Suite des nouvelles de la guerre, suivant Maurice Choury. Nous sommes à Paris, au mois d’août 1870.

Le 9, malgré les députés républicains, une foule compacte, fiévreuse, soutenue par des bataillons de la garde nationale, assiège le Palais-Bourbon et pénètre dans les jardins. À 13 heures, au moment où s’ouvre la séance, l’impératrice régente télégraphie à Napoléon III:

[…] Je suis sans commandant de troupes et l’émeute est presque dans la rue.

Les députés de « l’opposition républicaine » sauvent l’Empire. Jules Ferry, de la terrasse du Palais-Bourbon, harangue et chloroforme la foule.

[Je résume: le ministre Ollivier est remplacé par le « comte de Palikao », Bazaine est nommé généralissime le 12, la garde nationale va être armée… et puisque, comme l’a dit l’impératrice, il n’y a pas de troupes à Paris…]

[Le gouvernement] rappelle des frontières la division Martimprey battue à Woerth le 6 août, et dix mille hommes d’infanterie de marine: en tout quarante mille hommes. Dans le même temps, on expédie de Paris sur Châlons les « mobiles » parisiens, les « Bellevillois », comme disent, avec un mépris teinté de terreur, les bourgeois réactionnaires. On espère les neutraliser en plaçant à leur tête le général Trochu, qui passe pour un opposant à l’Empire.

À la hâte, on transfère les prisonniers politiques de Sainte-Pélagie à Beauvais. Bref, on est paré quand, le 14 août, les blanquistes tentent de prendre l’initiative du mouvement dont les députés républicains ont refusé de donner le signal.

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Ce qui nous amène à l’épisode de la caserne de pompiers du boulevard de la Villette, auquel nous avons déjà consacré plusieurs articles, ici, , et aussi là, et même encore . Et dont nous reparlerons en septembre. Je saute donc cette partie de l’exposé de Maurice Choury.

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Tandis que Bazaine, bousculé par l’armée allemande (Borny, 14 août — Rezonville, 16 août), se laisse couper les chemins de la retraite (Saint-Privat, 18 août), Napoléon III, qui a quitté son quartier général de Metz, reçoit au camp de Châlons le général Trochu, placé par le gouvernement Palikao à la tête du 13e corps. Trochu et le prince Napoléon démontrent à l’empereur que, devant les revers militaires, il n’y a plus qu’un moyen de sauver la dynastie, c’est de se replier sur Paris avec toutes les troupes disponibles pour museler « la populace ». L’empereur approuve, nomme Trochu gouverneur de Paris et commandant en chef des forces militaires de la capitale.

« Tout de que je pourrai faire pour éviter une révolution, je le ferai » promet Trochu qui repart sur Paris, à la tête des dix-huit bataillons de « mobiles » parisiens, y préparer l’arrivée de l’empereur et de l’armée de secours, repli qu’il considère comme « un acte de virilité gouvernementale qui pouvait écarter une révolution« .

Bismarck, flairant ces intrigues, écrit à sa femme le 24 août:

Je ne considère pas comme impossible avec l’idée de tourner ses forces contre les Parisiens plutôt que contre nous, de faire la paix avec nous, et de continuer, en s’appuyant sur l’armée, de tyranniser le reste de la France. Je n’y verrais aucun inconvénient quant à moi.

Mais, à Paris, Trochu est très mal reçu par la régente et Palikao (18 août). Dans les milieux gouvernementaux, on n’a pas la même optique qu’à Châlons. Certes, le danger réside, pour eux aussi, dans la « canaille parisienne ». Mais ils persistent à penser que le meilleur moyen de la contenir c’est la guerre et la guerre victorieuse. On spécule hardiment sur le patriotisme des masses. Depuis le 14 août, la Prusse a annexé purement et simplement l’Alsace et le quadrilatère mosellan. La guerre dynastique devient aux yeux du peuple une guerre de défense nationale. Dans la mesure où l’on se battra contre l’envahisseur, la rue ne bougera plus. Palikao en est si persuadé qu’il n’hésitera pas le 28 août à dégarnir Paris du 13e corps (général Vinoy) pour l’envoyer sur Mézières à la rencontre de Mac-Mahon.

