Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

 129. Jeudi 28 avril 1870

Outre la permanence du comité central républicain, on peut souscrire aux sièges des journaux démocratiques ;

c’est le « numéro 444 » qui se colle à l’éditorial, dont voici la conclusion

Une friture peut bien, en effet, être du goût de ceux qui tiennent la queue de la poêle ; mais on n’a jamais entendu dire qu’elle puisse être du goût des goujons.

Morot transmet l’opinion du citoyen Raspail (vote négatif) en rappelant que « nous » sommes pour l’abstention ;

je passe les « Nouvelles politiques » ;

encore une des victimes des brutalités policières qui témoigne en faveur du journal dans la nouvelle poursuite (voir les éditions précédentes) ;

Arnould titre « L’empire et nos écus » son « courrier politique », jamais, dit-il, le peuple n’a plus payé et n’a moins reçu ;

je passe les « Préparatifs du plébiscite » ;

désirant voir ses lecteurs complètement écœurés, Eugène Mourot publie encore une proclamation, celle de M. Ollivier aux électeurs du Var (ses électeurs), je ne vous la reproduis pas; tiens, les journaux « de police » demandent l’expulsion de Cernuschi, eh oui, c’est un étranger (italien) et il a donné de l’argent pour la propagande antiplébiscitaire (voir le journal d’hier) ;

dans la « Question sociale », Millière-Maillet expose les principes qui servent de base à la « législation directe » ;

le « Bulletin du mouvement social » est consacré à une nouvelle manifestation ouvrière en Belgique ;

Malon envoie des nouvelles de la cour d’appel de Dijon dans l’ « Affaire du Creuzot » et vous les lirez ci-dessous ;

la réunion du Chalet des postes (c’est rue Lhomond) proteste contre sa dissolution par la police ;

suivent la liste des comités antiplébiscitaires à Paris, un appel aux électeurs de la (fameuse) première circonscription à ne pas prendre part au vote, et quelques autres informations ;

il y a une rubrique spéciale sur « Le mouvement antiplébiscitaire en province », dans laquelle on lit par exemple que l’Éclaireur de Saint-Étienne, a tiré la morale de la comédie du plébiscite : Six millions dépensés pour faire croire aux paysans qu’ils sont contents d’avoir leurs fils à l’armée et leur argent chez le percepteur ;

il y a des comptes rendus de onze (onze!) réunions antiplébiscitaires, salle du boulevard de Clichy, salle Molière, salle des Folies-Bergère, gymnase Triat (avenue Montaigne, si, si), avenue de Choisy, salle de la Marseillaise, rue d’Arras, salle des mille et un jeux, cour d’Aligre (c’est rue Saint-Honoré), salle de la rue de Lévis, rue Maison-Dieu, dont le plus souvent Rochefort est président honoraire ;

il y a des annonces ;

des « Communications ouvrières », de la chambre syndicale des coupeurs et brocheurs de chaussures de Paris, des imprimeurs lithographes ;

d’autres réunions publiques sont annoncées, dont une conférence

par M. Émile Deschanel sur la Question des Femmes, sur le bien et le mal qu’on a dit d’elles, sur leur passé, leur présent, leur avenir,

et parmi lesquels je remarque que les discussions quotidiennes sur le plébiscite salle Molière et rue Dieu sont ouvertes à tous les électeurs, et même que, pour entrer dans la salle rue d’Arras, il faudra sa carte d’électeur — j’en déduis que ces réunions sont interdites aux femmes ;

il reste à peine un peu de place pour la Bourse.

Affaire du Creuzot

COUR D’APPEL DE DIJON

Dijon, le 25 avril (8 h. du soir)

Cher citoyen, je serai sobre de détails, nous préparons un compte rendu complet de ce procès qui paraît prendre de grandes proportions. Le ministère public, tout en reconnaissant que le tribunal d’Autun a sévèrement frappé, insiste singulièrement sur le prétendu côté politique de la grève. Le rapporteur a été très long et très hostile. Me Frémont, dans une longue et brillante plaidoirie, a démontré que les causes de la grève sont absolument économiques ; que le seul excitateur a été M. Schneider qui, à l’égard de ses ouvriers, a agi de la façon la plus déloyale et la plus indigne.

Il a produit une vive émotion en disant :

Vous parlez d’intervention étrangère ! Oui, il y en a eu ; oui, le parti républicain, oui, cette admirable association internationale, sont intervenus quand il y a eu des plaies vives à panser, quand il s’est agi de donner à des familles désolées et dénuées [?] le pain du jour et l’espoir du lendemain.

Au moment où il allait démontrer, chiffres en main, que l’ouvrier du Creuzot ne peut pas vivre avec son salaire, il a été interrompu. N’importe, il a selon son expression soulevé bien des masques de l’administration Schneider. Vous aurez en entier cette remarquable plaidoirie. Me Ch. Boisset a surtout démontré le néant des chefs d’accusation relatifs à Alemanus. Il paraissait fatigué ; nous croyons du reste qu’il s’est réservé pour la réplique.

Les condamnés se sont bien tenus, Duloy surtout a eu des réponses pleines d’énergie et de bon sens. Nous n’avions pas vu les condamnés depuis le 9 avril ; nous les avons trouvés mieux portants aujourd’hui, et nous en avons conclu qu’ils sont bien nourris en prison. Ce mystère nous a été explique par Aug. Frémont qui voit les prisonniers tous les jours. Les démocrates de Dijon ont tenu à l’honneur de bien soigner ces victimes du travail ; on leur envoie journellement de la viande, du tabac, et on leur procure un demi-litre de vin par jour. La déclaration du procureur général annonçant qu’il en appelait a minima contre Alemanus, a produit une impression pénible sur l’auditoire. Quand, après la remise de l’audience à demain, 20 gendarmes ont emmené les condamnés, des cris de vive les enfants du Creuzot ! sont partis du fond de la salle. On s’attend à quelques acquittements et à beaucoup de diminutions de peines ; la cour ne me paraît pourtant pas très bien disposée.

Salut fraternel,

B. MALON

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Les goujons (qui n’aiment pas la friture, nous dit Paschal Grousset) viennent de Ichtyologie ou histoire naturelle générale et particulière des Poissons, un beau livre du dix-huitième siècle. La planche est sur Gallica, là.

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).