Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
142. Mercredi 11 mai 1870
[La une est encore consacrée aux résultats du plébiscite, sous le gros titre
Plébiscite du 8 mai 1870
La Marseillaise donnera le résultat définitif des scrutins quand le nombre des bulletins blancs, inconstitutionnels et des abstentions sera parfaitement connu.
avec juste le début de l’article « Le Scrutin », d’Arthur Arnould, bien sûr, qui fait une arithmétique électorale alambiquée avec des classifications un peu douteuses, que vous lirez ci-dessous, bien sûr ;
les nouvelles qui suivent portent le titre « Journée du 9 », Paris est en état de siège ;
puis « Soirée du 9 », c’est un véritable reportage de Francis Enne, qui s’est promené dans Paris, y a même vu une barricade éphémère, rue de la Folie-Méricourt, construite par des « blouses blanches » (provocateurs policiers), et quelques brutalités policières dans le même quartier,
M. Ollivier a inutilement essayé de provoquer une émeute ;
les officielles « Nouvelles politiques » sont fort rares ;
on pouvait s’y attendre, mais ça n’empêche pas Eugène Mourot de s’en indigner, les feuilles bonapartistes ont la prétention inouïe de s’attribuer tout ou partie des abstentions ;
encore un internationaliste arrêté, c’est Franquin, un lithographe, et ce sont les « Informations », qui confirment aussi le reportage de Francis Enne sur l’état de siège à Paris ;
l’exposition Courbet à Dijon est annoncée comme hier ;
il y a là un épisode du vrai feuilleton de Claretie, mais il n’y a plus de numéro, que les fidèles lecteurs se débrouillent ;
il y a d’ailleurs aussi une suite de la « Question sociale » de Jacques Maillet-Millière ;
des citoyens réunis rue de Lyon le 7 mai ont voté un manifeste au peuple anglais, ils comptent sur lui pour faire respecter le droit d’asile (et empêcher, notamment l’extradition de Flourens) ;
je passe les « Échos » ;
il y a des « Faits divers », en particulier des observations géologiques que je vous garde, un peu d’histoire de Paris ne nous fera pas de mal (voir ci-dessous) ;
des « Tribunaux », ne ratez pas l’article sur le vagabondage de Puissant, qui précède le très long compte rendu du conseil de guerre de Constantine sur la massacre de Tebessa, copié dans le Moniteur universel ; il rest un tout petit peu de place pous des annonces, des théâtres et la Bourse.
LE SCRUTIN
C’est une victoire, — il ne faut pas s’y tromper, — une victoire incontestable.
Paris, — avec les abstentions, dont le caractère profondément radical ne peut être douteux après les professions de foi de la Marseillaise, — s’est prononcé par DEUX CENT QUARANTE-SEPT MILLE VOIX contre cent trente neuf mille : — c’est une majorité des deux tiers !
Voilà ce que dit le chiffre brut.
Mais de quelle quantité faut-il diminuer ce chiffre, si l’on en retranche les gardes de Paris, les sergents de ville, les innombrables agents de M. Pietri, les fonctionnaires publics, et la masse considérable des hommes que leur position ou leur traitement mettent dans la main du gouvernement quel qu’il soit ?
Ces réductions faites, — et nous avons le droit de les faire, comme le gouvernement — soyez-en bien sûrs — les fait lui-même, in petto, — à combien se monte le nombre des citoyens qui ont sincèrement, par conviction, par amour, voté pour l’empire ?
Il en a été de même, dans toutes les grandes cilles, — à Lyon, à Bordeaux, à Marseille, à Rouen, à Nantes, à Toulouse, à Nîmes, etc., etc. — Les OUI ont été en minorité écrasante.
Dans plusieurs de ces villes, les voix récoltées par l’empire sont même de beaucoup inférieures à celles qu’il a réunies dans Paris, où se trouve concentrée une énorme population officielle, vivant du pouvoir.
Ainsi à Marseille, nous avons 30,000 non et 22,00 abstentions contre 14,000 OUI.
Défalquez de ces 14,000 oui toutes les non-valeurs en gendarmes, agents de police, fonctionnaires de toute nature, et vous arrivez presque au néant.
Comme nous l’espérions, dans tous les grands centres où il existe une activité intellectuelle, où l’on rencontre des hommes éclairés qui pensent, qui lisent, qui savent, les populations — sans se laisser effrayer par le solde de complots que le gouvernement a jeté sur la place à la dernière heure, — ont prononcé le verdict énergique que nous attendions d’elles, — soit par des votes négatifs, soit par des abstentions considérables.
Quant aux campagnes, où ne pénètrent point les journaux, où le gouvernement a seul la parole, où les agents du préfet et du maire ont pu dire ce qu’ils ont voulu, et fausser avec préméditation le sens de la question posée au pays, — le scrutin a été également ce qu’il devait, ce qu’il pouvait être.
Le pouvoir, d’ailleurs, s’était réservé le droit exclusif d’affichage, et, pendant qu’il inondait les communes de la prose de M. Duvernois et de celle de M. Dréolle, il arrêtait à la poste les journaux démocratiques envoyés par les soins du comité de la gauche, ou du comité central républicain.
Même là pourtant, il y a eu d’honorables minorités, et d’autant plus précieuses qu’il a fallu des hommes bien résolus et bien convaincus pour résister à une pareille pression, pour deviner la vérité à travers la muraille de mensonges et de calomnies qui se dressait entre eux et la lumière.
Dans beaucoup de communes, les électeurs ruraux ont marché au scrutin par troupes joyeuses, en criant : Vive la liberté !
