Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

133. Lundi 2 mai 1870 

Et voilà !

Il est venu! — Le voilà dans toute sa splendeur.

Ça marchait trop mal, aussi! — Le spectre rouge était usé. — Il ne faisait plus peur à personne.

L’opinion publique le manifestait avec un ensemble merveilleux.

Cela ne pouvait durer.

Il fallait effrayer la province!

On découvre un troisième complot — celui-là contre la vie de l’empereur.

Rien n’y manque, — ni les fameuses bombes, — ni les revolvers à six coups, — ni les poignards, — ni le régicide qui avoue tout ce qu’on veut, dès le premier jour, — qui dénonce ses complices, — sur qui l’on trouve les lettres les plus compromettantes, et des listes, et tout l’attirail ordinaire de ces sortes d’affaires.

Depuis hier, 30 avril, les arrestations ont recommencé dans Paris.

Le gouvernement a de nouveau recours à la force, à l’intimidation.

La police va sans doute chercher encore tous les moyens possibles pour exciter une émotion populaire et amener un désordre… destiné à peser sur les électeurs des campagnes et sur la bourgeoisie timide.

Voici déjà les arrestations.

Demain ce sera le tour des casse-tête.

Après demain, si nous n’y veillons, — attendons-nous à voir reparaître les blouses blanches.

Dans ces circonstances, nous recommandons vivement aux citoyens la plus grande prudence et les plus grand calme.

Ne nous laissons entraîner à aucune irritation, à aucune colère, même la plus légitime.

Usons de nos droits, mais ne permettons pas qu’on tourne l’exercice contre nous-mêmes.

Faisons le vide autour des agents provocateurs.

Du calme! — Le calme n’exclut pas l’énergie.

ARTHUR ARNOULD

les « Lettres de la Bastille » ont, forcément, un peu de retard sur cette actualité ;

les « Nouvelles politiques » sont plus à jour sur les arrestations,

Les principaux organisateurs de l’Internationale (section parisienne), organisation illicite dont le siège est hors de France, ont été mis sous la main de la justice,

dit le Petit officiel (édition du soir du Journal officiel, que ceux qui ignorent l’existence de ce journal se reportent à notre article maison ou à mon roman Comme une rivière bleue — publicité gratuite) ;

vous saurez tout sur ce « nouveau complot » ci-dessous ;

Arthur Arnould rebondit sur la lettre qu’il a reçue et publiée dans le journal d’hier pour un beau « Courrier politique » intitulé « Ce que coûtait la République », je me contente d’informer les lecteurs d’aujourd’hui, comme il le fait pour les siens, qu’en ce temps-là il n’y avait que l’impôt direct ;

« Le Mouvement antiplébiscitaire » suit ;

Rochefort a été élu membre d’honneur de la société française de tempérance de Syracuse (dans l’État de New-York) qui le fait savoir ;

les « Informations » sont mieux renseignées, puisqu’elles font état de quarante-deux arrestations ;

pas de repos pour Maillet-Millière et sa « Question sociale » ;

la suite de l’ « Affaire des grévistes du Creuzot » continue (voir ci-dessous, surtout ne ratez pas la « vallée désolée », c’est un morceau d’anthologie), ce qui veut dire que Malon a donné ou envoyé son article avant d’être arrêté ;

la « Tribune militaire » n’en a pas fini, sous la plume de Louis Noir, avec les mauvais traitements infligés en Afrique aux hommes punis ;

après quelques annonces ;

des comptes rendus de treize réunions antiplébiscitaires ;

des annonces ;

celles de réunions à venir, sauf que Collot ayant été arrêté, la réunion de dimanche après-midi salle de la Marseillaise n’aura pas lieu ;

les « Tribunaux » jugent, encore, le Réveil, et aussi la Rue :

Quelle rafle! Tout saisi, tout puni, tout condamné, de la première à la dernière ligne. Des articles politiques, en veux-tu en voilà! Les condamnations, la Fosse commune, la Canaille, la Faim, la Mort!

On poursuit jusqu’à des vers! Les malheureux!

Le gérant Dacosta et l’imprimeur, Madame Gaittet, font défaut. Aussi le tribunal se montre-t-il largement généreux à leur égard.

M. Dacosta y gagne trois mois de prison et 1,000 fr. d’amende.

Madame Gaittet est gratifiée d’un mois de prison et de 100 fr. d’amende.

