Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

135. Mercredi 4 mai 1870

Cela commence par les « Fantaisies politiques » que, pour une fois, je vais vous garder ;

il y a ensuite des « Nouvelles politiques », parmi lesquelles le fait que Cernuschi qui a été expulsé (journal d’hier) pour avoir donné cent mille francs (journal daté du 27 avril) vient d’envoyer cent autres mille francs au comité central antiplébiscitaire et, à Constantine, l’affaire « de Tebessa » (massacre d’une caravane, voir le journal daté du 8 janvier), qui réunit du beau monde, puisque le conseil de guerre est présidé par Faidherbe et contient Galliffet, alors que Jules Favre est au banc de la défense ;

dans son « Courrier politique », Arthur Arnould, sous l’inévitable titre « Le Plébiscite et le Complot », celui-ci tombe en effet vraiment (trop) bien, juste avant celui-là ;

c’est même « Quatre complots », dont A. de Fonvielle fait la liste ;

dans les « Informations », notez la parution de la brochure Le plébiscite impérial, brochure de Rogeard, « appelée à un immense succès » ;

des employés du télégraphe protestent contre une lettre parue dans le numéro daté du 2 mai ;

le « Bulletin du mouvement social » fait état, encore une fois, des grèves, sachez que celle des fondeurs continue, que celle des raffineurs peut être considérée comme terminée, que les grèves annoncées des ouvriers du papier peint, des peintres en bâtiment et des mécaniciens de chemin de fer n’auront pas lieu, mais qu’il y a aussi des grèves en province, les ouvriers des fonderies de Carcassonne, les maçons de Narbonne, les ouvriers sur métaux de Lyon, les imprimeurs sur étoffe de Neuville-sur-Saône, les ouvriers des forges de Blamont (dans la Meurthe) et les tailleurs sur verre d’Abreschviller ;

l’ancien représentant du peuple Jules Maigne (un des condamnés du 13 juin) écrit de Heidelberg pour appeler au vote par bulletin inconstitutionnel ;

suivent des nouvelles du « Mouvement antiplébiscitaire » ;

puis treize comptes rendus de réunions tout aussi antiplébiscitaires ;

les adresses des citoyens auxquels envoyer les journaux pour la province, les souscriptions, les adhésions, sont rappelées ;

il y a des annonces ;

des « Faits divers », de la météo et un horrible assassinat ;

le neuvième article de la série « La question des chemins de fer » suit, toujours sous la signature d’Antoine Arnaud ;

il y a des annonces ;

des réunions publiques, dont une lecture de poésie par Mademoiselle Agar au bénéfice de Rodolphe Bresdin (voir le journal daté du 24 avril et la gravure ci-dessus) ;

les « Tribunaux » rendent compte d’un conseil de guerre à Marseille, une histoire qui a commencé parce qu’un militaire joueur de grosse caisse a… dans la casquette d’un camarade ;

la Bourse « ne paraît pas s’émouvoir du tout du bruit de complots » ;

il reste les théâtres et des annonces.

FANTAISIES POLITIQUES

Montrez nous la Lettre

Je n’ai pas l’intention de faire ressortir la candeur virginale du gouvernement qui, ayant saisi dans une rue inconnue, chez un homme qui ne l’est pas moins, vingt-deux bombes d’une force explosive sans exemple jusqu’à nos jours, s’empresse d’en faire publier le mécanisme et la composition par M. de Villemessant, l’héritier naturel de Charles de Bussy, mort dernièrement au coin d’une borne.

Ces engins, nous dit le Figaro, ont une puissance de destruction quatre fois plus grande que les bombes Orsini. Or, vous savez que ces dernières ont tué ou blessé cent quarante personnes et fait fuir un escadron de cavalerie jusqu’au bout de la rue Rossini. Jugez un peu des effets que produiraient celles dont il s’agit. En voici, du reste, le dessin avec la manière de s’en servir. Vous voyez à quel point il est facile de se débarrasser d’un pouvoir qui devient intolérable.

[lanterne]

Je n’insisterai pas non plus sur l’étrange disparition du possesseur de ces vingt-deux bombes, sur lequel la police continue à ne pouvoir mettre la main ; parce que si je donnais à ce fait trop d’importance, je semblerais insinuer que M. Ollivier a pris la peine de venir apporter lui-même les projectiles à l’endroit indiqué, afin d’être plus sûr qu’on les y saisirait.

*

Je ne me demande pas comment le gouvernement ignorait l’existence de l’Internationale, société de travailleurs qui compte en Europe environ deux millions d’adhérents, et cent vingt-cinq mille seulement à Paris. Heureuse police, qui s’aperçoit juste la veille d’un plébiscite que la capitale, dont elle a la garde, possède depuis six ans dans son sein cent vingt-cinq mille conspirateurs, dont pas un agent n’avait jusqu’ici découvert l’existence.