Pauvres gens, esprits simples, cœurs droits, qui croyaient voter pour la liberté, quand ils votaient pour Ollivier et sa politique !
Sont-ce là des votes dont un gouvernement puisse se vanter, sur lesquels il puisse s’appuyer ?
Et n’avons-nous pas le droit de dire hautement que ces électeurs qui acclament la liberté, en allant au scrutin, ont, eux aussi, voté pour elle, — et, en conséquence, contre le régime actuel ?
Quant à l’armée, nous l’avouons, elle nous a causé une véritable surprise.
Nous n’attendions pas, disons le franchement, une victoire aussi complète, un triomphe aussi caractérisé !
Nous savions bien que sous l’uniforme du soldat battait le cœur du citoyen, — mais nous craignions que la pression de la discipline, après toutes les mesures prises par l’autorité pour isoler l’armée au moment du vote, ne lui arrachât, grâce à la terreur, un acquiescement presque unanime.
Il n’en a rien été.
Les soldats citoyens ont compris leur devoir. — Ils l’ont courageusement accompli.
Ils ont compris aussi que la démocratie, — qui doit affranchir tous les opprimés — commencerait par les affranchir tout d’abord, eux, les derniers esclaves du monde moderne.
Ils lui ont tendu la main, — la démocratie s’en souviendra !
Maintenant, de quelque façon que le pouvoir s’y prenne, — la victoire morale est à nous, puisque nous avons pour nous tous les votes conscients, intelligents, éclairés, désintéressés, — les votes des villes et une notable partie des votes de l’armée elle-même, — composée de fils de paysans, mais jetée au milieu du mouvement irrésistible des grands centres.
Pour cacher cette défaite, — le gouvernement n’a qu’un moyen, un seul ; — c’est d’opposer le chiffre des NON au chiffre des OUI, en négligeant les ABSTENTIONS, les bulletins blancs et les bulletins inconstitutionnels.
C’est ce que nous avions prévu, quand nous prêchions l’abstention, et c’est ce qu’on eût évité, en se ralliant à notre système, qui était le meilleur, non seulement au point de vue du principe absolu, mais encore au point de vue de la vraie tactique.
Le gouvernement va jouer sur le chiffre des NON et des OUI.
Soit : — ce jeu ne trompera personne.
On sait fort bien que les abstentions sont contre lui, et que le total des non ne représente que la moitié des forces démocratiques républicaines de la nation.
Il y a 1,500,000 NON — mais il y aura au moins autant ou plus d’abstentions, — ce qui fait que le tiers des électeurs aura refusé au gouvernement le vote de confiance qu’il leur demandait.
Des deux tiers restant, récusez, comme on le doit, un tiers de soldats, de fonctionnaires, de pensionnés de l’État, de paysans trompés ou ne comprenant même pas la portée du vote qu’ils émettent, et vous arrivez à ce résultat incontestable que c’est à peine si le gouvernement peut s’attribuer un tiers de votes favorables — lequel tiers se compose de cette masse indifférente et craintive qui soutient uniformément tout gouvernement établi, — qui voterait avec la même discipline pour la République, si elle existait demain, que pour l’empire qui existe aujourd’hui ; — troupeau qui répond OUI à quiconque l’interroge, — Robespierre ou Bonaparte, Washington ou Néron !
ARTHUR ARNOULD
FAITS DIVERS
[…]
M. Virlet d’Aoust a fait, sur le sol des Arènes gallo-romaines découvertes rue Monge, des observations géologiques dont l’exactitude frappera, dit le Cosmos, quiconque visitera les lieux.
Le terrain qui a comblé et nivelé les ruines de ces arènes n’est pas, comme on l’a dit, un remplissage factice, qui aurait eu pour cause principale, par exemple, ainsi que le supposait fort naturellement un architecte et archéologue fort autorisé de ses amis, M. Léon Lacordaire, savoir : D’éviter que ce réduit, en cas de guerre, pût servir de refuge ou de point d’attaque à l’ennemi. Ce terrain s’est, au contraire, formé naturellement par alluvions pluviales et aériennes, que sa position à la base de la montagne Sainte-Geneviève (mons Lucotitius) explique naturellement. Il est en effet composé d’une terre argilo-sableuse encore meuble, mélangée de fragments de silex et jaspes tout à fait analogues au terrain (diluvium parisien) dans lequel se cultivaient les vignobles qui recouvraient alors la montagne. C’est donc simplement un terrain remanié, dans lequel on remarque en outre de très petits fragments de céramiques, quelques os et des hélices bien conservées.
Le remuement annuel du sol pour la culture de la vigne, et la force d’activité du terrain, expliquent d’ailleurs fort naturellement ce transport graduel des terres du sommet de la montagne et le comblement des arènes sans la concours de l’homme. Ce travail lent de la nature a sans doute exigé plusieurs siècles, ce qui explique aussi comment les générations qui se sont succédé[es?] n’en avaient conservé le souvenir que par le seul nom de Clos des Arènes que leur emplacement portait encore au treizième siècle ; car les nombreux et puissants dépôts de gravois qui ont recouvert depuis ce terrain de transport paraissent très modernes, et ne datent probablement que de l’époque où, la montagne s’étant couverte de constructions, on a dû chercher à en faciliter l’accès aux habitants de Saint-Médard et de Saint-Marcel.
[…]
Pour les nouvelles diverses : BARBERET
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La gravure représente l’empereur visitant ce que l’on appelle aujourd’hui les arènes de Lutèce et que l’on venait de découvrir. Elle est parue dans Le Monde illustré du 23 avril 1870, lequel est sur Gallica, là.
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