Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

130. Vendredi 29 avril 1870

Dans ses « Fantaisies politiques », Dangerville-Rochefort ironise sur le « patois plébiscitaire » d’Ollivier (si celui-ci n’avait pas fait embastiller celui-là, je dirais que le ministre est le souffre-douleur du polémiste) à qui il ne manque « que du talent, du courage et un peu de grammaire française » pour être un autre Paul Louis Courier – c’est brillant et drôle ;

la dépêche de Dijon qui infirme en partie le jugement d’Autun, vous la lirez ci-dessous ;

les « Nouvelles politiques » suivent, on y apprend que le citoyen Gambon, dont on ne parlait plus depuis le début février, a été arrêté, il y est question aussi d’un genre de pogrom à « Técouth » (où qu’c’est, Técouth? [Tecuci, en Roumanie?]) ;

« Une première victoire », le conseil des ministres a décidé de ne plus détruire les cartes électorales et de les laisser entre les mains des électeurs ;

le « Courrier politique » d’Arthur Arnould est consacré aux campagnes, tout le monde est bien conscient que la terreur, sur laquelle compte le pouvoir, existe ;

encore des « Préparatifs du plébiscite » ;

des « Informations » ;

une lettre adressée « au comité démocratique de la gauche et au comité central républicain », c’est une proposition de Humbert votée dans une réunion publique, que ces comités financent des voyages pour organiser des réunions antiplébiscitaires en province ;

vous lirez la suite de l’affaire des grévistes du Creuzot ci-dessous, ne ratez pas la parole du mineur Dalet ;

encore des citoyens qui veulent adopter des enfants de condamnés du Creuzot ;

Augustin Verdure s’indigne de la façon honteuse dont on a enterré un suicidé près de Blois, « Comme chez les sauvages » ;

je vous garde la lettre du citoyen Gromier ;

et aussi celle du citoyen Verlet (voyez comment il tourne la loi sur la presse!) ;

des nouvelles du « Mouvement antiplébiscitaire » à Paris ;

mais aussi en province ;

il y a des comptes rendus de treize réunions antiplébiscitaires, la première, rue Maison-Dieu,

L’assemblée, consultée sur le choix de son président honoraire, acclame le citoyen Rochefort.

Le citoyen Ch. Limousin, rédacteur du Siècle, s’élève contre l’habitude des présidents honoraires et accuse l’assemblée de se créer ainsi des idoles.

On lui répond par un cri formidable de : Vive Rochefort !

Le citoyen Rochefort est nommé président honoraire.

noter qu’à la fin de celle-ci, Chalain a confondu les mouchards qui l’empêchent de parler (que ceux qui ne trouvent pas ça drôle lisent donc cet article sur Chalain mouchard!); Francis Enne, quant à lui, s’est rendu à la salle des Folies-Bergère, et a remarqué que

Le commissaire s’est tenu convenablement. À la porte, les sergents de ville nombreux étaient polis et se montraient moins arrogants et moins provocateurs que dans les quartiers des travailleurs.

je vous laisse découvrir le reste ;

il y a encore des annonces ;

des annonces de réunions publiques ;

c’est encore d’une réunion publique qu’il est question dans les « Tribunaux », qui ont condamné Amouroux et Lombard, sans parler du Réveil, dont Puissant raconte le procès avec beaucoup de saveur ;

il y a des listes de souscription ;

des théâtres ;

et de « La Bourse », encore en baisse.

Nous recevons la dépêche suivante :

Jugement d’Autun infirmé en partie.

Mongenot [Mougenot] fils, acquitté.

Alemanus, augmenté de deux mois.

Enfin 4 condamnations à dix-huit mois d’emprisonnement.

3, à un an.

2, à huit mois.

4, à six mois.

7, à trois mois.

1, à un mois.

B. MALON

Pour copie conforme : BARBERET

AFFAIRE DES GRÉVISTES DU CREUZOT

TRIBUNAL DE DIJON

COUR DES APPELS CORRECTIONNELS

Séance du 25 avril

[Je corrige les noms propres sans préciser, les membres du tribunal sont Lafon (Jean Guilhaume Armand de Lafon-Boutary), Levieil de la Marsonnière (Jules Alexis Levieil de la Marsonnière), Doncieux (Louis Joseph Scipion Alfred Doncieux).]