[lanterne]

Ces invraisemblances ont une incontestable portée ; mais je les néglige. Ce qu’il nous faut, et tout de suite, et sans barguigner, c’est la lettre signée : Gustave Flourens, que la Liberté, le Figaro et autres feuilles plébiscitaires annoncent avoir été trouvées sur le nommé Beaury, et dans laquelle notre ami donnerait audit Beaury les détails les plus circonstanciés sur la façon de s’y prendre pour tuer l’empereur.

En effet, on a tout publié, depuis la forme des bombes jusqu’à la façon dont le policier Lagrange a arrêté le prévenu en l’appelant Camille, mais on n’a pas donné une seule fois le texte de la lettre, qui est la seule pièce concluante.

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Eh quoi ! vous avez entre les mains la preuve irréfutable d’un projet d’attentat contre la vie de celui dont j’ose à peine écrire ici le nom, moi indigne. Vous savez, en outre, à n’en pas douter qu’attendu la déconsidération et les habitudes de mensonge bien connues du chef du cabinet, personne en Europe ne croit à vos picrates. Et quand vous avez dans la main les documents nécessaires pour convertir les plus récalcitrants, vous ne les insérez pas dans votre grand et votre petit Officiel ? Vous ne les faites pas afficher dans les quarante-trois mille communes de France ?

Voilà réellement qui est pousser trop loin la réserve. Parole d’honneur, on n’est pas discret à ce point-là ! Que contient-elle donc, cette fameuse lettre dont on parle toujours et qu’on ne lit jamais ? Est-ce qu’on y apprendrait qu’Émile Ollivier est aussi du complot ? Au fait, ce serait bien possible : ce grand’croix de la Légion d’honneur a eu tant de manières de voir tuées sous lui !

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Tout ce que nous savons, quant à présent, de ce mystérieux écrit, c’est que Flourens conseille à son prétendu complice de ne pas se montrer en plein jour. Or, un déserteur qui rentre à Paris pour régler des affaires de famille, a, en effet, à prendre cette précaution essentielle de ne sortir que le soir, afin de ne pas être reconnu ni arrêté.

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Les journaux, pour lesquels Charles de Bussy intercède actuellement auprès de Dieu, ont dit, il est vrai, que ce Beaury a été trouvé armé d’un revolver à six coups. D’abord tous les revolvers sont à six coups, car à peine sont-ils d’un coup qu’il deviennent des pistolets. En second lieu tout le monde a, aujourd’hui, des revolvers, même Pierre Bonaparte, et vous savez qu’il a été acquitté.

[lanterne]

La seule pièce à laquelle nous ajouterons foi, c’est donc la lettre avec et y compris les détails annoncés. Pas de lettre, pas de complot. Le plébiscite n’est plus qu’un prétexte à coup d’État, et M. Ollivier, ce traître de première classe devient un Vidocq de bas étage.

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M. de Villemessant s’étant fait dans cette affaire le chef des argousins réunis, et M. de Girardin, le sous-chef, ces deux gentilshommes sont tenus de nous éclairer. Que le répugnant Villemessant soit encore bafoué et obligé de reconnaître qu’il n’a dessiné des bombes et annoncé des lettres que pour augmenter son tirage, quitte à contribuer à l’arrestation de cinquante personnes, c’est là un fait sans conséquence, ce soutien de l’empire étant déjà dégradé au point de ne pouvoir même pas être décore, puisqu’il est failli.

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Mais M. de Girardin, tout sexagénaire qu’il est, a conservé les plus hautes prétentions. Il couve un portefeuille de ses yeux ronds, comme un émouchet guetterait une belette. Il est de ceux dont le poète des Châtiments a pu écrire :

Il s’offrait au vainqueur après la loi tuée ;

Et pour qu’il lâchât prise aux yeux de tout Paris,

Il fallut qu’on lui dît : « Vieille prostituée,

Vois-donc tes cheveux gris. »

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Or, tant qu’il ne nous aura pas fourni la lettre promise, l’Émile, ami de l’autre Émile, passera aux yeux de tous, et particulièrement aux nôtres, pour le compère de la nouvelle comédie qui se joue.

Car, s’il est établi que l’attentat contre la vie de l’empereur n’a jamais existé, le plébiscite ne serait plus seulement une souricière, — il serait une escroquerie.

[lanterne]

HENRI DANGERVILLE

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J’ai trouvé l’estampe de Bresdin utilisée en couverture, Le Bon Samaritain, sur Gallica, là

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).