Il est bien entendu que les pénalités ne se confondent pas avec celles prononcées contre les mêmes délinquants il y a quinze jours, et que le journal la Rue est retiré par une seconde suppression. Bonne précaution! Cette engeance de journaux, cela a la vie si dure!

c’est signé Puissant, bien sûr ;

« la Bourse » ne s’est pas émue des bruits de complot ;

mais le journal doit (encore) publier une lettre des Baboin (voir les journaux datés du 20 et du 26 avril) ;

théâtres.

UN NOUVEAU COMPLOT

Chaque élection, chaque émotion populaire est accompagnée d’un complot dont l’invention, aussi ingénieuse qu’opportune, est invariablement due à… la police.

Le plébiscite devait avoir son complot ; le complot du plébiscite est arrivé.

Voici en effet les renseignements que nous trouvons dans les journaux du soir, et que nous reproduisons sous toutes réserves :

Hier, vers trois heures, la nouvelle d’un attentat sur la vie de l’empereur s’était répandue dans Paris. La Bourse, un moment impressionnée, avait vite repris son calme et regardé ce bruit comme une fausse nouvelle. Voici, d’après des renseignements dont nous pouvons garantir l’exactitude, ce qui s’est passé :

La police était depuis quelques jours sur les traces d’un nouveau complot. Le départ de M. Ledru-Rollin lui avait donné l’éveil. Hier, à neuf heures du matin, les agents arrêtèrent rue des Moulins un jeune homme qu’ils suivaient depuis quelque temps. On trouva sur lui un revolver tout armé, une somme d’argent assez importante, et une lettre de M. Flourens qui ne laissait aucun doute sur le but qu’il se proposait.

L’individu arrêté était âgé de vingt-deux à vingt-trois ans ; il entra presque immédiatement dans la voie des aveux.

Grâce à ses indications, on mit dans la soirée en état d’arrestation six personnes habitant du côté de Belleville.

Chez l’une d’elles on trouva une caisse de bombes dont l’effet serait, paraît-il, beaucoup plus terrible que celui des bombes Orsini. On trouva encore des revolvers, des cartouches, enfin des papiers établissant que l’Internationale, ayant abandonné le terrain social pour le terrain politique, serait gravement impliquée dans cette affaire que le ministère paraît décidé à poursuivre avec la plus grande énergie. Le but de ce complot était, prétend-on, si l’individu arrêté ne réussissait pas dans sa tentative contre la vie de l’empereur, de profiter du vote du plébiscite pour proclamer la République (Liberté).

Le Figaro donne une description suspecte de ces fameuses bombes ; mais laissons-lui la parole :

Voici la description des bombes :

Elles ressemblent à un de ces gâteaux dit savarins, formant couronne. La partie centrale, au lieu d’être évidée, est pleine et se compose de deux plaques boulonnées ensemble.

Le bord extérieur du boudin de fonte est percé de trous servant à donner de l’air. Dans un de ces trous passe l’extrémité d’un lien en fils de cuivre, attenant à une poignée qui a suffisamment de jeu pour que la bombe puisse être lancée à une grande distance.

Dans l’intérieur de ce boudin circulaire s’emboîtent quatre tubes en verre mince, devant contenir la matière explosible et se fermant à l’aide de bouchons de liège.

L’espace libre est rempli de clous brisés, destinés à broyer les tubes dès que la bombe reçoit un choc, et à former mitraille après avoir enflammé le picrate.

Le diamètre des bombes est d’environ 12 centimètres. On voit qu’elles pourraient facilement se mettre dans la poche d’un paletot.

Notre édition de demain matin en contiendra le dessin exact.

Si le Gaulois ne donne pas demain le dessin des deux bombes, il est perdu ; un journal distancé d’une bombe n’a plus qu’à mourir.

*

Le Public croit pouvoir garantir l’authenticité des renseignements qui suivent :

Depuis quelque temps, le préfet de police était informé qu’un complot se tramait contre la vie de l’empereur et la sûreté de l’État par des réfugiés français à l’étranger, ayant des ramifications avec des chefs du parti avancé demeurant à Paris et avec un certain nombre de chefs de sections de l’Association internationale.

On croyait savoir que le crime serait accompli au moyen de bombes qui devaient être lancées, à la première occasion propice, sur le passage de l’empereur.

Il était aussi question d’un individu ayant appartenu à l’armée qui devait tirer sur Napoléon III un coup de pistolet, en même temps qu’on tenterait une attaque de main contre les Tuileries, la préfecture de police et l’Hôtel de Ville.