Président, Lafon. — Procureur général, Le Vieil de la Marsonnière. — Rapporteur, Doncieux. — Défenseurs, Ch. Boysset et Auguste Frémont.

M. le rapporteur. — Messieurs, j’éprouve une impression douloureuse que je ne veux pas cacher et que vous partagerez en voyant sur ces bancs 23 ouvriers, presque tous jeunes, et cependant presque tous pères de famille.

Que s’est-il passé ? Des choses étranges : à la voix d’excitations venues du dehors et d’autant plus coupables qu’elles s’adressaient à des ouvriers satisfaits de leur situation, une grève éclate, contre toute attente, contre toute raison. Aucune réclamation préalable n’est faite, aucune demande de salaire plus élevé ; rien enfin qui justifie cette formidable insurrection du travail.

À la voix de trois ouvriers, qui, semant la violence sur leurs pas, parcourent les galeries des puits Saint-Pierre et Saint-Paul ; toute la mine se lève ; des bandes tumultueuses veulent arrêter les hauts fourneaux et causer ainsi à l’usine un dommage peut-être irréparable. Ils se portent à la soufflerie ; ils sont repoussés. Ils ne s’arrêtent pas ; après avoir inutilement attaqué l’ajustage et plusieurs portes de l’usine, ils portent à Montchanin la même violence, la même menace, la même atteinte à la propriété, à la liberté du travail, et font momentanément cesser le travail dans les cinq puits de cette localité.

Dans la nuit du 23 au 24, deux puddleurs ont l’audace de proclamer la grève, et, violemment, pour éteindre les feux, se mettent à tirer les barres des fours. Enfin, la justice se transporte sur les lieux, l’armée arrive, l’armée protectrice du travail contre laquelle certaines feuilles de désordre ont tant crié, et les violences cessent.

Permettez-moi de vous faire une esquisse rapide de cette grève, sans motif ni raison. Je le répète, ses véritables auteurs sont ces journaux qui propagent des doctrines subversives et désorganisatrices de notre ordre social.

L’ouvrier est facile à entraîner et les agitateurs ont trop bien réussi le 19 mars.

Le Grelot contenait les lignes suivantes :

« Le Creuzot va bien ; on en fera quelque chose. Il s’y vend chaque jour 30 Réveil, 50 Rappel, 150 Marseillaise, vienne un bon coup de soleil et gare aux fruits. » Ils mûrirent vite, ces fruits ! Ils furent bien amers. Deux jours après la prédiction sinistre, le 21, la grève éclatait. Ce n’est que quelques jours après, quand les violences étaient commises, que des placards menaçants sont affichés demandant la caisse de prévoyance, douze chauffes au lieu de neuf, 5 fr. pour les mineurs et 3 fr. 75 pour les journaliers, et ce n’est que le 2 avril que la grève est régularisée. Ce qu’il y a au début, ce sont des excitations politiques qui priment tout.

Le 21, c’est en criant : Il y a du nouveau à Paris ! que Delay, Mathieu et Vailleau parcourent les galeries des puits Saint-Pierre et Saint-Paul. Les mineurs, obéissant à un ordre insensé, quittent, craintifs, le travail. Les violences se multiplient. Gaudrey frappe, devant un café, un mineur qui se rendait à la mine.

Le 22, Mathieu et Delay empêchent encore les mineurs de rentrer et les insultent.

Le rapporteur continue l’exposition très détaillée, très aggravée des événements que l’on connaît. Attaque infructueuse des portes, attaque de la soufflerie, excursion à Montchanin, sommation brutale aux ingénieurs des mines de ce pays de faire cesser et quitter les travaux. Il parle du calepin de l’ingénieur de Montchanin, qui est enlevé par Seignovert, dit-il ; il affirme qu’on a vu ce dernier avec une barre de fer ; il parle aussi du bâton de Saunier, levé sur un employé, et de la hache de J. Poisot, de la tentative violente de Camberlin et de Lamalle qui résistent brutalement (toujours d’après le rapport) aux contre-maîtres.

