Resterez-vous encore longtemps au Creuzot ?

Attendez au moins les débats de la Cour, qui auront lieu au plus tard dans huit ou dix jours.

Bien des poignées de mains fraternelles,

AUG. FRÉMONT

Avocat à la Cour de Dijon

Pour extrait :

ACHILLE DUBUC

BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL

La grève de Fourchambault

La grève du Creuzot est terminée ; il ne reste plus en présence que le perpétuel antagonisme qui ne s’effacera qu’à l’avènement de la justice sociale.

Sa présence devenant inutile au Creuzot, notre collaborateur Malon est parti pour Fourchambault afin d’étudier de près les faits et causes de cette nouvelle revendication des ouvriers contre le capital.

En attendant les nouvelles que nous recevrons par le prochain courrier, nous ne pouvons que résumer les détails qui nous parviennent par plusieurs de nos amis sur la journée du mercredi.

Les ouvriers et le 12e de ligne auraient d’abord fraternisé, et les soldats répétaient à qui voulait l’entendre qu’ils n’étaient pas venus tirer sur le peuple ; et ils encourageaient même les ouvriers à soutenir leurs droits.

Dans la matinée du mercredi 13, une petite émeute a éclaté. Voici les faits :

C’était ce jour-là marché à Fourchambault et les femmes avaient comploté de faire, elles aussi, une grève de ménagères, en refusant les marchandises qui seraient offertes à des prix trop élevés.

Tout alla bien d’abord, et en présence des tarifs que soutenaient les marchands, beaucoup de ménagères rentrèrent le panier vide au logis. Quelques-unes agirent autrement, enlevèrent des provisions, lard et légumes, et se sauvèrent chez elles, emportant les marchandises.

La troupe s’en mêla ; l’infanterie et la cavalerie dispersèrent les rassemblements et la police alla chercher à domicile les objets enlevés.

Nous sommes heureux d’annoncer que ces faits regrettables sont, de la part des ouvriers grévistes, l’objet d’un blâme énergique.

Toutefois, cet incident fut réprimé avec modération ; des faits plus graves sont à l’actif de la soirée.

Les ouvriers avaient entouré les grilles, afin d’engager à l’abstention ceux de leurs camarades qui auraient pu être disposés à reprendre le travail.

La troupe de ligne, les lanciers et les gendarmes faisaient patrouille sans inquiéter les ouvriers, lorsque tout à coup l’ordre arriva de dissiper les rassemblements. Sur le cri : aux armes ! la cavalerie chargea au galop, les gendarmes, sabres au poing, et la ligne, baïonnette en avant, poursuivirent les fuyards, hommes, femmes et enfants dans les rues, dans les champs et jusque dans les maisons.

On nous cite ce fait de deux lanciers qui voulaient à toute force pénétrer dans une maison où s’étaient réfugiés une femme et deux enfants. Deux citoyens, habitants de la maison, se présentèrent aux lanciers, leur enjoignirent de se retirer, les menaçant de défendre l’entrée de la maison et de repousser la force par la force.

De nombreuses arrestations furent opérées ; l’Impartial du Centre dit 43, notre correspondant rapporte 35 hommes et 3 femmes ; une de ces femmes a été arrêtée avec son mari, et les 3 enfants sont seuls à la maison.

Pauvres enfants !

Une autre femme est sur le point d’accoucher, et elle laisse 3 enfants à la garde de son mari, qui a tenté, mais en vain, de la voir.

On lui a répondu qu’il ne la verrait que quand elle aurait été interrogée.

Il ne reste plus aux autorités qu’à s’emparer du mari pour mettre sur le pavé trois nouveaux abandonnés.

On voit que les procédés de l’administration sont partout les mêmes. Le capital tout-puissant doit compter sur le concours de l’armée, pour foudroyer les ouvriers qui osent demander à vivre.

L’administration met tout en œuvre pour défendre les patrons contre cette populace ouvrière, selon l’expression des agents de police du Creuzot.

Cependant de graves symptômes permettent d’espérer que le moment n’est peut-être pas loin où le prolétaire soldat refusera de tuer le prolétaire ouvrier.

Notre correspondant nous affirme que le 12e de ligne, coupable d’avoir fraternisé avec les ouvriers a été éloigné, et remplacé par le 27e, l’ancien 27e qui a donné à Clamecy en 1851. Mais les temps sont changés et le 27e lui-même s’est laissé gagner par les idées de fraternité, car le 12e en s’en allant a emmené six soldats du 27e qui s’étaient rendus coupables du même délit.

Voici quelques lignes de l’Impartial du Centre qui corroborent ces nouvelles :

Vendredi, 10 heures du matin. — La nuit a été calme : les troupes ont été sur pied toute la nuit. Un escadron de lanciers vient de partir pour aller en remplacer un autre. Le préfet et le général sont de retour. Un détachement du 12e a amené six soldats du 27e, accusés d’avoir fraternisé avec les émeutiers. Les gendarmes ont aussi amené un individu accusé d’avoir tiré un coup de fusil sur un soldat.

Tout cela est bien grave et pourtant ce n’est encore que le prélude de la lutte décisive que doivent irrémédiablement se livrer le travail et le capital dans un avenir prochain. Les seigneurs de l’industrie et les hommes de Décembre se donnent la main pour enrayer le mouvement social qui envahit le monde ; aberration, folie !

Une planche de salut s’est présentée au vieux monde : la participation ou la coopération. Il l’a dédaigneusement repoussée ; tant pis pour lui ! Aujourd’hui, il est trop tard : le travail veut la jouissance intégrale de ses droits. Encore un peu de patience, de calme et de résignation et il aura, à son tour, pleine et entière satisfaction.

A. VERDURE

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