Ainsi prévenue, la police veillait attentivement, et bien qu’elle eût déjà, sinon des preuves palpables, du moins des témoignages irrécusables, elle ne pouvait agir : il lui fallait des preuves incontestables.

L’individu soupçonné fut arrêté, et immédiatement conduit devant le commissaire de police et fouillé, on a trouvé sur lui un revolver à six coups chargé. C’est une arme de luxe d’un très grand prix.

À un premier interrogatoire, il commença par nier, malgré les papiers compromettants qui avaient été trouvés sur lui. Ces papiers étaient une suite de lettres et de notes signées par un des chefs du parti et établissant de la façon la plus complète, et le fait d’une conspiration contre la vie de l’empereur et la sûreté de l’État, et celui d’une complicité manifeste.

On a également trouvé sur lui une forte somme d’argent.

Il est bon de remarquer ici que cette somme considérable s’élevait à CENT FRANCS, d’après le Figaro.

Il serait bon que ces messieurs se missent [mettent?] d’accord.

*

Le Public continue :

Après un premier interrogatoire, l’homme arrêté a été conduit chez lui, où une perquisition, faite sous ses yeux, a amené la découverte d’une caisse de bombes, de matières inflammables, d’armes à feu et de papiers compromettants.

Interrogé une seconde fois, l’accusé, après des hésitations et des refus de répondre, a fait des aveux complets. Il était chargé de tuer l’empereur, et n’était dans cette circonstance que l’instrument d’un groupe d’irréconciliables dont il recevait des instructions, tant de la Belgique et de l’Angleterre que de Paris.

Ainsi, en admettant que les faits que nous venons de reproduire soient vrais, c’est-à-dire qu’un homme porteur d’un revolver ait déclaré avoir l’intention de tuer l’empereur, et en supposant qu’on ait trouvé dans Paris des bombes ou autres instruments analogues, le parti révolutionnaire tout entier est déclaré complice, et il va être décimé.

*

Le Moniteur, lui, n’y va pas par quatre chemins, et dans son ardeur plébiscitaire, il ne recule devant rien, et nous révèle des choses vraiment horribles :

On a découvert en divers endroits des bombes chargées, au nombre de 21.

On nous dit à ce propos que l’état-major de la place avait été avisé, il y a quelques jours, que des bombes au picrate de potasse avaient été placées dans les égouts de Paris pour faire sauter la capitale, mais nous donnons ce dernier renseignement sous toutes réserves.

Heureusement le Moniteur ne nous donne ces renseignements que sous toutes réserves ; cela est fort heureux, sans quoi il nous faudrait déserter une ville minée par des scélérats qui veulent s’engloutir eux-mêmes sous les ruines, et dont la rage est telle qu’ils font volontiers le sacrifice de leur propre vie.

Sans les réserves du Moniteur, nos cheveux se dresseraient sur nos têtes, car rien n’est plus désagréable que de vivre sur un volcan, dût-on même utiliser ses loisirs dans les réunions publiques à combattre le plébiscite.

*

Ce qu’il y a de plus triste dans toute cette affaire, et cela est malheureusement plus vrai et plus incontestable que tout ce qui précède, c’est que beaucoup d’arrestations ont été faites.

Voici les noms des citoyens arrêtés :

Greffier, Picourt, Malon, Germain Casse, Collot, Pindy, Héligon, Murat, Landeck, Johannard.

Et malheureusement cette liste, déjà trop longue, n’est pas encore complète.

*

Quelques journaux racontent qu’un citoyen, saisi dans la rue par des agents, a eu l’audace de se sauver. Le misérable !

*

Et dire que des hommes paisibles et inoffensifs, — nous en connaissons plusieurs dont le caractère franc et loyal est au-dessus de tout soupçon, trois d’entre eux appartiennent à la Marseillaise, — sont privés de leur liberté ; que des familles sont plongées dans le deuil et la douleur, parce qu’il fallait peser sur l’opinion publique.

A. DE FONVIELLE

AFFAIRE DES GRÉVISTES DU CREUZOT

TRIBUNAL DE DIJON

CHAMBRE DES APPELS

DE POLICE CORRECTIONNELLE

Séance du 25 avril

Ch. Boysset, dans une argumentation très serrée réduit la prévention à ses véritables limites. En ce qui touche Alemanus surtout, il démontre qu’il ne reste rien de sérieux contre lui, qu’il n’y a pas délit, mais tout au plus contravention.