Enfin, dit-il, partout sur leur passage les perturbateurs attentent violemment à la liberté du travail. Autres série de faits. Menace aux ouvriers. Le 24, Delay et Bertrand menacent des enfants ; Jordhery, Degueurce, Debarnot, Lasseigne, Batisse, sont coupables de violences ou de menaces. Alemanus a été poursuivi d’abord pour quatre chefs ; il a été condamné pour deux : colportage de journaux sans autorisation et annonce du Réveil, du Rappel, de la Marseillaise et du Grelot avec commentaires interdits.

Le rapporteur passe à la lecture des dépositions des 53 témoins à charge et des 10 témoins à décharge cités par Alemanus, de là aux déclarations des ouvriers qu’il reconnaît être sincères.

Desplanches affirme qu’ils ont agi de leur propre mouvement pour faire grève ; Bertrand qu’ils ne gagnaient pas assez aux mines et Delhomme : «  On ne fait jamais de mal à ses frères ! » Delay, qui était en fuite, Camberlin, Révillot et Batisse se sont spontanément constitués le jour du jugement d’Autun. Lamalle et Delay ont seuls fait défaut.

Les ouvriers qui sont devant vous ont été frappés de condamnations sévères, je le reconnais, vous apprécierez.

Il me reste à présenter quelques considérations sur la grève. En général, nos législations antérieures, en 89, en 91, en 1849, en 1850, l’avaient proscrite, se basant sur ceci, que la grève c’est l’état de guerre, et que la proscrire c’est conjurer un danger social. Cette audience est un enseignement, elle démontre que la grève est la cause de tous les maux. On l’a compris en Angleterre. Un ouvrier anglais, S. Hill, disait dans un meeting, aux applaudissements d’une immense foule ouvrière : « Les grèves ne produisent que du mal, évitons-les, il n’y a d’avantageux que l’union entre le patron et l’ouvrier, cherchons cette union. »

O’Connel disait, lui : « La grève est le despotisme le plus dur et le plus dégradant qui puisse peser sur les ouvriers ; jamais la tyrannie du tzar Pierre et du sultan Mahmoud n’a fait peser sur les peuples une servitude aussi abrutissante que celle des coalitions. »

Un mineur anglais disait : « Les ouvriers seraient bien malheureux s’ils n’avaient pas de maîtres ; ils n’ont de pires tyrans que leurs pareils. » Cependant la loi de 1864 rend la grève licite, et, sur ce point, la législation française est la plus libérale du monde ; elle n’a pas les restrictions qui se trouvent dans les lois anglaise et belge.

En France, on a remplacé le délit de coalition par l’art. 414, punissant d’un emprisonnement de six jours à trois ans et d’une amende de 16 fr. à 6,000 fr. celui qui, par violence ou fraude, porte atteinte à la liberté du travail ; la loi est en cela conforme avec l’esprit de l’économie politique. Turgot affirme que le droit le plus sacré est le droit qu’a tout homme de travailler, et Ad. Schmidt, que le travail est la plus respectable des propriétés, parce qu’elle est la source des autres.

Le rapporteur donne lecture du jugement d’Autun qui est accueilli par quelques murmures, et termine ainsi : « Tout est remis en question devant vous ; à votre sagesse de décider s’il peut être fait une plus grande part à l’indulgence ou si le jugement primitif doit être maintenu. »

Le président passe à l’interrogatoire des prévenus : identité, antécédents, reproches, etc.

Après cet interrogatoire général, il s’adresse à Delay :

« Vous savez bien qu’il est de règle morale de ne pas faire à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Quel était votre but en attentant à la liberté de vos camarades ?

R. On avait fait, le 19 janvier, des réclamations qui n’avaient pas été écoutées ; nous voulions les reprendre. Quand nous faisons des demandes, on le les écoute pas. M. l’ingénieur Boizot nous dit qu’il n’a rien à faire avec nous, d’aller parler à M. Schneider, et M. Schneider nous dit qu’il n’a jamais subi de lois, qu’il n’en subira jamais, et que tant que sa tête portera son chapeau, il n’augmentera pas.

