La rue de Buzenval, à Paris, est une rue du vingtième arrondissement. Elle relie aujourd’hui la rue Alexandre-Dumas à la rue de Lagny. Elle croise la rue d’Avron — au métro Buzenval. La rue d’Avron est, sous cet autre nom, la rue de Montreuil, qui mène à Montreuil — et au-delà jusqu’au plateau d’Avron où, à l’est de Paris, ont eu lieu de nombreux combats de la guerre franco-prussienne. Raison pour laquelle une partie de la rue de Montreuil a reçu ce nom, en 1877.

Loin de Rueil, la rue de Buzenval ne mène aucunement au château de Buzenval, qui se trouve à Rueil-Malmaison justement, à l’ouest de Paris. C’est le nom d’une bataille que porte cette rue, depuis 1878. Elle englobe ce qui, sur « mon » plan de 1870, se nomme « passage Papier ».

Ce nom de Buzenval dans ce quartier de Charonne qui, en 1878, était très populaire, n’est peut-être pas absolument inadéquat — si l’on songe aux mille cinq cents gardes nationaux qui ont été tués à la bataille de Buzenval, le 19 janvier 1871.

Dans Le Canon Fraternité, Florent Rastel se trouve justement, ce matin-là, du côté de la rue des Hautes-Vignolles:

Des clairons sonnaient le rappel aux quatre coins de Charonne. Des gardes nationaux descendaient les escaliers, frappant aux portes pour s’appeler. Ils finissaient de boucler les cartouchières, de ficeler la couverture roulée, sur le trottoir où des femmes les rattrapaient brandissant le lainage ou la baïonnette oubliés. On disait ici qu’il y avait dans Paris des mouvements de troupe d’une ampleur encore jamais égalée; là on criait joyeusement que c’était enfin la vraie Grande Sortie, que cette fois la Garde nationale serait massivement employée; la preuve, on nous appelait.

Georges Duveau:

La bataille fut définitivement résolue le 16. Cent mille hommes devaient la mener; 40 à 50 p.100 des effectifs engagés étaient constitués par la garde nationale sédentaire, par les régiments de Paris.

Quand il y aura par terre dix mille gardes nationaux, disait un membre du Gouvernement, l’opinion s’apaisera.

Les généraux s’exprimaient dans le même sens:

Ces blagueurs de gardes nationaux veulent absolument qu’on leur fasse casser la gueule: on va les y mener.

Le 19 janvier 1871, fut en conséquence livrée une bataille qui était un simulacre plus tragique encore que le simulacre du 21 décembre [la deuxième bataille du Bourget, voir notre article à cette date]. Pour hâter la capitulation, pour préparer la soumission morale de la cité, les généraux procédèrent à une saignée qu’ils jugeait militairement inutile. Cette bataille, nous l’appelons en France Buzenval ou Montretout, les Allemands l’appellent la bataille du Mont-Valérien. Se représenter aujourd’hui [ce livre est paru en 1939] l’action du 19 janvier est chose malaisée, car, au Mont-Valérien et à Buzenval, plus qu’à Champigny ou à Villiers, le paysage s’est profondément modifié depuis 1870. Suresnes, Garches ont constitué d’importantes agglomérations modernes, et on distingue assez mal les replis du terrain qui se dessinent entre la butte sablonneuse du Mont-Valérien et les renflements encore à demi campagnards des bois de Buzenval.

Duveau décrit ensuite sur plusieurs pages les détails de la bataille. Et puis:

Trochu […] voulait briser définitivement la résistance morale de Paris: d’une façon grossière, il s’efforçait d’épouvanter la population et de hâter l’heure où la ville accepterait de capituler. Sans doute, nous avions subi des pertes importantes et fort disproportionnées avec celles de l’adversaire; si les Allemands avaient environ 700 hommes hors de combat, nous en avions plus de 4000. Les pertes de la colonne Ducrot étaient faibles: 827 hommes; celles de la colonne Vinoy un peu plus fortes: 1079. Mais c’était la colonne du centre, la colonne Bellemare, qui payait le plus lourd tribut: 2156 tués, blessés et disparus. La garde nationale perdait au total 1500 hommes. À Buzenval tombaient le vieux marquis de Coriolis et un jeune peintre, Henri Regnault.

En Henri Regnault, nous reconnaissons le jeune homme qui arpentait le boulevard Saint-Michel devant chez Geneviève Bréton dans notre article du 8 janvier. Il avait été franc-tireur, mais, à la demande de la famille de Geneviève, il ne l’était plus. C’est comme membre d’une compagnie de marche du 69e bataillon qu’il combattait à Buzenval. 