L’audience est renvoyée à demain.

Séance du 26 avril

Appel des prévenus. Le président annonce à Alemanus qu’il vient de recevoir une dépêche de l’adjoint du Creuzot démentant la demande d’autorisation qu’il dit avoir faite. Alemanus proteste de sa bonne foi.

Le procureur général. — Messieurs, la défense s’est attachée, et c’est son droit, à taxer d’exagération le jugement d’Autun. On a voulu justifier la grève. On a dit que la politique y était étrangère ; qu’elle était motivée par les souffrances de ces ouvriers qui ont voulu regimber contre la herse qui les blessait, qu’ils sont, ces ouvriers, les vaincus, les victimes, dans le grand procès entre le capital et le travail qui agite notre époque.

Si cela était vrai, la défense n’aurait pas de plus ferme appui que le ministère public. Toute âme bien née est touchée des misères de la classe ouvrière. Une des plus pures gloires de ce règne est d’avoir amélioré son sort. L’empereur aime et estime les ouvriers, il l’a montré surtout en accordant le droit de coalition, c’est une grande marque de confiance en leur sagesse.

Si le travail était opprimé hier, il ne l’est plus aujourd’hui ; son droit est entier, devant celui du capital. Parler de cette oppression, c’est commettre un anachronisme. Mais si la loi de 1864 a établi l’égalité de droit entre le patron et sa famille ouvrière, il reste à l’ouvrier le devoir de respecter la dignité de la liberté.

S’ils peuvent se concerter, pour faire valoir leur droit ; s’ils peuvent même ruiner une industrie, ils ne peuvent au nom de ce goût contemporain pour la liberté porter la violence contre les personnes et le pillage contre les propriétés, car ce n’est plus de la coalition, mais de l’oppression. On a dit, que, dans l’état actuel les ouvriers seront toujours vaincus, que l’on comprend mal la loi économique qui régit les salaires.

C’est la concurrence qui fait loi en cette matière ; le patron est intéressé à augmenter les salaires, et quand il ne le fait pas, c’est qu’une force majeure, une loi inexorable, plus puissante que sa volonté, l’en empêche. L’ouvrier en grève peut tout contre le patron, il peut l’amener à la ruine forcée, mais il ne saurait certes le contraindre à la ruine volontaire.

Faisons une page d’histoire :

Aux pieds des montagnes d’Autun, dans une vallée désolée, vivait de pain d’orge et de seigle une population misérable.

Il y avait pourtant des mines, mais les salaires n’y étaient pas rémunérateurs, et le travail des mineurs n’apportait aux ouvriers que ruine et déception.

C’est dans cette vallée du Creuzot qu’un homme doué de la plus belle intelligence, et d’une volonté énergique, M. Schneider, va apporter l’abondance, il va monter les hauts-fourneaux dont la fumée va porter au loin la bonne nouvelle du travail ; l’Angleterre est dépassée, nous possédons la plus belle usine du monde.

L’humble village devient la ville de 30,000 habitants, l’orgueil du département de Saône-et-Loire. Mais ce n’est pas tout ! Cette haute et loyale intelligence élève à des conditions inconnues jusque-là de bien être le sort de l’ouvrier. Ouvriers du Creuzot, vous n’avez pas pu vous insurger sans ingratitude, regardez derrière vous, comparez le pain de seigle de 1837 au pain de froment de 1870, la misère première aux salaires élevés, aux logements premiers pour rien, aux marchandises livrées à prix de revient, à cette caisse de prévoyance si bien organisée qui vous donne la sécurité, aux écoles pour les enfants, à l’église pour les fidèles, à toute cette puissante association enfin si bien dirigée.

Le Creuzot est le centre ouvrier le plus heureux ; il devait être le dernier en grève. Oui, les salaires y sont plus élevés qu’à Épinac, Montceau et Saint-Étienne, la défense nie et m’oppose des statistiques. J’ai mieux qu’elle, j’ai la parole de l’honorable M. Schneider, et je m’y tiens. (Murmures de l’auditoire.) Il y avait au Creuzot un travail mesuré, une concorde jamais troublée et la vieille affection de père que M. Schneider portait à ses ouvriers, n’importe ! une grève éclate qui met la grande usine à deux doigts de sa perte.