D. Encore une fois, le 21, vous n’aviez fait aucune réclamation.

R. Nous mangions notre pain sec, onze heures durant, sous l’eau qui, tombant d’en haut, nous mouillait ; nous étions fatigués, l’eau nous faisait mal, nous avons dit : « C’est trop peu gagner pour tant de mal, faisons grève. » Et, tous ensemble, nous avons annoncé la grève dans les galeries.

D. Toujours sans avoir fait aucune demande d’augmentation de salaire ?

Le procureur général. — Les salaires sont plus élevés au Creuzot que partout ailleurs.

R. Non, monsieur.

Le président. — Asseyez-vous.

Il reste ceci, que le Grelot annonce le 19 ce qui arrive le 21.

La parole est à Me Frémont.

Je repartirai demain soir en vous apportant le compte rendu de ces débats d’une véritable importance.

À vous,

B. MALON

Nous recevons du citoyen Gromier, détenu à Mazas, la rectification suivante à une note que nous avons publiée dans le numéro du 24 courant, à propos du transfert du citoyen Gromier dans une maison de santé.

Mazas, infirmerie n°118

24 avril 1870

« Cher citoyen Rédacteur de la Marseillaise.

« Votre journal ne pénétrant pas à Mazas, j’apprends par ouï-dire que vous m’avez consacré quelques lignes sympathiques dans la Marseillaise.

« Comme d’après ce que m’a dit l’ami duquel je tiens ce renseignement, il me semble que votre récit n’est pas absolument exact, je prends la liberté, pour l’amour du vrai, de vous adresser, non une rectification, mais une observation que je crois nécessaire.

« On ne m’a point conduit hier chez M. Liebreich, oculiste, pour m’y laisser suivre un traitement.

« Mais, après un examen sommaire de mes yeux, fait ici, par M. Liebreich ; après la volonté formelle de M. de Beauvais, l’habile et dévoué médecin de Mazas, volonté exprimée par écrit à M. Bernier, juge d’instruction ; après délibération judiciaire prise, — j’ai été, hier, mené, entre deux inspecteurs de police, au dispensaire de M. Liebreich, 2, rue Gît-le-Cœur, pour une simple consultation.

« Là, le célèbre praticien-spécialiste, après un long et savant examen circonstancié, m’a donné l’ordonnance requise par ma situation, et, rendu à Mazas, j’ai remis à M. de Beauvais qui la réclamait avec instance, afin de mettre sa responsabilité à couvert, — j’ai remis à ce digne docteur (décoré pour sa belle conduite sur les barricades de Juin 1848) l’avis motivé de son illustre collègue.

« Maintenant, M. de Beauvais, avec sa délicatesse et son obligeance accoutumées, n’a plus qu’à se faire à mon égard l’exécuteur de cette docte ordonnance, — ce dont il s’acquitte parfaitement, méritant ouvertement toute ma gratitude.

« Salut et fraternité,

M. A. GROMIER

Pour extrait : BARBERET

Paris, 24 avril 1870,

Citoyen rédacteur,

Un grand nombre de lecteurs et d’abonnés de la Libre Pensée m’ont témoigné le désir de connaître l’avis de mes collaborateurs et le mien sur le vote ridicule du 8 mai. Notre journal n’étant pas assez riche pour verser au fisc le lourd cautionnement impérial, je vous serais très obligé si vous pouviez donner à notre réponse l’hospitalité de la Marseillaise.

Nous engageons absolument tous nos amis à s’abstenir et à ne tremper en aucune façon dans l’odieuse comédie imaginée par le renégat Ollivier. À ceux que leur position empêche matériellement de s’abstenir, nous conseillons d’inscrire sur leur bulletin le mot RÉPUBLIQUE.

C’est là, suivant nous, la seule conduite digne des libres penseurs révolutionnaires et socialistes.

Salut et égalité

HENRI VERLET

Rédacteur de la Libre Pensée

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La superbe caricature, par Hippolyte Mailly de ce voleur, lâche, et renégat d’Ollivier m’a semblé irrésistible, après que je l’aie trouvée sur Gallica, là

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