Quelle agitation! Le comité central des vingt arrondissements, les commandants de la garde nationale, les uns, les autres. Une histoire au masculin, comme il se doit. Malgré l’injonction « Allez-vous-en », malgré la parole qu’on leur dénie (comme à la citoyenne Duguéret, voir notre article du 15 septembre), l’omission de leurs intervention  (comme celle de la citoyenne Emery, dans un compte rendu d’Albert Goullé, voir notre article du 10 septembre) dans les réunions de clubs, les femmes sont pourtant là, elles aussi.

Tiens, justement, voilà une citoyenne qui râle contre un article d’Albert Goullé, dans une lettre publiée par La Patrie en danger datée du 22 septembre:

Ambulances et sociétés de secours

Si M. Albert Goullé avait bien voulu prendre quelques informations sur la société de secours pour les victimes de la guerre, il aurait évité de dire précisément le contraire de ce qui est ; ainsi, j’ai eu connaissance de son article par des citoyens qui, mieux renseignés, voulaient féliciter Madame Jules Simon d’avoir, avec l’aide des écoles professionnelles, créé du travail quand il n’en existait nulle part. On n’empêchera pas ces gens-là d’avoir vu une chose et lu l’autre.
Quant aux jours tels que ceux-ci, la fraternité ne permet pas d’attendre pour soulager ceux qui meurent de faim, l’organisation du travail qui ne peut avoir lieu qu’après la guerre.

Si M. Albert Goullé voyait les réunions de la Société de secours, il y trouverait les femmes qui, avant la lettre de Michelet, étaient allées réclamer énergiquement la vie des condamnés de la Villette au gouverneur de Paris et à la chambre.

Il y trouverait les femmes de la République, celles qui seront au besoin aussi bien soldats qu’infirmières, et qui, sur les remparts ou sur les barricades, comme dans les ambulances, se souviendront du vaisseau le Vengeur, de Strasbourg et de Laon.

Celles-là ne sèmeront pas la discorde entre les Républicains, et elles crieront jusqu’à leur dernier souffle :

Vaincre ou mourir !

Vive la République !

Louise Michel

membre de la commission du travail de la Société de Secours pour les victimes de la guerre

C’est après un article paru, sous le même titre, dans le même journal, le 16 septembre qu’elle en a. Albert Goullé en avait, lui, après toutes les sociétés de secours, qui sont de l’ « escobarderie », en en particulier la Société de secours en question.

La Société de secours pour les victimes de la guerre a été fondée dès le 4 septembre, puisqu’on la voit apparaître dans Le Siècle daté du 7 septembre:

Société de secours aux victimes de la guerre

À la suite de cruels revers, le sol de la patrie est envahi. Paris, menacé, sa prépare avec une énergique résolution à subir toutes les rigueurs d’un siège.

Nos fils, nos frères, nos époux s’arment pour la défense de la capitale ; nous, femmes, nous nous unissons pour conjurer les misères et panser les blessures de toute sorte que fait la guerre.

La misère sévit : elle va devenir effrayante. Le travail a cessé ; les hommes, appelés aux armes, laissent les vieillards, les enfants et les femmes dans l’angoisse et la dénûment.

Secours à ces nobles infortunes ; secours à nos blessés. Nous faisons appel à toutes les énergies, à tous les dévouements. Que la France tout entière nous vienne en aide dans cette épreuve suprême que nous allons traverser pour elle et dont dépend son sort.

Mme Jules Simon, 10, place de la Madeleine, présidente.
Mme Pelletan, 33, rue du Cherche-Midi, vice-présidente.
Mme Goudchaux (Michel), 3, rue Greffulhe, vice-présidente.
Mme André Léo, 92, rue Nollet (Batignolles); Mme A. Millard, 162, rue Rivoli; Mme Eugène Manuel, 60, rue de Rome; Mme Rozé, 165, boulevard de la Villette, sociétaires.
Mlle Irène Bardillon, 65, rue Rambuteau, trésorière.

Les dons et les offres sont reçus dans les cinq écoles professionnelles Lemonnier, situées : Rue de Turenne, 27 ; rue de Laval, 37 ; rue de Reuilly, 25; rue d’Assas, 70; rue Piat, Belleville, 23; au, siège de la société, 1 bis, rue Paradis-Poissonnière, et chez les signataires de la présente circulaire.