Il y a en France un parti qui ne recule devant rien pas même devant les larmes et le sang, pour poursuivre je ne sais quel funèbre idéal, un parti faible et misérable qui ne vit que parce qu’à tort on le craint. Il n’ose plus tenter l’émeute à Paris, il a pour mot d’ordre de secouer sur la France la torche incendiaire, de multiplier les grèves pour ruiner l’industrie, tuer le crédit, désorganiser notre société et régner ensuite sur les débris d’un trône et la misère d’un peuple.

Ouvriers, retirez vos mains calleuses de ces mains gantées. Que peut vous faire ce parti républicain ? qui attaque tout ce que nous aimons, qui conspue tout ce que nous respectons. Que sont ses misérables souscriptions à côté de 15,000 fr. par jour de salaire de M. Schneider ? Nous avons à rassurer la société de cette épouvante jetée au travail, et les promoteurs de désordres, de pillage et d’incendie, à réprimer. Il y a dans cette grève trois circonstances principales :

1° Absence de tout litige entre le capital et le travail ;

2° Concentration des efforts de l’insurrection sur M. Schneider.

3° Mobile politique visible et amplement dévoilé par une certaine presse de Paris, première circonstance. Aucune demande préalable n’est faite, ce n’est que le 2 avril, quand l’insurrection a consommé toutes les violences que des réclamations ont été faites et accueillies avec bonté. On le voit, cette entreprise coupable contre la grande industrie n’a bien que la politique pour mobile, deuxième circonstance. La paternelle administration de M. Schneider est sans rivale aussi bien par le bien-être des ouvriers que par l’organisation industrielle et c’est sur le Creuzot exclusivement que s’acharne l’insurrection épargnant les autres bassins houillers, on va à Montchanin parce que, dit-on, les mines de ce pays appartiennent à M. Schneider. Ce qu’on veut atteindre, ce n’est pas l’industriel, c’est l’homme politique, c’est le président du corps législatif, troisième circonstance.

La Marseillaise et le Grelot annoncent plusieurs jours à l’avance ce qui doit arriver dans cette paisible vallée et leur prophétie sinistre se réalise. La Marseillaise et le Grelot sont distribués à foison par Assi et Alemanus. Les télégrammes se multiplient entre le Creuzot et le n°9 de la rue d’Aboukir. Chaque palpitation de la crise est notée dans les journaux insurrectionnels et n’avons-nous pas vu dans la Marseillaise un article incendiaire où se trouve ce cri d’une éloquence sauvage : la mine aux mineurs, la forge aux forgerons.

Cette grève n’est pas une grève de population, mais de ces mauvais ouvriers, bataillon sacré de l’émeute que l’on trouve dans tous les grands centres. Accusés, je vous le dis, vous ne représentez pas sur ces bancs la classe ouvrière que nous aimons, vous n’êtes pas les enfants du travail, vous avez semé le désordre, vous êtes les instruments de l’émeute, vous avez attaqué la propriété, vous êtes les soldats de la Révolution.

Comment, sans cela expliquerions-nous l’activité d’Assi et d’Alemanus au début des événements ; comment expliquerions-nous ces distributions de 150 Marseillaise, de 50 Rappel, de 30 Réveil, de ces représentants de la presse socialiste qui, depuis deux mois, distille un véritable empoisonnement moral sur notre pays, à une population irritable ? (Murmures de l’auditoire.)

Le président. — Si le public manifeste encore ses sentiments, je fais évacuer la salle.

Le procureur général. — Alemanus est intelligent, il savait bien que quand on sème l’ivraie, on doit s’attendre à la récolte.

La prévention accusait Alemanus de complicité avec la grève, le tribunal d’Autun en a jugé autrement, je ne partage pas ses scrupules. Le 21 mars tandis qu’Alemanus criait Voilà la République universelle qui vient d’arriver, Dulet et Mathieu soulevaient les mineurs au nom de cette République universelle.

Le procureur général dit que ce qui justifie son appel a minima, c’est cette coïncidence entre les dates qui jette une vive lumière sur les débats, ensuite parce que le tribunal d’Autun s’est trompé en ce qui touche Alemanus, qu’il a condamné au nom de la loi de 1834, abrogée par la loi de 1849, au nom de laquelle il va, lui, requérir.