« Non, dit l’impératrice à Trochu, l’empereur ne reviendra pas à Paris: il n’y rentrerait pas vivant. »

Palikao avait télégraphié la veille au monarque, le suppliant d’abandonner l’idée d’un retour à Paris « qui paraîtrait l’abandon de l’armée de Metz. » Napoléon III hésite. De Châlons, Mac-Mahon consulte Bazaine, resté à Metz, malgré l’ordre reçu le 12, de « passer la Moselle sans retard pour se replier dans les plaines de Champagne« . Bazaine laisse à Mac-Mahon liberté de manœuvre.

Mac-Mahon va-t-il se replier sur Paris ou secourir Bazaine? Il n’appliquera ni l’un ni l’autre de ces plans; de Châlons, il se dirige au nord-ouest, sur Reims et s’y fixe, malgré les ordres réitérés de Palikao d’aller à la rencontre de Bazaine. Mac-Mahon et l’empereur sont toujours d’accord avec le plan Trochu: revenir sur Paris. La date du retour est même fixée, le 23 août. Mais la veille du départ, télégramme comminatoire de Palikao à l’empereur: « Ne pas secourir Bazaine aurait à Paris les plus graves conséquences« . Le même jour, Napoléon III reçoit une dépêche de Bazaine en date du 19 lui annonçant qu’il va se rabattre sur la Champagne, par Montmédy et Sainte-Menehould. Il n’est plus possible de se dérober. « L’armée de secours se met en route vers Montmédy.

Le Temps du 23 publie la bonne nouvelle (reproduite par le Times de Londres): « L’armée de Mac-Mahon se dirige vers le Nord pour aller donner vers l’Est la main à Bazaine« . Voilà Bismarck informé!

Le 26, Bazaine est toujours à Metz! Ce qui l’intéresse, ce n’est plus le combat, mais les négociations qui vont s’ouvrir après la série de revers escomptée. Devant un Conseil de guerre de ses chefs de corps, il déclare cyniquement: le rôle de l’armée du Rhin « peut devenir et deviendra certainement politique« . Généraux et colonels approuvent; ils ont parfaitement compris ce qu’on attend d’eux: obtenir des Prussiens l’autorisation d’aller faire la police à Paris!

Le 27, Mac-Mahon n’a pas encore atteint Montmédy. Il apprend que Bazaine est demeuré à Metz: « L’armée de secours » reprend alors la marche sur Paris. Le lendemain, ordre de Palikao: repartir au Nord-Est! Motif: « Si vous abandonnez Bazaine, la Révolution est dans Paris« .

Nouveau coup de Bourse: le Journal officiel du 31 août annonce: « La marche de l’ennemi sur Paris paraît arrêtée« . L’Illustration fournit l’explication: Mac-Mahon et Bazaine ont fait leur jonction!

Las! Bazaine est figé à Metz, l’arme au pied, et sentant le vent. Quant à l’empereur, rejeté sur Sedan, il capitule le 2 septembre et se constitue prisonnier, livrant sans discussion ses 83.000 hommes et tout son matériel de guerre.

Pour la suite, rendez-vous le 3 septembre!

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J’ai trouvé la carte allemande des environs de Metz pendant la guerre que j’ai utilisée comme couverture sur Gallica, là, mais elle vient de la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg. Ce qui nous rappelle, pendant ces manœuvres politiciennes (et parisiano-centrées), la situation dramatique de ces deux villes, Metz et Strasbourg, et de leurs régions.

Vous pouvez grossir la carte en cliquant sur l’image ci-dessous.

Le livre que j’ai utilisé est, comme dans l’article précédent, 

Choury (Maurice)Les Origines de la Commune. Paris livré, Éditions sociales (1960).

Cet article a été préparé en mai 2020.