Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
137. Vendredi 6 mai 1870
Ça commence comme hier ;
ça continue par un éditorial « Fantaisies politiques » de Dangerville-Rochefort, « La confiance ne se donne pas », et personne ne croit au complot ;
voici les « Nouvelles politiques », on attend toujours la lettre, cette horrible lettre de Flourens, d’ailleurs, à Londres, Flourens a nié formellement avoir participé au complot; toujours à Londres, une réunion de l’Association internationale des travailleurs a adopté une résolution qui dit que
l’Association n’a pas d’autre but que l’émancipation économique des classes ouvrières. Elle ne conspire jamais secrètement, mais toujours publiquement dans ce but.
Arnould titre son « Courrier politique » « La raison », et il y appelle à se défier de la police et de ses provocations ;
« Le complot et le plébiscite » présente un texticule détestable intitulé « Complot contre la vie de l’empereur » ;
je vous garde le délicieux « Complot devant la science » (ci-dessous) ;
le titre des « Soldats devant l’urne » dit bien de quoi il s’agit ;
je vous passe presque tout « Victor Hugo et le plébiscite », dont le contenu vient bien sûr du Rappel, mais je ne résiste pas à citer la fin, la seule question qu’Hugo reconnaît à l’empereur le droit de faire :
Dois-je quitter les Tuileries pour la Conciergerie et me mettre à la disposition de la justice ?
et je vous laisse deviner ce que le grand homme voterait dans ce cas ;
dans les « Informations », les arrestations se poursuivent, à Marseille, à Rouen où Aubry a été arrêté (et je me permets d’ajouter que c’est alors que toutes les lettres de Varlin que l’on peut lire aujourd’hui ont été saisies), différents orateurs de réunions antiplébiscitaires sont poursuivis pour offense à l’empereur, après Humbert (voir le journal d’hier), notamment Lissagaray et Passedouet ;
lettre assez comique de démocrates strasbourgeois, sous le titre « L’Encrier » ;
liste de souscription pour indemniser Rochefort de la perte de son traitement ;
je vous garde le magnifique franc parler des ouvriers fondeurs en fer, ne le ratez pas! je vous informe déjà que leurs patrons ne travaillent pas aux pièces ;
une lettre annonce qu’il n’a jamais été question de grève des papiers peints ;
des délégués des peintres en bâtiment sont allés défendre les intérêts d’un des leurs aux prudhommes et se sont fait répondre que celui-ci ne pouvait déléguer ses pouvoirs au conseil de sa chambre ouvrière, mais alors, pourquoi existe-t-elle, cette chambre ?;
un nouveau manifeste, dans « Le Mouvement antiplébiscitaire », celui des « ouvriers parisiens » aux « habitants des campagnes » ;
il y a des « Échos » ;
il y a des annonces ;
des « Faits divers » ;
une « Communication ouvrière » pour les employés de la papeterie ;
des annonces de réunions publiques ;
en « Variétés », des notes de lecture du « Plébiscite impérial » de Rogeard (dont il a été question dans le journal daté du 4 mai), par Victor Jaclard ;
liste de souscription ;
les « Tribunaux » sont, aujourd’hui, contre le Réveil, contre un républicain qui a affiché son Vive la République ! sur les murs, une authentique provocation ;
« La Rampe » ;
« La Bourse » ;
les théâtres.
LE COMPLOT DEVANT LA SCIENCE
J’ignore d’après quel dessinateur maladroit ont été reproduits les croquis de bombes explosibles donnés par différents journaux, mais l’absence d’échelle de proportion, le manque absolu de correspondance entre les parties semblables des plans, coupes et élévations, ont empêché d’y rien comprendre.
La lecture des différentes explications jointes à ces singuliers croquis, n’a pu, d’autre part, apporter aucun éclaircissement nouveau.
J’ai bien lu qu’une main de duchesse suffirait à peine à tenir la poignée dont la longueur seule est indiquée : 8 centimètres 1 millimètre disent les uns ; 15 centimètres, disent les autres ; quel serait le pouce d’une main qui s’appliquerait à une poignée de cette dimension.
J’ai bien lu que dans 18 rainures cylindriques glissaient 18 clous ordinaires dont la forme pyramidale s’oppose naturellement au glissement.
Mais, en revanche, j’ai cueilli la proposition scientifique suivante :
En examinant une des bombes saisies, j’avais reconnu, à certains signes particuliers, que les deux disques formant les projectiles étaient fondus dans une grande ville, où l’on utilise le vieux fer pour fondre en troisième fusion, ce qu’on appelle fonte douce ou fonte malléable.
En trois lignes, deux absurdités capitales.