Il fait l’historique des lois sur le colportage, accuse Alemanus de mensonge et de subornation d’un témoin, puisqu’un télégramme de l’adjoint du Creuzot dément son dire en ce qui touche l’autorisation, conclut après examen des faits de complicité de l’accusé avec la grève, et ajoute : Il est bien l’émissaire de cette presse empoisonnée, puisque les excitateurs se dérobent à nos coups, frappons ceux qui tenaient la coupe de poison. Je demande contre Alemanus l’application du maximum de la loi du 27 juillet 1848, soit six mois de prison et 500 fr. d’amende.

De là, en style tragique, il fait l’historique de la grève qui éclate, dit-il, aux cris de Vive Rochefort ! Vive la République ! parle de l’active participation de ce jeune et redoutable bandit, dont la sauvage énergie est la terreur du Creuzot et qui a nom Seignovert. Il poursuit : La défense trouve sévère le jugement d’Autun, moi je dis qu’il faut une punition exemplaire. La sévérité des juges d’Autun a été salutaire et son premier résultat a été d’effrayer l’insurrection, de la vaincre et de faire reprendre le travail dans les mines. Que diriez-vous d’un médecin qui, en présence d’un mal très-grave, se contenterait d’employer des palliatifs impuissants, au lieu d’employer des topiques énergiques.

Nous étions les médecins de ce mal social, nous l’avons étudié en tremblant, non pas pour nos personnes, car quand le bien public est en jeu le danger nous est indifférent, mais pour cette population que les excitations et les agents de la presse socialiste pouvaient d’un moment à l’autre précipiter sur les baïonnettes et, suppliants, nous invoquions la providence de ne pas laisser répandre le sang même coupable. Dieu nous a évité cette douleur, mais nous ne pouvons pardonner à ces hommes fauteurs de guerre civile qui nous en ont donné les angoisses.

Ils faut de la pitié, dites-vous, ils faut d’abord de la justice, j’en ai, moi aussi de la pitié, mais ce n’est pas pour ces frelons audacieux qui imposaient la privation des salaires, qui envoyaient lâchement leur femmes et leurs enfants empêcher le travail sur les puits, qui opprimaient, épouvantaient l’ouvrier pauvre et honnête ; je n’ai pas de la pitié pour les oppresseurs, mais pour leurs victimes. Je demande, en ce qui touche les mineurs, la confirmation du jugement d’Autun.

La parole est donnée à Me Boysset, ancien représentant du peuple.

Mouvement général d’attention : plusieurs auditeurs, sortis pendant le débit du réquisitoire, se hâtent de rentrer.

Messieurs,

J’ai besoin de toute votre indulgence, aujourd’hui surtout, en raison de l’état de souffrance extrême où je me trouve, en raison de la gravité de l’affaire qui vous est soumise, après le réquisitoire de M. le procureur général, dont la parole est d’une si éclatante autorité.

On vient de vous parler dans une péroraison ardente des nécessités de la répression, on a, à l’avance, essayé de vous prémunir contre toute idée, tout sentiment de commisération et de clémence. On a fait appel à des souvenirs irritants, on a évoqué des fantômes de guerre civile ; au lieu de parler de modération, de prêcher la conciliation, on a en quelque sorte demandé la vengeance, qui appelle de si terribles représailles ; je le déplore, et je trouve qu’on a eu tort d’égarer ainsi le débat.

On vous a parlé aussi de sévérités nécessaires, et, à ce propos, on fait une comparaison à laquelle on n’a pas pris garde. On vous a montré un malade atteint d’une fièvre ardente, pernicieuse, et on vous a demandé de ne pas lui appliquer des topiques anodins, inoffensifs, des palliatifs impuissants. Eh bien, je retourne votre métaphore, et je vous demande ce que vous me diriez d’un médecin qui, alors que la plaie n’est que superficielle, trancherait le membre considéré comme inutile.

Quittons ce terrain des métaphores hasardeuses, et tâchons de nous maintenir dans le domaine de la justice et de la modération dont on n’aurait pas dû sortir. Ne refusez pas de la pitié et de l’indulgence à ces pauvres ouvriers, que la misère et l’ignorance seules ont pu conduire sur ces bancs attristés.

Des applaudissements bruyants éclatent dans l’auditoire. Le président ordonne de faire évacuer la salle, en recourant, s’il est besoin, au poste voisin.

La suite à demain.

B. MALON

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Voyez donc toutes les bombes à la une du Figaro pas de meilleure qualité technique que notre reproduction de la Marseillaise, mais pourtant sur Gallica, là (c’est le numéro daté du 2 mai).

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).