Des 1500 gardes nationaux tués, je ne sais rien. Heureusement, il y a la littérature.

Florent Rastel:

Ce matin les clairons n’ont pas sonné le rappel, mais tous les clochers de Belleville, de Ménilmontant et du Temple, sans arrêt depuis l’aube, sonnent le glas.
[…]
Belleville ne pardonne pas le massacre inutile de ses gardes nationaux. Des enfants pleurent rue Rébeval, des femmes hurlent rue du Renard, partout l’on rapporte des cadavres de tirailleurs.

Ils sont morts assassinés!

gémit Mme Armine, la veuve du tonnelier de la rue Lesage. Puis celles-là se taisent, et les autres, qui ne crient ni ne hurlent, sont le silence de Belleville. La tuerie de Buzenval ressemble à une leçon: Ah! vous vouliez y aller? vous vouliez vous battre contre les Prussiens? Eh bien, vous êtes servis! Trochu l’a presque dit, et les faubourgs le savent:

Si, dans une grande bataille, vingt mille ou trente mille hommes restaient sur le terrain, Paris capitulerait… La Garde nationale ne consentira à la paix que si elle perd dix mille hommes.

Tandis que tombaient les tirailleurs de Rébeval, de la Tourtille et Puebla, ceux de l’impasse [l’impasse du Guet, lieu principal du roman], par miracle, rentraient au complet, mais dans quel état, quelle rage!
Quand elle s’était mise en mouvement vers l’ouest, la Garde nationale y était allée, cette fois encore, de tout son brave petit cœur! Puissante armée des trop vieux et des trop jeunes, avec ses convois de fiacres, d’omnibus non encore peints et de fourgons à transporter les pianos d’Erard, transformés en voitures d’intendance militaire…
Les désillusions commencèrent avant même la sortie de Paris. Deux ponts seulement avaient été prévus pour traverser la Seine [méandre ou pas, Rueil est sur la rive gauche de la Seine] et l’état major avait oublié de faire enlever les barricades qui les obstruaient. Guifès nous a raconté ce que furent ces heures d’attente au milieu de l’inextricable bousculade des hommes, des canons et des voitures de toutes catégories. Ensuite les troupes s’enfoncèrent dans le brouillard, s’enlisèrent dans la boue.

Le temps, dit l’imprimeur, s’alliait une fois encore à la criminelle impéritie des généraux français et à la puissance prussienne. Le dégel a été aussi funeste à Buzenval que le gel l’avait été à Champigny.

Cette crapule de Père Éternel sera toujours contre nous!

conclut Moumoute.

Prévue pour six heures, l’attaque était retardée, de moment en moment, tout au long de la journée. Sous les armes depuis deux heures du matin, avec sur le dos leur sac de vingt-huit kilos, les tirailleurs, perdus dans le brouillard, s’enfonçaient lentement, sur place, dans le bourbier.
— Là-bas, en face de nous, ça grabugeait! et des éclairs! et du pétard! raconte Matiras. Nos frères attaquaient, il suffisait de nous dire: « En avant! » Y avait le paquet, la colère! on rentrait à Versailles comme dans du beurre! Mais non… « Demi-tour! » qu’on nous dit! Ah! les fumiers… gronde le chaudronnier en ébouriffant les piquants de sa barbe rouge, les fumiers…
[…]
Capitulation? Le mot descend les escaliers, les buttes et les faubourgs, ricochant comme un ballon bourré de poudre et amorcé, sous le ciel sombre et froid.

Gustave Lefrançais:

21 janvier 1871

C’est à Montretout et à Buzenval, qu’après une journée d’héroïques efforts qui eussent pu amener une sérieuse victoire — avouent eux-mêmes les journaux réactionnaires –, les gardes nationaux de Paris ont vu échouer leur généreux élan devant l’évidente trahison de Trochu et de tous les chefs militaires chargés de préparer l’opération.

Ceux de nos amis qui nous racontent les faits en pleurent de rage. le chef de bataillon Rochebrune [Rochebrun], qui avait combattu dans les rangs de l’insurrection polonaise en 1863, est glorieusement tombé en poussant sur Rueil.
L’exaspération est au comble. Les révolutionnaires ont résolu d’en finir, coûte que coûte, avec la bande de l’Hôtel de Ville.

Livres cités

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Duveau (Georges)Le Siège de Paris, Hachette (1939).

Bréton (Geneviève)Journal 1867-1871, Ramsay (1985).

Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).

Cet article a été préparé en juin 2020.