1° On ne fait pas de la fonte avec du fer, par cette seule raison que le fer ne fond pas dans un fourneau de cuisine, ni ailleurs ; et, d’autre part, le fer n’est autre chose que de la fonte débarrassée de son carbone ; ce serait vraiment singulier que d’aller, la chose fût-elle possible, prendre du métal épuré pour confectionner avec lui de la fonte impure.
2° La fonte malléable, qui n’est pas la fonte douce, est un produit de première et non de troisième fusion.
Tout cela n’est rien auprès de la composition de la poudre fulminante elle-même.
Tout d’abord, c’était simplement du picrate de potasse : on s’était trompé. C’est un fait absolument établi aujourd’hui, que le picrate de potasse, seul et sans mélange, ne détonne que par le contact d’une flamme ; et que l’on peut frapper cette substance à coups répétés de marteau sans danger.
Aussi s’est-on rabattu sur la composition suivante :
20 parties de chlorate de potasse ;
10 de prussiate de potasse ;
5 de fleur de soufre en poudre.
Il n’est point d’élève chimiste qui n’ait souvent fait éclater à chaud, sous la hotte de son fourneau, du chlorate de postasse, et le verre à réactifs n’en souffrait pas lui-même.
Quant au prussiate, c’était jusqu’à présent un corps doué de propriétés vénéneuses, se décomposant au feu, et susceptible de faire avec le cyanure de fer un excellent bleu de Prusse, mais qui doit s’étonner fort aujourd’hui, de se trouver en compagnie du soufre dans la composition d’un fulminate, assez terrible pour se prêter à la trituration suivante : — « Puis le mélange fait, broyé avec un pilon de bois dans un mortier de bois, » alors que personne n’ignore toutes les précautions prises dans la fabrication de la poudre ordinaire, peu dangereuse en comparaison.
J’aurais compris du moins la présence de quelque peu d’azotate, à l’effet de rendre la combinaison suffisamment brisante pour faire éclater simplement les petits tubes de verre manométriques, placés à l’intérieur de ces moyeux de vélocipèdes, dont l’imagination terrifiée de M. Lepet a si rapidement fait des engins destructeurs.
Et puis qu’en eût-on fait d’ailleurs ? À qui fera-t-on croire qu’avec de pareilles bombes, du jour au lendemain, on pourrait faire sauter à Paris les édifices publics et impériaux ?
Le moindre pionnier du génie, le moindre ouvrier mineur eût appris à M. Pietri, à M. Ollivier, que pour faire sauter une maison quelconque en pierre de taille, un travail souterrain est absolument nécessaire, et que, pour venir à bout d’exécuter les différentes galeries, les rameaux, les ramifications, les boyaux indispensables au placement des engins dans les fondations, il eût fallu de nombreuses escouades de travailleurs, travaillant jour et nuit, deux mois au moins, sans être inquiétés.
À quoi donc servent les comités de génie, d’artillerie, de fortifications ?
Et si l’on ne voulait pas, avant de s’engager dans cette voie du complot, si cruelle dans ses effets immédiats ; si l’on ne voulait pas déranger ces hommes compétents en la matière, le dernier cancre de mathématiques spéciales suffisait pour en démontrer la maladresse et l’ineptie.
Décidément, tout cela n’est pas bien fort ni bien dangereux, et les fameuses bombes, préparées pour éclater en province, y feront long feu, comme à Paris.
GEORGES CAVALIER
Ancien élève de l’École polytechnique et de l’École des mines
Messieurs les fondeurs de Paris,
Votre réponse du 28 de l’écoulé n’a étonné que ceux auxquels vous l’avez soumise.
Dans votre considérant, vous invoquez les principes de 89, mais vous savez bien que notre demande n’a rien dans sa substance qui les détruise.
Vous parlez de liberté pour tous et de tous, nous sommes d’accord sur ce point ; c’est pourquoi nous ne pouvons laisser circonscrire nos droits et nos devoirs par la cupidité, l’arbitraire et les fautes de plusieurs d’entre vous. Le cercle restreint dans lequel nous sommes comprimés ne nous permet plus de faire respecter nos droits ni de remplir nos devoirs. Nous n’apercevons même pas, dans les limites qui nous sont opposées de toutes parts, cette « grande loi de l’offre et de la demande. »
Examinons nos demandes et nos [vos] réponses :
1° Élévation du salaire à 60 centimes l’heure, etc.
Vous y trouvez de l’injustice pour les jeunes gens dont les aptitudes laisseraient encore à désirer ; c’est nous dire que vous ne voulez faire aucun sacrifice, pas même pour cette proie (les jeunes gens) qui pourrait vous échapper avant d’avoir surabondamment grossi votre caisse.
