Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
128. Mercredi 27 avril 1870
Le siège du comité n’est plus au journal mais rue aux Ours, 55 ;
les « Fantaisies politiques » de Rochefort-Dangerville portent le titre « La confession d’un enfant du siècle », j’en retiens que la proclamation impériale aurait été plus sincère ainsi libellée :
Français,
Je vous consulte afin de savoir si, oui ou non, vous voulez que je m’en aille. Mais quelle que soit votre réponse, soyez certains que je resterai tout de même.
suit une dépêche de Malon que voici :
Dijon, 7 h. du soir
Rapport très détaillé et très hostile. On maintient les excitations politiques comme causes de la grève. — Défenseurs, Boysset et Frémont. — Plaidoiries remarquables. Frémont est interrompu. — Appel a minima contre Alemanus. — Remise à demain.
à part l’élection d’un démocrate à Rouen, les « Nouvelles politiques » bavardent sur la proclamation impériale et le plébiscite ;
« Les Cartes électorales » et leur destruction après le vote (voir le journal daté du 23 avril) continuent à énerver les républicains et ici A. de Fonvielle ;
le « Courrier politique », sous le titre « L’héritage », le plébiscite vise à ce que
sur le trône, comme dans la plus humble demeure, le fils succède en paix à son père,
rassurez-vous, cette phrase digne de l’Ambigu-Comique n’est pas d’Arnould, mais d’Émile Ollivier et de ses collègues, par contre la belle anaphore
Votez OUI, vous tous qui
est bien de lui, Arthur Arnould — rassurez-vous encore, les derniers mots de son article sont « le peuple » ;
il y a des « Préparatifs du plébiscite » ;
et une lettre signée « Nathalie Herzen », qui commente le « Courrier politique » d’Arnould et du 23 avril et que bien sûr vous lirez ci-dessous (il s’agit, contrairement à ce que semble croire Arnould, de la fille de Herzen et pas de sa femme) ;
il y a des « Informations » qui contiennent la circulaire de l’Ambigu-Comique, pardon, des ministres; ceux qui veulent boire « le calice jusqu’à la lie » peuvent aller consulter le journal en ligne, sachez quand même qu’Henri Cernuschi a versé cent mille francs pour la propagande antiplébiscitaire (mais pas à la Marseillaise, à Jules Ferry) ;
dans le « Bulletin du mouvement social », Verdure continue à faire le point sur les grèves, les débardeurs du canal de la Villette se sont mis en grève, celle des tailleurs sera probablement évitée, je vous garde celle des fondeurs en fer de Paris, il y aura peut-être une autre grève de fondeurs, ceux d’Evreux et de Rouen, celle des ouvriers bouchonniers de la Garde-Freynet touche à sa fin ;
je vous garde aussi la grève de Fourchambault et de Torteron (c’est une lettre du Creuzot) ;
passons sur la polémique Rochefort-Wolff (de plus en plus déplaisante (pour être juste je dois signaler qu’Henri Verlet, dans la Libre pensée, est encore pire)) ;
la fédération ouvrière lyonnaise de l’Association internationale des travailleurs se réunit ;
encore une communication de la loge des Philadelphes de Londres ;
un nouveau citoyen désire accueillir un enfant du Creuzot ;
les « Échos » remarquent que la scène politique ressemble beaucoup à celle du théâtre des variétés les jours où on donne la Grande Duchesse, et je ne saurais dire mieux ;
des comités « Rochefort » et « Cantagrel » aujourd’hui réunis, protestent contre un article du Rappel : ils appellent à l’abstention (et notre ami Dubuc se trouve parmi les signataires) ;
le comité démocratique de la septième circonscription rectifie aussi une information, que de comités… ;
d’ailleurs suit le « Mouvement antiplébiscitaire », qui est une liste de comités et de leurs adresses, suivie de quelques informations et questions — où vote le soldat en permission ? par exemple, demande Germain Casse ;
le « Mouvement antiplébiscitaire en province » est aussi très actif, si l’on en croit la liste dressée par Alphonse Humbert ;
je vous garde les comptes rendus de deux réunions (ci-dessous) (il y en a cinq) ;
il y a des annonces ;
et un « Fait divers » si hilarant que je vous le garde (même s’il est copié dans le Rappel), mais je vous passe incendie, infanticide, assassinat et le reste ;
une seule « Communication ouvrière », mais pour une réunion d’ouvriers boulangers ;
il y a de nombreuses annonces de réunions publiques ;
des souscriptions ;
des théâtres ;
la Bourse, où la proclamation de l’empereur n’a pas mené au « complet affermissement de la hausse », au contraire.