Deux femmes de ministres du gouvernement, la veuve d’un banquier, certes républicain, mais ancien ministre de Cavaignac le 28 juin 1848 quand même… on peut comprendre que ça ait énervé Albert Goullé. Ce qui m’énerve le plus, c’est qu’elles portent le prénom de leur mari, mais je doute que ça l’ait gêné, lui. Voici ce qu’il leur reprochait (dans La Patrie en danger datée du 16 septembre, donc):

Une mention spéciale pour l’Œuvre de Mesdames Jules Simon, Eugène Pelletan, André Léo, etc. Ces dames veulent fonder une caisse destinée à secourir les familles des gardes nationaux enlevés à leur travail quotidien par les nécessités du siège. Leur œuvre n’est point entachée de cléricalisme, et les femmes qui s’adresseront à elles ne risquent point qu’on leur glisse une hostie dans la bouche ou un évangile dans la poche en même temps qu’un pain sous le bras.

Il a pourtant omis Mme Goudchaux, garantie contre l’hostie puisqu’elle était juive (pourquoi il l’a omise, justement elle, je ne me prononcerai pas). Il se lance ensuite dans une grande diatribe contre Mme Jules Simon, à qui, forcément, son mari a dit son rôle. Louise Michel n’avait pas tort de s’énerver…

Oui, des femmes écrivent, travaillent, agissent. André Léo, en particulier, qui est de cette société de secours, mais que nous avons vue aussi réclamer que les « pauvres » soient armés (dans notre article du 11 septembre). La voici à nouveau. Dans La Patrie en danger datée du 23 septembre:

Les infirmières du combat

Une manifestation de deux à trois cents citoyennes est allée, hier, à l’Hôtel de Ville, et les quatre délégués [sic] ont présenté la proposition suivante :

Citoyens,

Nous venons réclamer d’aller sur les remparts pour relever les blessés ; et, s’il se trouvait des lâches, à ramasser leurs fusils et à être soldats à leurs places pour vivre libres ou pour mourir.

André Léo, Adèle Esquiros, Louise Michel, 24 rue Oudot (Montmartre),
Jeanne Alombert, 86 rue d’Angoulême,
Blanche Lefebvre, Céline Fanfonnot [Cécile Fanfernot], rue Saint-Martin 206.

Il a été répondu ainsi :

Mairie de Paris

Cabinet du Maire

Le Maire de Paris remercie les citoyennes de leur offre généreuse et saura profiter de leur dévouement.

La citoyenne André Léo qui réclame si énergiquement cette mesure, et la citoyenne Adèle Esquiros qui a demandé depuis longtemps à soigner les blessés des remparts, ont été considérées comme présentes.

La première réunion aura lieu samedi, 24 rue Oudot (Montmartre), chez la citoyenne Louise Michel, à deux heures.

Et le lendemain, 24 septembre:

Les infirmières des remparts

Les déléguées de la manifestation des remparts ont été convoquées hier à l’Hôtel de Ville.

Il a été décidé qu’une citoyenne serait envoyée à chaque ambulance des remparts, au nombre de 79.

Les huit premières partent demain matin : les dernières seront les initiatrices, à moins que l’heure ne vienne où l’on ne doit rien attendre.

La prochaine réunion aura lieu samedi prochain à 2 heures 24 rue Oudot, Montmartre, Clignancourt.

Et, pour finir, un petit article sur les séminaristes. Il n’y avait pas qu’André Léo et Louise Michel. Je ne serais pas étonnée que la citoyenne dont il était question dans la réunion du club de La Patrie en danger dans l’article d’hier 22 septembre soit Jeanne Alombert, que voici, dans le journal daté du 25 (sans vraiment anticiper):

Séminaristes

Pourquoi le gouvernement provisoire ne s’occupe-t-il pas de l’armement des séminaristes ?

En temps ordinaire, ces hommes sont inutiles ; par celui-ci ils deviennent odieux.

Puisque le courage leur manque pour demander des armes, on doit les obliger à en prendre.

N’est-ce pas à eux, qui n’ont ni femmes ni enfants, à précéder aux remparts les pères de famille dont la mort fera tant d’orphelins.

Jeanne Alombert

*

L’image de couverture, eh bien… elle ressemble à cette histoire, non? Tout au masculin, ah, non pas tout à fait. Elle vient du musée Carnavalet, là.

Cet article a été préparé en juin 2020.