Vous objectez plus loin que la demande est inhumaine. Vous n’aviez donc pas encore regardé de quel côté vient l’inhumanité ? Serait-ce du côté de la demande ? Hélas non ! Elle existe dans les procédés des patrons, qui, loin de se conformer à certaines institutions jettent hors de l’atelier le laborieux père de famille qui, à un âge avancé (cinquante ans au plus), est courbé sous le poids des douleurs et des r[humatismes?] seul héritage que lui lègue le métier.
Votre réponse tend à éliminer deux classes, les jeunes et les vieux ; les jeunes sont cependant destinés à enrichir votre progéniture, de même que les vieux courbés à vos côtés vous ont faits ce que vous êtes.
Et ne remarquons-nous pas aussi dans votre réponse un silence coupable à l’égard de ces vaillants travailleurs à qui vous n’avez à reprocher ni la jeunesse, ni la vieillesse, et à qui cependant vous offrez sans gêne de 4 à 5 francs. Répondez, Mme veuve Thiébaut, Brosu et collègues.
Et vous vous armez de votre loi primordiale : offre et demande ! Qu’avons-nous à voir avec cette loi qui n’est sanctionnée que par votre ambition et votre concurrence.
2° Suppression complète et immédiate du marchandage et du travail aux pièces.
Vous répondez : On ne peut le supprimer en principe parce qu’il fournit à l’ouvrier le moyen de développer à son profit son activité, son intelligence et sa science acquise.
Nous disons, nous, que le contraire a fatalement lieu : L’ouvrier aux pièces n’achève pas son travail comme à la journée. Sa science acquise rétrograde, et son intelligence tombe dans la torpeur. Il développe à son profit son activité, dites-vous. Voyons un peu les faits tels qu’ils se passent.
Quand vous avez soumis une commande quelconque à un ouvrier, et qu’il est arrivé une première fois à faire une journée rondelette, tout en épuisant ses forces, pourriez-vous citer un seul cas où vous auriez laissé la commande une seconde fois au même prix ? Et si vous remettez une troisième commande dans une autre main, n’est-ce pas pour en obtenir encore une réduction de prix ? De là un avilissement progressif du salaire. Vous arrivez enfin à remettre ce même travail à la journée avec l’exigence arbitraire d’une production égale à celle du travail aux pièces. Voilà le côté moral et l’amélioration pacifique du salaire.
En droit, dites-vous également, on ne peut le supprimer. Vous n’avez pas connaissance de l’usage pratiqué par les prud’hommes.
Un entrepreneur est forcé de payer la main-d’œuvre quels que soient son gain et sa perte. En outre, si chaque ouvrier avait une journée rémunératrice, vous trouveriez difficilement des marchandeurs et sous-marchandeurs.
3° Abolition des heures supplémentaires, à moins d’être payées double.
Nous reconnaissons avec vous que le travail de la fonderie, par sa nature même, comporte des exigences et des accidents de moulage qui peuvent parfois entraîner des heures supplémentaires ; mais les heures supplémentaires venant d’une telle source ne se reproduisent qu’à de très rares intervalles, et ne peuvent conséquemment légitimer votre résistance en cet endroit.
Vous n’avez donc pas encore vu, messieurs, que nous voulons humanitairement faire travailler le plus de monde possible en nous contentant de notre journée, et empêcher MM. Cail et beaucoup de leurs collègues de faire travailler 14 et 15 heures en moyenne par jour.
Payez double ceux dont vous prolongez le travail jusqu’à 10 heures du soir, ou alors occupez les malheureux pères de familles qui battent le pavé de Paris.
Et d’ailleurs, n’y voyez-vous pas aussi une tendance à la régularité de l’ouvrier.
4° Nomination des chefs, etc. Vous savez parfaitement, Messieurs, et vous en avez été informés, que cette demande a été éliminée du programme des réclamations, et qu’elle a été remplacée par la demande de paye tous les deux samedis.
Il vous était inutile de statuer sur cette demande ; aussi sommes-nous tout disposés à croire que vous ne travailliez pas aux pièces du 16 au 28 avril, temps durant lequel vous avez formulé votre réponse.
Nous sommes, Messieurs, en attendant votre adhésion,
Les ouvriers fondeurs en fer,
Pour la corporation,
Le Comité
Pour copie conforme : BARBERET
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L’image de couverture représente le Comité central plébiscitaire, la droite bonapartiste, en les personnes de MM. d’Albuféra, de la Guéronnière, Bouët-Villaumez (un amiral), de Lagrange (un comte), et les journalistes Émile de Girardin et Clément Duvernois (qui devait regretter de ne pas s’appeler Du Vernois). Jean-Pierre Bonnet me propose l’identification suivante, de gauche à droite et de face, Bouët-Villaumez, Duvernois, de la Guéronière, d’Albuféra, Girardin, et de dos Lagrange. J’ai trouvé cette estampe sur Gallica, là.
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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).