LETTRE DE MADAME HERZEN
Nous recevons de Mme Herzen, dont le nom rappelle le grand citoyen, le grand révolutionnaire russe, qui lutta avec une énergie indomptable pour l’affranchissement politique et social de sa patrie, — une lettre que nous croyons devoir reproduire, malgré ce qu’elle peut avoir de trop flatteur pour la rédaction de la Marseillaise.
Comme Mme Herzen, nous croyons qu’on ne saurait trop expliquer à la masse des citoyens ce que fera la République pour les opprimés et les exploités, quels remèdes elle est en mesure d’apporter à leurs souffrances, quelle satisfaction elle donnera à leurs justes griefs.
C’est à ce vœu qu’ont répondu, — et l’on sait avec quel succès, — les remarquables articles du citoyen Millière, qui n’a cessé, depuis l’apparition de la Marseillaise, de donner la synthèse philosophique de la République sociale, d’exposer son programme et ses moyens d’action.
ARTHUR ARNOULD
Monsieur le rédacteur,
Frappée de votre article « Le paysan et l’empire », je me hasarde à vous envoyer ces lignes, sachant que vous laissez parler volontiers les gens de bonne volonté.
En lisant ce chiffre : — 855,000,000 ! [ce que l’empire coûte au pays, en entretien de l’empereur, ses dignitaires, son armée] j’ai été vraiment ébahie ! Combien vous avez eu raison de mettre ce chiffre sous les yeux du peuple.
Votre critique, votre analyse, votre vivisection de l’empire est excellente, justement parce qu’elle est serrée : chacun peut la comprendre. Mais, à côté de cela, ne faudrait-il pas expliquer plus complètement au peuple ce que sera pour lui la République. On répète toujours ce mot ; mais le peuple a besoin de le mieux comprendre. La Révolution de 93 a été une justice et une vengeance. La République de 48 a, pour elle, l’inauguration du suffrage universel, l’abolition de la peine de mort et de l’esclavage, mais vous savez bien qu’elle a gardé les même armées, les mêmes impôts, la même police, la même administration, qu’elle avait trouvés. Le peuple est contre l’empire, soit ; mais la République est quelque chose d’idéal et de vague pour lui. Ne faudrait-il pas lui expliquer clairement que le mot République veut dire : abolition des impôts, de la conscription, des armées permanentes, de toutes les charges non-éligibles par le peuple et non indispensables. Il faudrait qu’il lui fût démontré et prouvé que la République lui laissera ses 855,000,000 fr. ; qu’il pourra se réunir librement, sans crainte de la police, et discuter librement les dépenses nécessaires pour les voies de communication, pour les canaux d’irrigation, pour l’éclairage des petites villes et des villages, etc., etc., et enfin, pour les écoles de la Nation française, dont l’éducation est indignement livrée aux couvents et aux prêtres.
Dépêchez-vous, messieurs, de le lui expliquer avec votre infatigable énergie, et quand le peuple aura compris que la République lui donnera le moyen de prendre tous ces avantages, fiez-vous à lui.
Nous autres, convaincus, nous sommes pour le peuple. Quoique, par notre position, nous appartenions à la classe improductive et favorisée, nous souhaitons l’avènement de la justice, nous appelons de toutes les forces de notre cœur la Révolution sociale. Puisse-t-elle être paisible, puissent les passions se taire devant la raison et l’intelligence ; puissent les hommes sentir, comme nous, le remords de la fortune devant cette misère accablante et sans issue,
Recevez, monsieur, le témoignage de ma profonde sympathie.
