Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

141. Mardi 10 mai 1870

Toute la une du journal est occupée par la comparaison des résultats des plébiscites de novembre 1852 et d’hier dans le département de la Seine, malheureusement l’état de la reproduction de la une ne permet pas de l’utiliser de façon très lisible, le total des votes négatifs et des deux tiers des abstentions était de 82,149 en 1852 et de 247,276 hier, d’où cette conclusion

L’empire a donc perdu, dans le département de la Seine, de 1852 à 1870,

même en lui attribuant un tiers des abstentions,

51,828 adhérents,

Et la Démocratie en a gagné: 165,127.

c’est commenté, sous le titre « Les Deux plébiscites », par A. de Fonvielle, en page 2 ;

les « Nouvelles politiques » signalent que le vote a eu lieu à Paris en état de siège, mais que les soldats ont pourtant beaucoup voté non ;

Ulric de Fonvielle publie, sous le titre « Le vote de l’armée », divers témoignages d’électeurs qui n’ont pu entrer dans les bureaux de vote des casernes pour le dépouillement, pourtant le vote est public, cela avait déjà été signalé, et la difficulté anticipée, dans le journal daté du 30 avril ;

« L’activité dévorante » est savoureuse, vous la lirez ci-dessous ;

Ouf ! la période plébiscitaire est close ! nous dit la rubrique « Manœuvres plébiscitaires » signée P.L. (je n’ai guère qu’une conjecture sur l’identité du journaliste portant ces initiales qui reçoit les nouvelles de Londres reportées ici) ;

dans les « Informations », vous apprendrez que Victor Hugo est cité à comparaître pour un article dans le Rappel (voir le journal daté du 6 mai) et que de nouvelles arrestations ont eu lieu, à Paris et en province ; Barberet est lui aussi cité à comparaître,

Nous ignorons encore le nom du délit qui nous est imputé, et qu’il doit être du reste assez difficile de qualifier, s’il s’agit de la place que nous avons cru devoir assigner à la prose de M. Grandperret.

(la place en question étant, rappelons-le, celle du feuilleton) ;

en parlant de feuilleton, celui d’aujourd’hui est scientifique, c’est le deuxième épisode de « La religion et la science », d’Alfred Naquet ;

les doreurs sur bois avaient décidé d’adopter la famille du citoyen Flahaut (voir le journal daté du 7 mai), les ouvriers marbriers les remercient, mais c’est à eux de le faire, ils prient donc les doreurs sur bois d’adopter la famille d’un autre détenu ;

les « Dernières nouvelles » sont des résultats du vote ;

l’annonce sur le « Concours régional de Dijon » qui nous a permis de reproduire la Femme au perroquet avec le numéro daté du 23 avril est reproduite telle quelle aujourd’hui ;

beaucoup de « Faits divers » dont une jolie poissonnière de Marseille assassinée par son amoureux et le moyen de voler un homard aux Halles ;

Arthur Ranc a vu la Révolte, de Villiers de l’Isle Adam, un essai vigoureux — mais seulement un essai — bon, on y sent un esprit qui vise haut, même si le drame de la femme qui veut se séparer reste à faire ;

encore des théâtres, mais pas de Bourse aujourd’hui.

L’activité dévorante

Un de nos amis qui vient de quitter Paris pour habiter la province nous écrit la lettre suivante qui peut donner quelque idée de l’activité dévorante déployée en province.

Les Damps, 7 mai 1870

Mon cher Mourot,

Aujourd’hui j’ai reçu la visite de M. le juge de paix de Pont-de-l’Arche, le brigadier de gendarmerie, le garde-champêtre des Damps : voici ce qui s’est passé.

M. le sous-préfet de Louviers se mourait d’envie de lire certaine lettre de V. Hugo publiée dans la Marseillaise du 6 courant. Un homme sensé se serait contenté d’écrire à votre administration, et pour 20c (quatre sous) aurait reçu dès le lendemain le numéro en question. Il paraît que ce n’est pas ainsi que doit agir un homme d’État.

M. le sous-préfet de Louviers a trouvé le moyen de l’avoir pour rien, il est vrai que c’est l’État qui le lui paye, et chèrement ainsi que vous allez en juger.

M. le sous-préfet de Louviers a, d’abord, envoyé une dépêche d’une trentaine de mots au juge de paix de Pont-de-l’Arche, et au brigadier de gendarmerie, afin de faire saisir, en quelque lieu que ce soit, votre journal du 6.

M. le brigadier de gendarmerie se met en quête, et au bout d’une journée, employée à faire battre les buissons par sa brigade, finit par découvrir que le citoyen Destrem aux Damps reçoit l’ignoble Marseillaise, et qu’on pourrait l’inviter à la rendre.

Il se transporte chez M. le juge de paix, lequel, ne trouvant pas la chose toute simple, se transporte chez M. le procureur impérial de Louviers.

Réponse favorable de M. le procureur impérial, et retour à Pont-de-l’Arche de M. le juge de paix, avec ordre de faire les recherches nécessaires au domicile du citoyen Destrem.

Une heure après je recevais la visite officielle dont je parle au début de ma lettre.

Procès verbal a été dressé de la saisie importante qui venait d’être faite. Je regrette de ne pouvoir vous en passer une copie, n’en ayant pas reçu.

Moi même, je crois que si j’avais accepté la proposition qui m’a été faite de signer ledit papier, j’en aurais reçu un double ; mais, malgré de paternelles exhortations j’ai jugé à propos de ne pas obtempérer.

La soif de lecture de M. le sous-préfet ne s’arrête pas là, les mêmes ordres ont été donnés au sujet du Rappel, du Réveil, de l’Avenir national et même du Siècle.

En terminant, je vais vous prier de me rendre un service.

Ces messieurs sont-ils sortis de la limite stricte de leur droit en faisant ce qu’ils ont fait, et puis-je m’amuser en leur causant quelque ennui à ce sujet ?

J. DESTREM

La réponse à cette dernière question n’est pas douteuse ; nul n’a le droit de confisquer un numéro de la Marseillaise pas plus que de tout autre journal quand ce numéro n’a pas été saisi, et nous espérons que notre ami poursuivra, comme il en a le droit et le devoir, les gens qui lui volent son journal ; par exemple, comme nous sommes encore sous l’empire, nous n’osons guère espérer qu’il obtiendra justice.

EUGÈNE MOUROT

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La couverture est celle de l’Éclipse du 8 mai, que l’on trouve sur Gallica, là

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).