NATHALIE HERZEN
BULLETIN DU MOUVEMENT SOCIAL
Les grèves
[…]
Les patrons fondeurs se sont réunis dans la salle de l’Union commerciale, à l’effet de s’entendre sur les propositions des ouvriers en grève.
Le président a ouvert la séance en priant les assistants de signer une sorte de compromis par lequel ils s’engageraient à maintenir la solidarité déjà acceptée à la première réunion.
Tous ont signé, à l’exception d’un seul patron, qui a demandé vingt-quatre heures de réflexion.
Les quatre grandes usines : Cail, Gouin, Faront [Farcot] et Claparède, n’ont pas cru devoir se joindre aux signataires, leurs fonderies ne servant qu’à leurs besoins.
Ensuite on a donné communication d’une lettre signée par dix-sept ouvriers, et annonçant aux patrons :
1° Le maintien des trois premiers articles de leur programme dont nous avons déjà donné le texte.
2° La suppression de l’article 4, concernant la nomination des chefs par les ouvriers, et remplacé par la demande suivante :
« La paye aura lieu régulièrement, dans tous les ateliers, toutes les deux semaines, le samedi. »
3° Les patrons sont invités à se rendre lundi prochain à la réunion des ouvriers qui se tiendra à la salle de la Marseillaise.
Après cette lecture, l’assemblée a décidé qu’il ne serait pas répondu à cette lettre et qu’on ne se rendrait à aucune réunion d’ouvriers.
Cela n’a rien qui puisse nous étonner. Nous sommes habitués aux procédés autocratiques de nos seigneurs fabricants. Traiter sur le pied d’égalité avec des ouvriers, fi donc ! Plutôt la ruine. Ils vont bien, ces messieurs.
[…]
A. VERDURE
Grève des fondeurs en fer
Le comité accepte la délégation proposée par la voie du journal le Gaulois et prévient les patrons que cette délégation se rendra à leur réunion du 26 courant au journal l’Union commerciale.
Pour extrait : BARBERET
La grève de Fourchambault et de Torteron
Le Creuzot, 24 avril 1870
Cher citoyen,
Je me rends à Dijon, je viens de quitter Fourchambault. Je vais pourtant vous parler encore de ce pays.
Hier, les arrestations ont repris leur cours.
Deux ouvriers et une jeune fille ont été emmenés par les gendarmes.
Chaque jour des ouvriers partent précipitamment du pays, comme s’ils étaient des malfaiteurs, de crainte d’être d’un moment à l’autre mis en état d’arrestation.
La terreur empêche de prendre des renseignements exacts sur le nombre des arrestations.
On peut les évaluer à une centaine.
Hier soir, un agent de police, ancien gardien de prison publique au Deux-Décembre, est venu chercher, pour paraître devant le juge d’instruction de Nevers, siégeant au château de MM. Boignes, Rambourg et Cie, un ouvrier qui, non seulement n’a paru dans aucune manifestation, mais qui encore a travaillé pendant la grève, il ne peut être que témoin à charge ; il en résulterait donc que l’instruction se poursuit activement à Fourchambault même, et chez MM. les directeurs. Que diriez-vous du peu expéditif M. Bernier, s’il poursuivait l’instruction dans le cabinet particulier de M. le préfet de police. Au Creuzot règne[nt] le calme silencieux et la défaite. Notons, cependant, que les ouvriers renvoyés sont moins nombreux qu’on ne l’avait cru d’abord ; condamnés compris, ils ne dépassent pas encore la centaine. Le comité permanent de distribution s’est définitivement constitué, et le citoyen Alemanus fils, dépositaire des fonds, me prie de vous transmettre le procès-verbal suivant.
Séance du 18 avril 1870
Décision du comité de distribution du Creuzot, composé des citoyens Gaffiot, Dumay, Alemanus, Supplicy [Supplissy], Testard, Poignot et Durand.
1° Tout ouvrier mineur renvoyé pour cause de la grève des mineurs de 1870 sera considéré comme ayant droit aux secours envoyés pour les victimes de cette grève.
2° Il sera alloué provisoirement aux renvoyés célibataires une somme de 3 francs, aux renvoyés pères de famille une somme d’au moins dix francs.
3° Pour les familles des détenus, la répartition sera faite de la manière suivante : aux femmes, 1 franc par jour ; pour chaque enfant, 25 centimes par jour ; aux grands-parents restant à la maison, 50 centimes par personne et par jour, aux mères des détenus célibataires, 1 franc par jour ; aux vieillards demeurés sans soutiens par suite de l’emprisonnement de l’un des leurs, 1 franc par jour.
4° Aucune allocation ne sera faite aux ouvriers renvoyés, sans que l’un des délégués de la grève ne soit présent.
5° Les payements s’effectueront à partir du mardi 19 courant, et se continueront jusqu’à extinction des fonds.
Ont signé les membres du comité : Gaffiot, Dumay, Supplicy [Supplissy], Alemanus, Testard, Dignot [Poignot]. Durand est absent.
Conformément à la teneur de ce procès-verbal, des secours ont été distribués, les victimes de M. Schneider ont du pain. Nous espérons pouvoir en dire bientôt autant des victimes de Fourchambault et de Torteron.
Demain, nous verrons s’il y a des juges à Dijon. Disons déjà que nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusion.
Salut fraternel,
B. MALON
Notre ami G. Sauton parlait dernièrement des aptitudes particulières de M. Schneider dans le grand art d’inspirer l’esprit d’espionnage à l’enfance. Le maître du Creuzot n’est pas moins méritant sur ce point quand il s’agit d’hommes faits. Qu’on en juge par ce fait irrécusable. Dernièrement un forgeron a été condamné à 50 francs d’amende pour avoir été pris à faire une grille pour son poële, son voisin a été condamné à la même peine pour n’avoir pas dénoncé son camarade. Nous aurions dit : « Tirez l’échelle après ce fait-là, » si nous n’avions pas vu de près les agissements de MM. Saclio [Saglio] et Chayet, directeurs des mines de Fourchambault, mais nous nous en garderons bien, car à coté de ces patrons-gendarmes, M. Schneider est philanthrope, tout comme M. Bonjean est démocrate au Sénat. — B.M.
Réunions anti-plébiscitaires
SALLE DES FOLIES-BERGÈRE
Président : le citoyen Lissagaray ; assesseurs : les citoyens Lefrançais, Brissac, Langlois.
Le citoyen Labbé. — Quelles sont vos lois libérales ? La loi captieuse de la presse qui traîne journellement les écrivains en prison, et écrase d’amendes les journaux auxquels vous prenez 50,000 francs de cautionnement, sans compter l’impôt onéreux du timbre qui frappe le lecteur aussi bien que l’écrivain.
La loi sur les grèves, qui sert à fusiller les ouvriers à Aubin, à les arrêter au Creuzot, à les condamner à Autun lorsqu’ils se permettent de réclamer une simple augmentation de salaire.
Par sa lettre, l’empereur se déclare le maître; son fils lui succède ; si cet enfant meurt, le chef de l’État peut choisir un héritier digne, un homme qui a fait ses preuves, le prince Pierre Bonaparte. Le pouvoir législatif est enlevé aux élus de la nation pour être partagé avec le sénat. Listes civiles, grosses dotations à perpétuité, voilà ce que l’on vous demande de sanctionner.
Nous sommes pour la République. (Bravos enthousiastes. — Vive la République.) Nos votes signifieront haine à l’empire.
L’abstention veut dire qu’on ne s’abaisse pas à discuter avec le chef de l’exécutif et qu’on attend l’heure favorable. Mais dans les campagnes on est tenu de compter avec les agents malsains de l’administration.
Le bulletin inconstitutionnel est plus catégorique que le non.
Ce bulletin, annexé au procès-verbal, n’est pas compté.
Tout en respectant les scrupules de mes concitoyens, je crois le vote NON plus effectif [efficace?].
Dans tous les cas, nous voulons tous le seul gouvernement honnête, rationnel, la République. — Tonnerre d’applaudissements. — Vive la République !
Ulysse Parent : L’empire nous parle de ses libertés. Nous avons eu la liberté de la boucherie, des théâtres, de la boulangerie. Nous pouvons faire un journal, pourvu que nous soyons riches ; dire ce que nous voulons, pourvu que nous allions en prison.
L’ouvrier a le droit de coalition ; il peut discuter les conditions de son travail, pourvu qu’il se range à l’avis de ses maîtres, à moins qu’il ne préfère être fusillé ou condamné.
Aujourd’hui l’empire nous demande de ratifier tout ce qu’il a fait depuis 10 ans. Il est donc resté 10 ans dans l’illégalité ? C’est donc une absolution qu’il nous demande ?
Écoutez un peu ses amis, ses ducs de contrebande, Fialin par exemple, qui vous dit : « Le gouvernement reste personnel. »
On vous demande de voter l’hérédité monarchique, c’est-à-dire d’enchaîner la liberté de vos enfants, d’hypothéquer l’avenir. À cette question il faut répondre par le dédain. — VIVE LA RÉPUBLIQUE ! (Tonnerre d’applaudissements.)
Lefrançais. — L’origine de l’empire commence à lui peser ; elle le tient à la gorge. Les Léon Faucher, les Montalembert, tous ces réactionnaires sans scrupules, ont jugé qu’ils se déshonoreraient trop en servant ce gouvernement. Tout ce qu’il y avait d’honnête s’était retiré. Effrayé de son isolement, de la platitude de son sénat, de la lâcheté de son corps législatif, l’empire a voulu faire croire que la liberté pouvait vivre avec lui.
Il a appelé au contrôle ses grands corps pour les compromettre devant le pays. Mais aujourd’hui il trouve que le cadavre de Baudin saigne toujours.
Après avoir mis la police au gouvernement, pillé les caisses publiques, il plaît à cette tourbe de vous demander votre appréciation. — Rejetez ce gouvernement inouï dans l’histoire et proclamez la RÉPUBLIQUE. — (Bravos, trépignements.) VIVE LA RÉPUBLIQUE !
Langlois. — Le non veut dire : nous ne voulons pas que vous transmettiez la couronne à votre fils. Nous ne voulons pas que vous ayez le droit de nommer 500,000 fonctionnaires, le droit de dissoudre le corps législatif s’il oublie qu’il est composé de vos créatures, le droit d’annuler par votre sénat toute loi votée qui ne vous plaira pas, le droit de vous jeter dans la mêlée électorale avec vos baïonnettes, de faire des guerres désastreuses, de gaspiller les finances, d’augmenter les milliards de nos dettes.
L’empire est comme une vieille botte sans tige ni talon. Personne n’en veut plus. L’empereur veut la ressemeler, mais j’aime mieux une paire de bottes neuves.
Citoyens, n’oublions pas la campagne. Il y a des mois que nous aurions dû faire la propagande en province. Il faut prouver au paysan que la République démocratique et sociale est le gouvernement du pays par le pays.
Humbert. — Que vous veuilliez [vouliez?] ou ne veuilliez pas vous abstenir — vous êtes contraints à l’abstention par la situation créée par M. Chevandier de Valdrôme.
Comment, en effet, surveiller le dépouillement du scrutin puisqu’il faut, pour entrer dans la salle, justifier de sa qualité d’électeur par la présentation de sa carte ? Et d’un autre côté, comment garder cette carte, puisque les bureaux ne les rendent pas ? Impossible de trouver une solution que celle-ci : exiger du bureau l’engagement de rendre la carte, et sur son refus, se retirer sans voter.
C’est qu’en effet il faut se résigner ou à accepter, à déclarer légitime et exempt de fraude un scrutin qu’on sait faussé à l’avance — ou à ne pas voter. Pas de milieu entre ces deux alternatives. Ou le vote sans dignité, c’est-à-dire le mépris du suffrage universel, ou l’abstention. Vous serez donc des abstentionnistes malgré vous — quoi que vous disiez.
Cette solution est fatale et ce n’est point le hasard qui la rend nécessaire, — c’est le suffrage universel lui-même, qui, interrogé dans des conditions où il ne peut s’exercer librement, répond comme il le doit : Je refuse de parler.
Ce discours est accueilli par de vifs applaudissements, et fait décidément pencher la balance du côté des abstentionnistes. Les défenseurs du NON semblent décontenancés.
La séance est levée au cri de : VIVE LA RÉPUBLIQUE !
GERMAIN CASSE
RUE D’ARRAS, 3 ET 5
(1re circonscription) — Lundi 25 avril 1870
Président : le citoyen Frédéric Morin
Assesseurs : les citoyens Mesureur, dessinateur ; Chabert, graveur
Le citoyen Ducoudray s’estime heureux de pouvoir placer cette salle nouvelle, ouverte par les soins d’un comité démocratique sous l’invocation de la République absente et désirée.
Dans un discours sérieux, plein de logique et de fond, il commente la proclamation de l’empereur au point de vue politique, au point de vue littéraire même ; de nombreux applaudissements accueillent ses paroles ; et sa conclusion affirme la nécessité du vote négatif.
Après lui, le citoyen Nadaille parle dans le même sens ; et la lutte s’engage, courtoise, au nom des principes républicains, entre les partisans du non et les abstentionnistes qui se cèdent gracieusement tour à tour la tribune.
Le citoyen Coulon, avocat, secrétaire du député de la 7e, Jules Favre, est naturellement partisan du vote négatif qu’il proclame urgent, pour éviter la transmission du trône au fils impérial ; puis il s’étonne de voir prêcher l’abstention par ceux qui voulaient envoyer jadis Rochefort au corps législatif. — Gros malin, va !
Frédéric Morin quitte la tribune. Ducoudray le remplace à la présidence.
Le citoyen Piéron, lui, considère l’abstention comme un devoir. « Reconnaître l’empire, c’est nous dénier nous-mêmes, dit-il ; et qu’on ne vienne pas nous parler de libéralisme et de liberté quand les plus braves de nos concitoyens sont à Mazas ou à Pélagie.[« ]
Le citoyen Chabris ne veut pas de malentendu, et suppose qu’au village on votera non, plutôt que de s’abstenir. À quoi le citoyen Cavalier répond que le bulletin inconstitutionnel bien compris a plus de chance de réussir dans les campagnes ignorantes, que le non.
Non seulement au point de vue des principes, mais encore à cause des précautions ingénieuses prises en faveur du plébiscite, il pense avant tout que la question importante est de diminuer le nombre de Oui par tous les moyens possibles et de faire remporter une veste au gouvernement impérial.
Assemblée mi-partie abstentionniste, mi-partie négative, après un avertissement officieux du commissaire de police, motivé sur la péroraison du citoyen Griffe : « Arrière Pierre ; laissons passer Jean, vive la République ! » L’assemblée se sépare sur une allocution du président Ducoudray, aux cris répétés de : « Vive la République ! »
G. CAVALIER
FAITS DIVERS
Rarement on a vu une succession de péripéties comme hier au village de Trépigny, près Meulan. Un mariage allait se célébrer ; la fiancée attendait à l’église ; le fiancé n’arrivait pas. La future tout inquiète va à sa recherche et le trouve dans une auberge, vidant une bouteille de vin. Il avait complètement oublié la noce.
La fiancée éclate en vifs reproches ; le brave garçon, légèrement pris de boisson, finit par donner une paire de soufflets à la belle, qui part en poussant des cris déchirants.
Cela rappelle l’individu à lui-même ; il court à la recherche de sa bien-aimée, et la rejoint dans une chambre d’auberge où elle venait de se pendre de désespoir, à une espagnolette ; elle avait déjà perdu connaissance. Mais il coupa vite la corde, et avec de l’eau froide, du vinaigre et des caresses, il la ramena à la vie. On s’embrassa et on versa des larmes de part et d’autre, et un quart d’heure après on se rendait à l’autel.
(Rappel)
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La photographie de Natalie Herzen qui sert de couverture à cet article a été publiée dans un autre article, ici, où je l’ai copiée, et dont je recommande la lecture!
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Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).